OPINION

Le Canada a un urgent besoin de femmes en génie

Le Canada fait actuellement face à une situation critique dont presque personne ne parle. Selon un rapport commandé par Ingénieurs Canada, il pourrait manquer au pays jusqu’à 100 000 ingénieurs en 2025.

Cette pénurie annoncée découle d’une demande croissante de main-d’œuvre en génie dans de nombreux secteurs de l’économie, jumelée au vieillissement de la population d’ingénieurs expérimentés qui partiront en masse à la retraite. Ayant moi-même pris ma retraite en 2016, je fais partie de cette cohorte.

Or, le Canada n’est pas le seul pays dans cette situation. Selon l’Index mondial des compétences Hays 2016, la majorité de la planète fait face à une pénurie d’ingénieurs pour plusieurs des mêmes raisons. En d’autres mots, le marché du travail deviendra de plus en plus concurrentiel et nous ne pourrons pas dépendre uniquement de la main-d’œuvre étrangère pour combler ce manque de spécialistes compétents.

Heureusement, il y a une solution et elle est relativement simple. Le Canada a besoin qu’un plus grand nombre de femmes exercent le génie.

En 2019, le mot-clic de la Journée internationale des femmes est #balanceforbetter (ensemble vers l’égalité). L’époque des vœux pieux à l’égard de l’égalité des sexes est terminée.

Le temps est venu de mettre en œuvre de vraies mesures pratiques pour combler l’écart entre les hommes et les femmes.

Croissance explosive de l’internet des objets, infonuagique, intelligence artificielle, effervescence dans pratiquement tous les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie, des mathématiques : la quatrième révolution industrielle est à nos portes. Plus que jamais, notre croissance et notre prospérité économiques reposent sur la présence d’ingénieurs qualifiés.

En ce moment critique, une pénurie de spécialistes en génie nuirait à la prospérité du Canada. C’est une crise dont nous ne pouvons faire abstraction. Or, un récent article corédigé par cinq doyens d’universités canadiennes a sonné l’alarme au sujet de cette pénurie annoncée : « Nous avons un urgent besoin de leaders expérimentés et innovants en génie, non seulement pour maintenir et améliorer nos systèmes essentiels – soins de santé, infrastructures et production d’énergie, par exemple –, mais aussi pour devenir un moteur de prospérité économique tout en augmentant notre compétitivité à l’échelle mondiale. » (traduction libre)

Quand j’ai commencé ma maîtrise en génie à l’Université Concordia en 1979, j’étais une des rares femmes de ma classe. En 1989, je suis devenue la première femme à obtenir un doctorat en génie du bâtiment de Concordia.

Durant presque toute ma carrière d’ingénieure, et ensuite comme présidente d’une importante firme d’experts-conseils en génie du Canada, j’étais souvent la seule femme dans la salle. Quatre décennies plus tard, très peu de choses ont changé. 

Au Canada, en 2018, moins de 20 % des diplômes de premier cycle en génie ont été décernés à des femmes. Pire, seulement 13 % des ingénieurs en exercice sont des femmes.

De telles statistiques sont inacceptables en 2019. Ces données révèlent en outre un écart troublant entre le nombre de femmes qui obtiennent leur diplôme et le nombre d’ingénieures de formation qui finissent par travailler dans le domaine.

C’est un défi de taille, certes, mais qui comporte aussi ses possibilités.

Le gouvernement et les universités tentent depuis des années de réduire l’écart hommes-femmes dans le domaine du génie, mais les facteurs de motivation sont restés assez faibles. Mise à part cette nécessité de combler le fossé entre les sexes, la profession d’ingénieur demeurait relativement florissante.

Or, la pénurie imminente d’experts qualifiés en génie constitue une incitation à la mobilisation assez claire pour consentir des efforts concrets.

Le problème requiert une solution à plusieurs volets. En effet, les données montrent qu’il ne suffit pas d’attirer les femmes dans les programmes de génie. Nous devons mieux comprendre pourquoi, une fois leur diplôme en main, les femmes ne sont pas embauchées en même nombre que leurs homologues masculins.

En effet, nous voulons encourager plus de filles et de femmes à s’inscrire dans les programmes de génie, mais nous devons aussi entretenir leur motivation jusqu’à ce qu’elles décrochent leur diplôme, puis les embaucher et les retenir tout au long de leur carrière.

Nous devons travailler pour un changement social plus large afin que les professions exercées exclusivement ou principalement par un seul sexe deviennent chose du passé.

Nos milieux de travail doivent être plus inclusifs, diversifiés et égalitaires. D’ailleurs, les équipes diversifiées sont plus saines et plus créatives, et produisent de meilleurs résultats.

Le temps n’est plus aux beaux discours et aux gestes qui ne veulent rien dire. Nous devons faire de sérieux changements pour résoudre ce problème urgent. C’est pourquoi j’ai récemment fait don de 15 millions de dollars à l’École de génie et d’informatique de l’Université Concordia pour promouvoir la diversité, l’inclusion et l’équité entre les sexes.

Afin de contrer la pénurie prévue, j’invite les leaders de l’industrie et de la communauté d’affaires à s’engager, eux aussi, à combler l’écart entre les sexes et à encourager la diversité en génie.

Nous ne pouvons pas nous permettre de fermer les yeux sur cette réalité. L’avenir de l’économie canadienne en dépend.

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