Un système digne d’un film d’espionnage

Un ancien responsable de l’antidopage russe affirme avoir participé au dopage de 15 médaillés olympiques à Sotchi, avec l’aide d’espions du gouvernement qui ont infiltré un laboratoire à la nuit tombée pour voler des échantillons d’urine souillée.

Ce dopage systématique, digne d’un film d’espionnage, a été organisé sous la supervision du gouvernement russe, selon l’ancien patron du laboratoire antidopage de Moscou, Grigory Rodchenkov. L’homme a quitté la Russie pour les États-Unis dans les derniers mois, se disant inquiet pour sa sécurité. Il a fait ces déclarations au quotidien New York Times.

L’article a été mis en ligne hier midi, alors qu’une assemblée des dirigeants de l’Agence mondiale antidopage (AMA) avait lieu à Montréal. La rencontre, dans un hôtel du centre-ville, soulignait le départ de celui qui a été directeur général de l’AMA pendant 13 ans, David Howman. Mais les accusations de Rodchenkov ont vite refroidi la salle.

« Est-ce que l’AMA peut faire quelque chose pour rassurer les athlètes ? Est-ce qu’on est certains que les athlètes russes qui usent de dopage ne seront pas à Rio ? », a demandé au micro la médaillée olympique Beckie Scott.

La Canadienne est la représentante des athlètes à l’AMA. Elle-même a été victime du dopage. En 2002 à Salt Lake City, la fondeuse avait terminé au troisième rang. Mais les deux Russes devant elle avaient subi des contrôles positifs.

« Je pense que tous les pays impliqués dans le dopage devraient être exclus des Jeux. Ça ne se limite pas à la Russie, il y a d’autres pays visés dans les récents rapports. »

— Beckie Scott

Rodchenkov, qui avait pour rôle officiel lors des Jeux olympiques de Sotchi de pincer les tricheurs, soutient qu’il a plutôt concocté un puissant cocktail dopant à base de trois stéroïdes anabolisants (méténolone, trenbolone et oxandrolone) qu’il mélangeait à de l’alcool. L’alcool servait à réduire la fenêtre de détection des drogues.

Il affirme avoir donné ce mélange à « des douzaines d’athlètes russes, dont 15 médaillés olympiques ». Parmi eux, il note la présence de 14 membres de l’équipe de ski de fond.

Pour éviter que les tricheurs ne se fassent prendre, des agents du service de renseignement russe pénétraient le soir dans le laboratoire de Moscou pour subtiliser les échantillons d’urine des athlètes et les remplacer par des échantillons propres.

« Ça fonctionnait comme une horloge suisse », note Grigory Rodchenkov, qui assure qu’une centaine d’échantillons ont été ainsi trafiqués.

DES RÉVÉLATIONS EN SÉRIE

Ces révélations sont les dernières en date sur ce qui serait un système organisé de dopage en Russie. Dans un rapport de 325 pages remis en novembre, l’AMA dénonçait le dopage quasi systématique de l’athlétisme russe aux Jeux de Londres.

Dans ce rapport, l’AMA accusait Grigory Rodchenkov d’avoir détruit 1417 échantillons en décembre 2014, juste avant la visite d’un enquêteur de l’agence.

« L’article du New York Times est extrêmement dérangeant. Mais ce n’est pas si surprenant. Dans le rapport de 300 pages remis en novembre, il était clair que le dopage avait cours dans tous les sports russes, et pas seulement en athlétisme », note Beckie Scott.

« C’est pourquoi les athlètes ont demandé dès novembre qu’on étende cette enquête à tous les sports, pas seulement l’athlétisme, dit-elle. Les athlètes des sports d’hiver aussi sont inquiets. Et voilà, maintenant on sait, c’est confirmé. Mais l’AMA aurait dû nous écouter dès novembre. »

Il y a cinq jours, un reportage de l’émission 60 Minutes sur CBS affirmait que quatre médaillés d’or russes à Sotchi avaient pris des stéroïdes. Ces informations venaient également de… Grigory Rodchenkov. Celui-ci a perdu son emploi après le rapport de l’AMA en novembre. Disant craindre pour sa sécurité, il a choisi de quitter la Russie et a décidé de parler.

UN NOUVEL ENQUÊTEUR À MONTRÉAL

L’AMA a réagi avec prudence à l’article du New York Times. Son président, Craig Reedie, a dit en conférence de presse après l’assemblée qu’il n’avait pas eu la chance de consulter l’article.

« J’étais dans cette rencontre toute la journée. Je suis au courant du reportage de 60 Minutes sur CBS. On me dit qu’il y a un article dans le New York Times

« La pression est sur l’AMA pour enquêter et répondre à ces accusations. »

— Craig Reedie, président de l’AMA

L’AMA a annoncé hier la création d’un poste d’enquêteur en chef. Celui-ci sera nommé dans les prochains mois et aura ses bureaux au siège social montréalais de l’organisme. L’agence a également mis sur pied un programme pour les lanceurs d’alerte, avec une page sur son site internet. Elle veut aussi réfléchir à comment elle peut protéger ceux qui brisent le silence.

Beckie Scott, la représentante des athlètes, a salué ces mesures. « L’AMA doit se doter d’une équipe d’enquête compétente, avec des dents, qui se rende sur le terrain pour trouver des indices. C’est la seule façon de rassurer les athlètes propres. »

L’Agence antidopage russe est depuis novembre en situation de non-respect du code mondial antidopage. Craig Reedie a expliqué, hier, que les démarches de l’agence pour redevenir conforme étaient plus lentes que prévu. « Oui, ça se peut qu’elle ne soit pas conforme d’ici les Jeux de Rio », a dit le président de l’AMA.

Si c’était le cas, la décision d’admettre ou non les athlètes russes au Jeux de Rio reviendrait au Comité international olympique (CIO).

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