Science  Détection d’ondes gravitationnelles

« Nous pouvons écouter l’Univers ! »

L’un des paris les plus audacieux et les plus onéreux de la science moderne vient d’être remporté. Après 40 ans d’efforts, la mobilisation de plus d’un millier de scientifiques et des investissements qui dépassent le milliard de dollars US, des chercheurs ont annoncé hier la première détection d’ondes gravitationnelles. La découverte, qualifiée d’historique, représente un exploit technologique phénoménal et annonce le début d’une nouvelle ère pour l’astronomie. Explications.

L’annonce

La conférence de presse avait suscité de grandes attentes. Et en voyant le sourire de France Córdova, directrice de la National Science Foundation, on a su dès la première seconde que ce ne serait pas un pétard mouillé. « Nous avons détecté des ondes gravitationnelles. Nous l’avons fait ! », a rapidement lancé David Reitze, directeur général du laboratoire LIGO qui signe la découverte, mettant fin à tout suspense qui pouvait subsister. La nouvelle a soulevé un tonnerre d’applaudissements. « Il y a 400 ans, Galilée a tourné un télescope vers le ciel, ouvrant l’ère des observations astronomiques modernes. Je crois qu’on fait quelque chose d’aussi important aujourd’hui en ouvrant une nouvelle fenêtre sur l’univers : la fenêtre des ondes gravitationnelles », a continué M. Reitze.

Le cosmos en pleine tempête

En 1916, Albert Einstein avait prédit que des évènements cosmiques d’une ampleur gigantesque pouvaient secouer l’espace-temps et créer des ondes de choc se propageant dans l’Univers. Exactement 100 ans plus tard, on a annoncé hier la détection d’ondes provenant d’un évènement d’une violence inouïe : la collision de deux trous noirs. Le choc a généré une puissance équivalant à 50 fois celle produite par toutes les étoiles qui brillent dans l’Univers connu. « Jusqu’à maintenant, nous avions toujours observé l’Univers comme un océan par une journée tranquille. Nous ne l’avions jamais vu en pleine tempête, secoué par les vagues déferlantes. Tout a changé le 14 septembre », a dit Kip Thorne, cofondateur du LIGO.

Un infime écho

La collision des deux trous noirs dont on vient de capter l’écho s’est produite à l’autre bout de l’Univers il y a 1,3 milliard d’années, alors que les premiers organismes multicellulaires commençaient à peupler la Terre. Depuis, les ondes générées par le choc se propagent dans le cosmos à la vitesse de la lumière. Le 14 septembre dernier, à 5 h 51, heure de Montréal, elles ont traversé la Terre et fait vibrer deux détecteurs conçus expressément pour les capter. Il ne restait alors qu’un infime écho de l’effroyable tempête originelle. Dans les appareils tendus par les scientifiques, les ondes ont provoqué une déformation correspondant au milliardième de la taille d’un seul atome. Leur détection est donc une prouesse de précision qu’Einstein lui-même a toujours crue impossible.

Le coup de chance

Les deux détecteurs des laboratoires LIGO, situés en Louisiane et dans l’État de Washington, étaient en pleine répétition générale le 14 septembre dernier. Six jours plus tôt, La Presse s’était rendue sur place pour assister aux derniers préparatifs avant leur mise en fonction. Or, c’est pendant cette ronde de tests que le signal a frappé.

« C’est venu tout de suite. C’est absolument incroyable, on a été très chanceux », a raconté à La Presse Michel Davier, professeur à l’Université Paris-Sud XI, membre de l’Académie des sciences et l’un des 1000 signataires de l’article scientifique publié hier décrivant la découverte.

M. Davier raconte que le signal était si clair que tout le monde savait qu’il s’agissait d’ondes gravitationnelles. Les scientifiques ont toutefois dû garder le silence pendant des mois, le temps de confirmer qu’il ne s’agissait pas d’un artefact. Quelques-uns n’ont pu tenir leur langue, alimentant la machine à rumeurs.

Écouter l’Univers

Jusqu’à aujourd’hui, l’être humain a compris l’Univers en regardant la lumière, visible et invisible, qui nous en parvient. Les ondes gravitationnelles ouvrent une toute nouvelle façon de le sonder. « Nous pouvons maintenant écouter l’Univers ! », a lancé hier Gabriel Gonzalez, porte-parole du laboratoire LIGO. L’affirmation n’est pas imagée : on peut réellement entendre les ondes gravitationnelles. Les scientifiques comptent maintenant se mettre à l’écoute, et bien malin qui sait ce qu’ils entendront. « C’est une nouvelle fenêtre qui s’ouvre. Et chaque fois que c’est arrivé, nous avons eu de grosses surprises », a dit hier le scientifique Kip Thorne. En France, l’Académie des sciences a salué la « naissance d’une nouvelle astronomie ».

Le pari

La découverte annoncée hier est une consécration et un soulagement pour la National Science Foundation, qui a misé plus d’un milliard US sur la détection des ondes gravitationnelle – la plus grosse somme de son histoire.

« Nous avons pris un grand risque », a avoué hier France Córdova, directrice de l’organisme américain.

La quête aura duré 40 ans et est emblématique de la science moderne : l’article scientifique publié hier dans la revue Physical Review Letters est signé par 1000 auteurs provenant de 88 établissements et institutions rattachés à 14 pays (dont le Canada). Tout le monde s’entend pour dire que la découverte sera récompensée d’un prix Nobel. Les noms de Rainer Weiss, du MIT, et de Kip Thorne et Ronald Drever, de Caltech, sont ceux qui circulent le plus.

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