Tatouage
La marche à l’amour
La Presse
C’est un projet original, un peu fou. Celui de mettre en mouvement, par l'entremise d'un tatouage collectif, l’écriture du poète québécois Gaston Miron. À l’issue du processus amorcé en 2011, les 189 vers du poème
seront portés par des volontaires, amoureux de la langue. Jusqu’à maintenant, une trentaine de vers ont été attribués.« C’est poétique de penser que, une fois tous les vers tatoués, le poème sera véritablement en marche sur la peau de différentes personnes, que l’écriture sera en mouvement, hors du livre », affirme Chantal Bergeron, instigatrice du projet.
L’idée a germé dans la tête de Mizaël Bilodeau, bénévole de l’organisme Le Printemps des Poètes. Il a soumis l’idée d’organiser un tatouage littéraire collectif totalement québécois, inspiré par le projet Skin de Shelley Jackson. Chantal Bergeron, poète et coordonnatrice du Mois de la poésie, a saisi la balle au bond et fait naître le projet
Pourquoi La marche à l’amour ? C’est « le plus beau poème d’amour écrit, toutes époques et espaces géographiques confondus, explique-t-elle sur sa page web. Le poème est, bien évidemment, magnifiquement bien écrit, mais au-delà de ses qualités littéraires, il me touche et parle de manière sensible à mes cordes intimes d’amoureuse et de citoyenne du monde, de femme et de Québécoise. À chaque nouvelle lecture ou écoute du texte je demeure bouleversée et je suis certaine que ce choc, ce sentiment viscéral, est partagé ». Le poème de Miron offre une multitude de vers « tous forts, tous beaux, touffus et foisonnants de sens et de métaphores », nous dit-elle.
Alors que le tatouage est un geste hautement individuel, Chantal Bergeron souhaite créer ainsi un « tatouage tourné vers les autres », « une communauté formée de liens invisibles ». Elle aimerait éventuellement en faire un poème visuel, une mosaïque de tatouages photographiés. D’ici là, les participants doivent se faire plus nombreux. « Je sais que c’est un projet à long terme, je ne mets pas de date limite. Certains en sont à leur premier tatouage, d’autres sont à ramasser les sous pour passer à l’action. Ça demande réflexion. »
Plusieurs participants sont issus du milieu de la poésie. Mais pas tous. « C’est la beauté de la chose, je souhaite créer un pont entre les gens de tous horizons. »
Professeure de mode à l’UQAM, Mariette Julien a son idée sur ce projet. « Les gens se cherchent des projets marginaux, créatifs. Il y a une quête de l’avant-garde. En même temps, il y a un intérêt pour le local, le communautaire, les racines. On le voit en mode, en gastronomie, en littérature. On veut faire partie d’un projet rassembleur, l’humain est grégaire de nature. »
Artiste-peintre et poète Pierre-Gabriel Nepveu, 48 ans, est emballé par le projet. «
est un poème qui date en fait de temps, mais qui est très actuel en matière de portée humaine. J’aime l’idée que les mots soient véhiculés sur différentes couleurs et textures de peau, par des hommes et des femmes, chacun avec sa façon unique de les présenter, chacun touché différemment par l’écriture. L’aspect collectif m’a tout de suite plu. »Il s’est fait tatouer cette semaine. Il a choisi le vers « frappe l’air et le feu de mes soifs ». « Ça exprime très fort le rapport à l’autre, le rapport amoureux et ce, avec les éléments de la terre, l’air et le feu, qui ramènent à quelque chose de très concret. Il y a un aspect presque religieux dans ce vers, et aussi très charnel. C’est très peu de mots pour écrire quelque chose de puissant. »
De prime abord, Angélique Soleil Lavoie, 27 ans, n’était pas tentée par le tatouage. « Je ne suis pas vraiment le genre tête de mort, je souhaitais quelque chose qui me ressemble. Je me suis tout de suite sentie interpelée par le projet. Mon amour des mots est maintenant inscrit dans ma peau. » Sur son omoplate, elle porte le tout dernier vers du poème : « dégagé de la fausse auréole de ma vie ». « J’ai choisi ce vers parce que je souhaite me dégager de mon désir de perfection, des fausses croyances spirituelles qui ont marqué mon enfance, me dégager de ce paradigme de pensées. L’auréole peut être causée par des nuages et j’ai vécu récemment des événements nuageux, le deuil de mon père, et je veux me dégager de la douleur, de la peine. Je veux être bien dans ma peau. »
Enseignante en francisation, Noémie Pomerleau-Cloutier, 35 ans, admire Gaston Miron. «
est un des plus beaux poèmes écrits au Québec. » Elle a choisi le vers « à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud » qu’elle a fait inscrire à la verticale, de son mollet vers son pied. « J’ai beaucoup voyagé et ça me rappelait la vie nomade aujourd’hui mise de côté. » Elle s’est offert ces mots pour son 34 anniversaire. « J’avais vécu une année difficile et je souhaitais faire peau neuve. Je pense que le tatouage peut nous changer, nous transformer. » Pierre-Gabriel Nepveu abonde dans le même sens. « Un tatouage peut nous faire sentir différent. Je porte des mots très près de moi comme humain. »À cela s’ajoute la fierté de véhiculer les écrits de Miron. « Le tatouage littéraire est particulier parce qu’on est porteur de mots, dit Noémie Pomerleau-Cloutier. Nous portons un trésor national. C’est d’autant plus important que la poésie n’est pas une forme d’art très valorisée de nos jours. » Elle surprend parfois des curieux se tordant le cou pour lire son tatouage. « Souvent, j’explique. Plusieurs Québécois ne savent même pas qui est Gaston Miron. Je suis porteuse de ses mots, une ambassadrice. »
Angélique Soleil Lavoie ajoute : « Ce qu'a fait Gaston Miron est tellement beau que ses mots tatoués nous apportent immanquablement la beauté. »
Plus d’info : lunettesroses.com/la-marche-a-lamour/