Sois sexy ou meurs !
La Presse
Les Jeux olympiques de Sotchi donnent lieu à une avalanche de reportages photo d’athlètes, surtout des filles, dans des poses sexy. Pourquoi ?
La photo montre la joueuse de curling Anna Sidorova vêtue de lingerie fine, talons aiguilles aux pieds, accroupie à quatre pattes devant sa pierre de curling. La skieuse américaine Julia Mancuso, elle, pose en bikini (!). Le reportage publié dans la
il y a quelques jours est affublé du sous-titre « sex-appeal ». Et le titre : « Elles font monter la température à Sotchi ».Dans
, on demande plutôt aux lecteurs d’élire la plus belle athlète de Sotchi. Par le passé, le magazine a déjà publié une galerie photo de sportives accompagnée de cette mention : « Elles sont belles, athlétiques et charismatiques. Qui sont ces sportives qui nous font tourner la tête ? Petit tour d’horizon des plus ravissantes ambassadrices de la planète sportive. »Les Jeux olympiques devraient célébrer la force et la puissance des athlètes féminines en s’attardant sur leur performance sportive. On nous montre plutôt des images hypersexuées et on nous parle de séduction. Comme le dit si justement le magazine
: « Les médailles ne suffisent pas. Les athlètes féminines doivent vendre leur côté sexy. »Pour Martine Delvaux, professeure de littérature à l’UQAM et auteure du livre
paru l’automne dernier aux Éditions du remue-ménage, ce traitement est typique. « On dévalue constamment les filles », lance-t-elle.Même son de cloche chez Josette Brun, professeure au département d’information et de communication à l’Université Laval. « Ces images réduisent ces athlètes de haut niveau à leur beauté, observe-t-elle. Dans la plupart des cas, rien ne rappelle le sport dans les photos. Dans d’autres cas, les postures suggestives et la quasi-nudité dissocient femmes et sport. Ça ressemble aux images de femmes presque nues étendues sur le capot d’une voiture dans les publicités. »
On répondra qu’il existe plusieurs reportages consacrés à la beauté et à la séduction des athlètes masculins. Au début de la semaine dernière, on commentait en outre beaucoup les fesses du patineur Charles Hamelin dans les réseaux sociaux. Mais ces commentaires et ces photos ont-ils le même impact ? « Quand on dénude un homme comme David Beckham, par exemple, on le met en valeur et sa nudité lui donne de la puissance, note Martine Delvaux. C’est différent pour les filles. Les athlètes féminines sont dangereuses, alors on les hypersexualise pour minimiser leur puissance. Vous remarquerez qu’on voit rarement des femmes joueuses de basketball dans ce type de reportage. Ces filles sont très grandes, portent des costumes très masculins, elles ne sont pas féminines. Or une fille doit être baisable. »
« La connotation n’est pas la même parce que l’association féminité-beauté comme exigence sociale est culturellement beaucoup plus forte, renchérit Josette Brun. C’est parce que ces images viennent en appuyer tant d’autres de même nature qu’elles sont puissantes. »
Les médias devraient-ils cesser de publier des reportages consacrés au corps des athlètes ? Absolument pas. Chaque année, le magazine du réseau ESPN publie
, un numéro aux photos magnifiques qui insistent davantage sur la mécanique du corps que sur son potentiel de séduction. La superbe série , photographiée par Jean-François Bérubé, montrait elle aussi des corps d’athlètes québécois photographiés avec respect, preuve qu’il est possible de faire de belles photos sans tomber dans les clichés.