RÊVER MONTRÉAL

Vive Montréal. Vive Montréal libre !

Ce dont Montréal a besoin, c’est d’un premier ministre qui se présentera au balcon de l’hôtel de ville en clamant : Vive Montréal ! Vive Montréal libre !

Certes, le contexte qui prévaut actuellement dans la métropole, avec la corruption, la collusion, les révélations et insinuations, incite plusieurs observateurs à exiger plutôt de Québec un resserrement de la bride. À leurs yeux, une plus grande implication du gouvernement est nécessaire pour contenir la propension de Montréal pour le vice…

Or au contraire, la seule manière de responsabiliser la métropole, d’accroître son imputabilité, d’améliorer la reddition de comptes est en lui donnant plus de pouvoirs, plus de latitude, plus d’argent…

Le problème de Montréal, en effet, c’est qu’elle a tous les atouts d’une métropole, mais qu’elle est traitée comme une banale municipalité assujettie au grand patron, le gouvernement. Son maître est donc à la fois le maire, le ministre des Affaires municipales, ses collègues des autres ministères impliqués dans la métropole et, bien sûr, le premier ministre.

Dans les faits, Montréal est sous tutelle implicite. Ce qui encourage, voire alimente la déresponsabilisation de ceux qui ne la dirigent donc qu’à moitié.

« À la lumière de la théorie de l’organisation, la Ville de Montréal est clairement et objectivement dysfonctionnelle, parce qu’elle répond à des sources d’autorité qui ne cessent de se multiplier et de se transformer avec les fusions et défusions des 20 dernières années », explique Denis Saint-Martin, professeur et chercheur spécialiste de l’administration et des politiques publiques à l’Université de Montréal.

« Il y a un problème d’immaturité politique et organisationnelle qui explique l’irresponsabilité politique à laquelle on assiste depuis plusieurs années, ajoute-t-il. Il faut donc plus de pouvoir pour Montréal, pas moins. »

En un mot, la métropole doit être traitée comme telle. Avec les pouvoirs et les revenus qui accompagnent un tel statut.

Il est en effet inacceptable que le gouvernement soit « l’opérateur » d’une métropole qui devrait plutôt jouir d’un véritable statut. Précisément ce qu’ont commencé à appliquer d’autres provinces comme l’Alberta, avec son Municipal Government Act, la Colombie-Britannique, avec son Community Charter, et surtout l’Ontario, avec sa plus récente Loi sur la cité de Toronto.

« L’Assemblée (législative de l’Ontario) reconnaît que la cité de Toronto, en tant que capitale de la province, est un moteur économique de l’Ontario et du Canada, peut-on y lire. Elle reconnaît que la cité joue un rôle important dans la création et le maintien de la prospérité économique et de la haute qualité de vie de la population de l’Ontario. »

« L’Assemblée reconnaît que la cité est une administration qui est en mesure d’exercer ses pouvoirs en pratiquant une saine gestion assortie de l’obligation de rendre compte. »

La métropole québécoise mérite un traitement similaire : une bonne reddition de compte, en échange d’une reconnaissance de son statut de gouvernement autonome et d’une diversification des revenus.

Car la raison principale pour laquelle Montréal est obligée de passer régulièrement le chapeau à Québec est sa forte dépendance à l’endroit de l’impôt foncier. Créature de la province, elle vit toujours sur le bon vieux modèle fiscal britannique et tire ainsi la majorité de ses revenus des taxes foncières (67 %).

Cela ne posait pas problème il y a 100 ans, quand Montréal n’offrait que des services à la propriété. Mais depuis, ses responsabilités se sont élargies, les normes imposées par Québec se sont multipliées, la part des services à la personne s’est considérablement accrue, etc.

Et pourtant, son assiette fiscale est toujours la même et toujours aussi dépendante d’un secteur : l’immobilier.

Cette situation a des avantages, mais aussi un énorme inconvénient : la métropole est coupée des retombées dont elle est responsable. Elle peut bien mettre de l’argent dans le Grand Prix ou les festivals, investir pour attirer plus de congrès ou de touristes, aménager son espace public pour se faire plus attrayante et conviviale, elle n’en tire pas un sou. Au contraire, elle augmente ses dépenses en entretien, sécurité, infrastructures… pendant que les gouvernements récoltent les taxes de vente.

Prenez le Festival de Jazz. Montréal doit payer pour la sécurité, l’entretien des lieux, les transports collectifs qui amènent les visiteurs sur place, l’impact des festivités sur la circulation. Mais que reçoit la ville en échange ? Des festivaliers et des touristes heureux qui consomment, vont à l’hôtel, mangent au resto et payent ainsi beaucoup de taxes provinciales et fédérales… mais aucun impôt foncier. On enrichit ainsi les gouvernements à Québec et Ottawa, mais pas la ville, qui se ramasse pourtant avec la facture.

Le phénomène touche toutes les municipalités. Mais il est encore plus criant pour Montréal… une situation qui creusera de plus en plus le trou dans lequel les grandes municipalités s’enfoncent tranquillement.

L’économie des grandes villes se dématérialise, en effet. L’économie du savoir, dans laquelle brille la métropole, s’appuie sur l’innovation, la recherche, les cerveaux, non pas sur les usines. Or l’impôt foncier ne s’applique toujours pas sur la matière grise…

Ajoutez à cela une population vieillissante dont les besoins en logement diminuent, la montée du télétravail, du travail autonome et des transactions virtuelles, et vous maintenez Montréal non seulement dans une situation de tutelle administrative implicite, mais aussi dans une situation financière de plus en plus précaire.

Et après, on se demande pourquoi la métropole ne joue pas le rôle qu’elle devrait…

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