Au quotidien
Cuisiner avec les retailles
La Presse
Troncs de brocoli, pelures de pomme de terre, feuilles de carotte… Lorsqu’on cuisine, bien des aliments aboutissent aux ordures parce qu’on les croit inconsommables ou parce qu’on ne sait tout simplement pas comment les apprêter. À l’ère du bio, des aliments frais et de la consommation locale, gaspiller de la nourriture est le comble du paradoxe !
Dans le monde, 50 % des denrées alimentaires se retrouvent aux ordures
. Si une grande partie de ces pertes se produit au moment de la production et de la distribution des aliments, le gaspillage a aussi lieu chez nous, dans nos cuisines.Le projet Sauve ta bouffe, qui répertorie plusieurs astuces pour éviter le gaspillage, estime que 15 % de notre panier d’épicerie est jeté sans être mangé. En argent, cela équivaut à environ 50 $ par semaine.
« Ce que la plupart des gens perdent, ce sont les fruits et les légumes. La viande, ça s’apprête assez facilement dans la poêle. Comme ça coûte aussi plus cher, les gens ont l’impression que c’est plus important de ne pas gaspiller la viande », souligne Estelle Richard, organisatrice communautaire aux Amis de la terre de Québec et responsable du projet Sauve ta bouffe (www.sauvetabouffe.org).
Le plus souvent, les aliments dépérissent parce que les familles manquent de temps pour les apprêter, explique M
Richard. Mais le manque de connaissances et de techniques en cuisine est peut-être un autre facteur d’explication.Au printemps dernier, Estelle Richard s’est présentée devant un groupe de femmes pour donner un atelier sur les enjeux du gaspillage. « Les femmes les plus âgées ne comprenaient pas du tout le but de mon intervention parce que c’était inimaginable pour elles de gaspiller. Elles me disaient avoir vécu la Seconde Guerre mondiale ou des moments plus difficiles. Elles n’avaient pas le choix de faire des conserves, de récupérer tout ce qu’elles pouvaient et de manger la pelure des aliments. Ces connaissances se sont perdues avec le temps », raconte M
Richard.Normand Laprise, chef-propriétaire du restaurant Toqué !, abonde dans le même sens. Avec Charles-Antoine Crête, chef de la Brasserie T (« la petite sœur » du Toqué !), il parcourt le monde afin de donner une conférence intitulée
(cuisiner avec les retailles). « Dans le temps, on n’avait pas le choix de tout récupérer. C’était une question de survie. Les retailles de légumes, elles n’allaient pas à la poubelle. Les cochons les mangeaient, puis on mangeait les cochons. »Dans les deux restaurants de M. Laprise, les cuisiniers maximisent l’utilisation des aliments. La peau et les pépins des tomates sont transformés en eaux. Les queues de fraise servent aussi à préparer une eau. Les pieds de brocoli sont sautés comme des panais ou apprêtés en potage. Les résidus, s’il y en a, ne terminent pas leurs jours dans les ordures ; ils sont compostés.
Pour le réputé chef, il est plus que jamais important de pratiquer la récupération alimentaire. « De plus en plus, on dit qu’il y aura moins de nourriture dans le monde : moins de poissons, moins de légumes, moins de viande. Il faut être sensible à cela et vraiment essayer de maximiser ce que l’on peut faire avec nos produits », déclare-t-il.
En apprenant à mieux apprêter les aliments, les familles pourraient épargner sur leur facture d’épicerie, évidemment. Mais la lutte contre le gaspillage comprend aussi un enjeu environnemental majeur et préoccupant.
La culture des légumes, leur récolte, leur emballage et leur transport impliquent tous une dépense d’énergie. Si, au bout du compte, les aliments se retrouvent aux ordures, « d’un point de vue environnemental, c’est une aberration », soutient M
Richard. « En plus, les aliments, lorsqu’ils se décomposent, produisent beaucoup, beaucoup de méthane et de CO . Ces gaz, ce sont des gaz à effet de serre très puissants, malheureusement. »Et ce n’est pas tout. N’utiliser que les blancs de poireau pour préparer un gratin est aussi inconcevable d’un point de vue social, remarque-t-elle. Parce qu’avec la partie verte, un délicieux potage pourrait certainement nourrir quelques ventres affamés.
1. Institution of Mechanical Engineers