Science

Le nouvel arbre de la vie

Les poissons ont disparu. Les reptiles et les algues aussi. Les avancées de la génétique ont complètement chamboulé l’arbre généalogique du vivant et la notion de biodiversité. La Presse a rencontré Hervé Le Guyader, un biologiste français auteur des essais Classification phylogénétique du vivant, lors de son récent passage à Montréal. Voici quelques jalons de la phylogénétique et de ses conséquences pour la protection de la biodiversité.

Phylogénétique 101

La phylogénétique est la classification des êtres vivants non seulement par leurs phénotypes - leurs caractères comme les organes, par exemple - mais aussi par leur distance génétique sur l’arbre de l’évolution.

Les poissons

Génétiquement, la truite est plus proche de la vache que du requin. C’est le genre de conclusion iconoclaste dont raffole la phylogénétique. « En fait, le groupe des poissons n’existe plus en tant que tel », explique Hervé Le Guyader, professeur à l’Université Paris VI, en entrevue au Jardin botanique où il donnait une conférence. « Il est devenu le groupe des téléostéens, qui regroupe plus de 95 % des anciens poissons. Mais l’esturgeon, le cœlacanthe, le requin et la raie, entre autres, sont dans d’autres groupes. Classer les animaux selon leur apparence, leur phénotype, n’a plus de sens avec les avancées de la génétique depuis 40 ans. » Contrairement aux écoliers québécois, ceux de France apprennent déjà la nouvelle classification phylogénétique, sans poissons ni reptiles. « En France, quand le ministère de l’Éducation nationale décide une chose, tout le monde suit. »

Les reptiles

Un autre groupe a disparu à la suite des avancées de la génétique : les reptiles. Ils sont maintenant répartis entre archosaures et lépidosaures. Dans le premier groupe, le crocodile, la tortue et les oiseaux. Dans le second, les lézards et les serpents.

Les algues

Les algues ne sont dorénavant plus dans un seul groupe, mais sont divisées en 11 groupes distincts. Les cyanobactéries, les fameuses « algues bleues » toxiques qui empêchent la baignade, ne sont plus considérées comme des algues.

Les champignons

Même s’ils rappellent végétaux, les champignons et les truffes sont plus proches de l’homme que des fleurs ou des fougères.

Les ours polaires

L’an dernier, une étude allemande a montré que l’ours polaire s’est séparé de l’ours brun il y a 600 000 ans, et non 100 000 ans. Cela signifie qu’il a survécu à une dizaine d’ères interglaciaires, dont certaines ont vu l’Arctique complètement dépourvu de glace. Cette étude représente bien l’approche d’Hervé Le Guyader. « L’ours polaire est un emblème de la lutte contre les changements climatiques », dit M. Le Guyader, qui a notamment publié sur le sujet le livre Penser l’évolution. « On le voit sur son petit morceau de banquise, on se met à sa place. On oublie que c’est un formidable nageur et surtout qu’il peut s’accoupler avec le grizzly pour former des pizzlys. Certains pensent que ça diminue la pureté de l’espèce, mais ce qui est important, c’est que les gènes survivent, comme ils l’ont fait depuis 600 000 ans. »

Menace sur la biodiversité

« Actuellement, la durée moyenne de vie des espèces est de 10 000 ans, soit 100 à 1000 fois moins que durant la préhistoire », dit M. Le Guyader, qui en 2006 a dirigé une étude internationale ayant fait le portrait de l’ensemble des espèces de l’île d’Espiritu Santo, dans l’archipel du Vanuatu. « Environ 12 % des espèces d’oiseaux et 30 % des poissons sont menacées. Ceci dit, il est faux de comparer notre période aux cinq grandes extinctions. Dans celle de la fin du permien, il y a 245 millions d’années, 90 % des espèces animales ont disparu. »

L’île de Pâques

Dans son livre Collapse, le biologiste américain Jared Diamond a popularisé la thèse selon laquelle les arbres de l’île de Pâques ont disparu avant sa découverte par les Occidentaux, par surexploitation. Selon Hervé Le Guyader, c’est une erreur. « L’île est à la limite extrême de son écosystème. Les arbres y ont prospéré après l’arrivée des colons polynésiens il y a 1600 ans, parce qu’ils avaient des capacités horticoles très fortes. Quand le climat a changé légèrement, voilà 500 ans, il est devenu impossible pour les arbres d’y survivre. C’est une histoire de mauvais choix horticoles par des colonisateurs plutôt que de surexploitation. »

Un arbre en Amazonie

En 1982, le biologiste Terry Irwin de la Smithsonian Institution a arrosé d’un puissant pesticide un arbre en Amazonie. Au pied de l’arbre, il avait disposé des draps blancs pour y recueillir tous les insectes qui en tomberaient morts. Son expérience a chamboulé la biologie. « Il y avait autant d’espèces différentes qu’on en connaissait pour l’ensemble du continent, explique Hervé Le Guyader. On pensait alors qu’il y avait 1,8 million d’espèces différentes sur la planète. Il a fallu multiplier ce nombre par 10, voire par 50, du jour au lendemain. »

Orphée et Prométhée

Hervé Le Guyader distingue les biodiversités orphique et prométhéenne. La première considère la nature comme sacrée, cherche à éviter la disparition ne serait-ce que d’une seule espèce et a une fascination pour certains animaux « totémiques » comme les ours polaires, les éléphants ou les baleines. La seconde veut, comme Prométhée, maîtriser la nature. L’idée de conserver la diversité génétique et la santé des écosystèmes sans nécessairement protéger à tout prix toutes les espèces est plutôt prométhéenne.

8,7 millions : C’est le nombre d’espèces vivantes sur la planète, selon une étude de 2008. Certaines estimations vont jusqu’à 100 millions.

1,2 million : C’est le nombre d’espèces vivantes recensées dans le monde.

70 000  : C’est le nombre d’espèces vivantes recensées au Canada.

Sources : PLOS, National Science Foundation, McGill

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