Cyclisme  Dopage

Le point de bascule

Malgré ses ennuis, William Goodfellow se sentait incapable d’abandonner le vélo. « J’avais de la misère à faire le deuil, a-t-il expliqué. C’est très dur de se retirer d’un sport qu’on aime, quand tout le monde nous dit qu’on est performant, qu’on a du potentiel, qu’on est doué. »

De toute façon, il y avait toujours une équipe prête à lui fournir un vélo et des maillots. En 2014, il a été recruté par Silber Pro Cycling, une nouvelle équipe québécoise de niveau continental, la troisième division de l’Union cycliste internationale (UCI). Même sans salaire, il était emballé par l’encadrement de niveau professionnel. L’athlète de 26 ans croyait pouvoir relancer sa carrière.

« Avec ce que je vivais (sur le plan) alimentaire, ça me gardait un peu captif dans le vélo, a précisé Goodfellow. C’est pour ça que je voulais à tout prix demeurer dans le vélo et vivre ce rêve-là le plus longtemps possible. »

« À mon âge, la seule façon de continuer, c’est de progresser. J’ai ressenti cette pression de bouger vers des équipes plus performantes aussi. »

— William Goodfellow

Sous ses nouvelles couleurs, il a obtenu quelques places d’honneur au printemps sur le circuit provincial, dont une deuxième place au Grand Prix de Brossard. Pendant ce temps, son équipe s’est rendue au Nouveau-Mexique pour participer à sa première épreuve sanctionnée par l’UCI. Le Tour du Gila a viré au cauchemar dès la première étape, huit coureurs de Silber étant impliqués dans une chute collective. Deux blessés ont dû être héliportés vers l’hôpital.

Ébranlée, la direction de Silber a dû vite se retourner, embauchant deux bons coureurs, dont l’ex-champion canadien Ryan Roth. Pour Goodfellow, le vent a tourné à partir de là. Son équipe empruntait une trajectoire axée sur la performance et non le développement, sentait-il.

Après un abandon à la classique de Philadelphie, début juin, il a été largué dès la première étape du Grand Prix de Saguenay, ouvert pour la première fois aux seniors. Il a été forcé à l’abandon le lendemain. « J’ai vraiment fait ce que je pouvais avec ma préparation hivernale », s’est-il défendu.

Après s’être excusé à son équipe, Goodfellow est rentré chez lui avec le sentiment que sa situation devenait bien précaire. Invité à participer au Tour de l’Alberta, course par étapes la plus relevée au Canada, il en est venu à la conclusion qu’il devait faire des « gains exponentiels » s’il voulait poursuivre l’aventure avec Silber.

« On compétitionnait contre des équipes Pro Tour, des gars qui ont fait le Tour de France, les meilleurs coureurs au monde, a rappelé Goodfellow. Pis on prépare ça avec les Mardis de Lachine ? On s’entend que le niveau entre les deux n’est même pas proche. Donc, moi, il fallait que je me mette au niveau en l’espace de quelques semaines, à ma propre initiative. »

LE PASSAGE À L’ACTE

Goodfellow savait qu’il prenait des risques en s’injectant de la darbépoétine et en ingérant du clenbutérol. Pour la suite de sa carrière et pour sa santé.

« Le temps qu’on se dope, on pense tout le temps qu’on va se faire prendre, a affirmé le cycliste de 26 ans. La lutte antidopage a vraiment beaucoup progressé récemment. La détection des produits, c’est laissé un peu vague. Personne ne connaît les délais pour passer les tests. C’est donc très dur à dire. Moi, j’étais assez en confiance que ça allait être correct. Mais ça a l’air que non. »

Avant même de se rendre au Tour de l’Alberta, Goodfellow a dû remettre un échantillon d’urine à la suite de sa deuxième place aux championnats québécois d’Amqui. Les contrôleurs du Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES) étaient sur place pour mener des tests dans la catégorie des maîtres. Par l’entremise de leur association, ceux-ci défraient eux-mêmes les coûts reliés à ce type d’opération, explique Louis Barbeau, directeur général de la Fédération québécoise des sports cyclistes (FQSC).

Peu après son retour de l’Alberta, où il a abandonné sur chute à la quatrième étape, Goodfellow a reçu un courriel l’avertissant que son échantillon A était positif. Il s’est rendu coupable de facto en ne se prévalant pas de son droit de faire analyser l’échantillon B.

Dans l’intermède, Goodfellow a appris à son grand désarroi que Silber Pro Cycling ne renouvelait pas son contrat. « C’était une décision d’équipe basée sur une évaluation du coureur, ça ne concernait pas le dopage », a soutenu le propriétaire de l’équipe, Scott McFarlane, pour qui ce cas positif fut « un choc total », d’autant qu’il se prépare à annoncer l’arrivée de nouveaux commanditaires pour 2015 et 2016.

Goodfellow prétend que la direction n’a jamais abordé, « même de façon indirecte », le thème du dopage.

« À part rejeter les gars qui se font prendre, il n’y a pas vraiment de lutte antidopage dans les équipes. »

McFarlane réplique qu’une page complète des contrats est consacrée aux principes éthiques. « On passe à travers le contrat avec chaque coureur, qui initialise chaque page pour montrer qu’il l’a lue et comprise », a dit le propriétaire, réitérant la stricte opposition de Silber à l’usage de produits interdits.

Dans des communiqués distincts, la FQSC s’est dite « profondément indignée » par le contrôle positif de son membre, et Cyclisme Canada, « extrêmement déçue ». Le directeur général de la FQSC souligne que Goodfellow a été sensibilisé à la question antidopage, au même titre qu’Arnaud Papillon, positif à l’EPO en 2011.

« Il est de la même génération de coureurs qu’Arnaud, a rappelé Barbeau. Ils ont été éduqués. Ce n’est pas comme s’il s’agissait de coureurs de 35-40 ans ou de gens qui n’ont pas grandi dans cet environnement. »

Goodfellow savait très bien qu’il transgressait les règles. « Quand tu triches dans la société, tu sais que tu vas te faire prendre un jour. Tu te prépares à ça. Tu sais que ce que tu fais est mal. Quand tu te fais prendre, tu dis : écoutez, c’est vrai, j’ai des sensibilités, j’ai mal agi dans ce cas-ci, acceptez-moi un peu avec mes faiblesses. »

Sa sanction représente presque une délivrance. Sa suspension se terminera le 24 août 2016, une date insignifiante à ses yeux puisqu’il n’a pas l’intention de reprendre la compétition. Son grand regret est de ne pas avoir su s’arrêter à temps.

« On est censé s’épanouir dans le sport de haut niveau. Je regrette de ne pas avoir eu la maturité pour dire "stop" au moment où le sport affectait ma santé, ma santé mentale. » Après 11 ans dans le vélo, il ne lui reste que des « cicatrices ».

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