Cyclisme  Dopage

Avant la chute

Ancien espoir junior, William Goodfellow vivotait dans le cyclisme. À 26 ans, il espérait une relance avec une nouvelle équipe. À la traîne une bonne partie de l’année, il a senti le tapis glisser sous ses pieds. Après 11 ans dans le vélo, il ne voyait qu’une solution : se doper.

Goodfellow s’est fait prendre. Après sa deuxième place à la course sur route des championnats québécois d’Amqui, le 24 août, un échantillon d’urine a révélé la présence de deux substances interdites, la darbopoéïtine, une EPO de deuxième génération, et le clenbutérol, le même produit qui a fait tomber Alberto Contador au Tour de France 2010.

Le fautif a admis les faits. Le 27 novembre, le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES) a publié un communiqué annonçant que le cycliste de Dorval était suspendu pour deux ans.

« Je regrette, c’est sûr, mais je peux vous dire qu’humainement, je crois que c’était vraiment la seule option qui s’offrait à moi. »

— Williams Goodfellow, quelques heures après l’annonce de sa suspension pour dopage

Le cycliste sortait d’un cours de maîtrise à l’université. Dans un café désert du centre-ville, en cette fin d’après-midi, il a raconté son histoire. Son ton était calme, ses propos, tranchants. Pendant 45 minutes, il a décrit un parcours marqué par les frustrations, les désillusions et la maladie. Il semblait soulagé de quitter un sport dans lequel il s’était lancé avec enthousiasme à l’âge de 15 ans.

« De la façon dont je conçois le cyclisme aujourd’hui, je ne peux plus vraiment en faire partie, a-t-il constaté. C’est la chose la plus saine pour moi qu’une source extérieure me retire de ça. »

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À 18 ans, Goodfellow faisait partie des meilleurs coureurs juniors du pays. Deuxième du réputé Tour de l’Abitibi en 2006, il a ensuite représenté le Canada aux championnats du monde en Belgique. Les gens le félicitaient, louaient son talent.

Son passage chez les seniors, deux ans plus tard, a été ardu. Après quelques mois de compétition, il s’arrêtait. Puis, il recommençait, passant d’une équipe à l’autre tout en jonglant avec ses études en psychologie à McGill. En 2010, il a été sacré champion québécois sur route.

Au printemps, il a été recruté par une équipe belge de troisième division. « La ligue américaine du cyclisme », résume-t-il. Il a été témoin de rien, mais a senti « que dans ces régions-là, le dopage était pas mal monnaie courante ». L’expérience européenne n’a pas duré.

Opéré pour une hernie inguinale, il a annoncé sa retraite en 2012. L’année suivante, il a renoué avec la compétition, d’abord comme coureur indépendant, ensuite avec la petite équipe Guru.

« À 21 ans, quand je suis rentré à l’université, c’était vraiment le point critique, a relaté Goodfellow. J’avais une charge de cinq cours, dans une université et un programme super compétitifs. On nous demande de s’expatrier en Europe pour courir, d’être dans une forme incroyable en se préparant pour la saison dans des conditions hivernales. On demande de faire tout ça sans aucun argent. »

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Au fil du temps, le cycliste en est arrivé à ce douloureux constat : « J’ai découvert que je n’avais peut-être pas la meilleure génétique pour le vélo. »

Un médecin lui a appris que son hématocrite, soit la proportion de globules rouges dans le plasma sanguin, était relativement bas (38). « Pourquoi tu fais du cyclisme ? » lui aurait lancé ce médecin, laissant entendre qu’il n’avait pas les atouts pour réussir. « C’est le commentaire qui m’a le plus fait changer d’idée sur la façon dont je concevais le vélo », a affirmé Goodfellow.

Réalisant que sa puissance musculaire tendait à plafonner, il s’est mis à faire une fixation sur son poids, le seul paramètre de performance sur lequel il sentait avoir prise. Le rapport puissance/poids est devenu une préoccupation constante. Sa santé physique et mentale en a pris un coup.

« J’ai développé des troubles alimentaires sévères », a-t-il confié, évoquant l’anorexie et la boulimie. « J’ai été en traitement longtemps pour ça. C’est un peu la raison pour laquelle je continuais le vélo. C’était un peu malsain pour moi de continuer parce que ça jouait dans mon obsession pour le poids. C’est un bon milieu pour (en) être obsédé parce que tout le monde l’est. »

Selon Goodfellow, « les cyclistes sont presque prêts à tout pour avoir le poids le plus faible possible ». Sous-alimenté, il souffrait également d’anémie, une condition amplifiée par sa charge d’entraînement.

Il a sombré dans la dépression. Depuis cinq ans, il se soigne avec un antidépresseur prescrit par son médecin avec l’accord de sa thérapeute.

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