LE PORTEFEUILLE FICTIF 2018 DE LA PRESSE

DANS LA TEMPÊTE COMMERCIALE

À mi-parcours de l’année, les conflits commerciaux qui s’aggravent entre les États-Unis et les principales économies du monde bousculent les marchés boursiers déjà aux aguets pour les indices de fin de cycle. Tour d’horizon trimestriel avec les quatre experts du Portefeuille fictif de La Presse. UN DOSSIER DE MARTIN VALLIÈRES

Garder le cap dans la tempête

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier ou protéger le capital initial de 100 000 $ d’un REER autogéré. Dans ce troisième rendez-vous en 2018, ils reviennent brièvement sur le deuxième trimestre. Ils calibrent leur répartition pour lancer le troisième trimestre. Leurs recommandations sont fondées sur les indices de référence. Il n’y a ni choix de titres ni possibilité de modifier la répartition en cours de trimestre. Les rendements indiqués sont avant frais de gestion.

Risque de conflits commerciaux entre les États-Unis et les principales économies du monde. Risque de surchauffe inflationniste dans l’économie américaine et de hausse accélérée des taux d’intérêt. Risque de surévaluation boursière aux États-Unis alors que le reste de la planète boursière peine à tenir le cap.

Rarement l’équation risque-rendement, chère aux investisseurs sérieux, aura-t-elle été aussi compliquée à gérer. Qu’en pensent les experts du Portefeuille fictif de La Presse ?

Quel constat faites-vous sur le deuxième trimestre ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Ma pire surprise a été l’ampleur de la correction des marchés émergents, la Chine en particulier, avec un recul considérable de 10 % durant le trimestre.

« La dépréciation accrue du dollar canadien m’a aussi surpris, en dépit de la remontée du prix du pétrole, habituellement favorable. Ça suggère que les investisseurs étrangers ont plus d’inquiétudes économiques envers le Canada, liées au renouvellement ou non de l’ALENA [Accord de libre-échange nord-américain].

« En contrepartie, ma meilleure surprise du trimestre a été la vigueur soutenue de l’économie américaine, avec une croissance maintenant rendue autour de 4 ou 5 % en termes annualisés. C’est très fort. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« La remontée du prix du pétrole a eu un effet positif sur le gros secteur de l’énergie à la Bourse canadienne, qui traînait de l’arrière depuis le début de l’année.

« Mais sur la Bourse américaine, quand on regarde sous le capot, on constate que le secteur technologique, qui compose 26 % de l’indice S & P 500, a accentué sa domination sur le rendement de marché. Pendant ce temps, les grands secteurs cycliques [NDLR : industries, matériaux, services financiers, etc.] ont des difficultés, sinon sont déjà en début de correction. Ça devient inquiétant. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Le deuxième trimestre s’est avéré correct en fin de compte, alors que la volatilité s’est poursuivie à cette étape avancée du cycle économique et boursier.

« Toutefois, j’ai été un peu surpris par l’ampleur des escarmouches commerciales entre les États-Unis et les principales économies développées du monde.

« Aussi, les tensions budgétaires qui ont surgi d’Italie ont provoqué un sursaut de volatilité dans le marché obligataire en Europe et aux États-Unis, alors qu’on croyait ce marché déjà aligné avec le resserrement des politiques monétaires de leur banque centrale respective. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Un bon trimestre sur les Bourses nord-américaines en particulier, en dépit de l’actualité assez mouvementée pour l’économie et le commerce international. La Bourse canadienne profite de la remontée du pétrole pour contrecarrer, en partie du moins, les inquiétudes liées au sort de l’ALENA et des disputes commerciales avec les États-Unis. Quant à la Bourse américaine, elle profite encore de la vigueur de l’économie américaine et des hausses de bénéfices des entreprises. »

Quelles sont vos perspectives pour la suite ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Les marchés financiers et boursiers demeureront volatils au fil des disputes commerciales, des indicateurs qui permettront de jauger de la vigueur de l’économie aux États-Unis et de l’absence d’indicateurs de récession avant 2020.

« Entre-temps, je m’attends à ce que la Bourse américaine ait de la difficulté à poursuivre son élan à court terme, mais sans devenir un marché baissier avant quelques trimestres encore.

« En comparaison, la Bourse canadienne et les marchés émergents ont de meilleures chances d’offrir de bons rendements durant le troisième trimestre. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« Les signaux de fin de cycle économique et boursier se multiplient et ils ont de plus en plus d’impact sur le rapport entre le risque et le rendement en Bourse. Les principales banques centrales resserrent leur politique monétaire, les coûts d’intrants des entreprises augmentent [NDLR : matières premières, énergie, main-d’œuvre] et les principales économies d’Europe et d’Asie montrent des signes d’essoufflement alors que l’économie américaine tourne à un rythme de plus en plus insoutenable. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Je n’ai pas encore vu d’indicateurs laissant entrevoir la prochaine récession aux États-Unis avant 2020 ou 2021, ce qui laisse présager un contexte encore favorable en Bourse pour un certain temps.

« Entre-temps, le principal risque à l’encontre de ce scénario favorable demeure un dérapage des disputes commerciales et de la montée du protectionnisme entre les États-Unis et ses principaux partenaires économiques. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Le risque de conflit commercial entre les États-Unis et les autres principales économies du monde continuera de peser en Bourse. Mais sans doute moins sur la Bourse américaine que sur les autres marchés en raison de la vigueur de l’économie et des profits des entreprises aux États-Unis par rapport au reste du monde, où le ralentissement de la croissance se fait de plus en plus sentir. »

Où en est votre répartition d’actifs ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Aucun changement à court terme, même si des éléments de ma répartition au deuxième trimestre – plus d’encaisse et plus d’actions des marchés émergents, moins d’actions américaines – se sont avérés un peu douloureux. En fait, je considère cette répartition encore comme opportuniste jusqu’au prochain revirement boursier en marché baissier.

« Par ailleurs, la Bourse canadienne – 25 % de ma répartition – devrait continuer de faire relativement bien d’ici à la fin de l’année, après avoir traîné de l’arrière pendant plusieurs trimestres. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« C’est le temps de passer en mode défensif avec les placements, en particulier sur la Bourse américaine, quitte à retirer des billes en prévention d’une fin de cycle qui pourrait survenir d’ici 12 mois. C’est pourquoi j’abaisse ma répartition en actions à 52 % [comparativement à 67 % auparavant] et que je rehausse ma répartition d’obligations et d’encaisse à 48 % [comparativement à 33 % auparavant].

« Dans la portion en actions, je réduis de peu la répartition en EAEO [Europe, Asie, Extrême-Orient] mais [j’investis] davantage dans les marchés émergents, où il est trop tôt pour déterminer l’issue de leur récente correction. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Ma répartition entre actions, obligations et encaisse demeure inchangée. Toutefois, dans ma répartition d’actions, je diminue un peu la part du Canada en raison des incertitudes économiques liées au sort de l’ALENA et à la dispute commerciale avec les États-Unis.

« En contrepartie, je rehausse encore la répartition en actions américaines. Parce que les États-Unis demeurent la plus grosse machine économique de la planète, et l’une des plus vigoureuses pour l’avenir prévisible.

« Enfin, alors que ma répartition à l’EAEO [Europe, Asie, Extrême-Orient] est à peine diminuée, je réduis de moitié ma répartition dans les marchés émergents parce qu’ils sont les principaux perdants du contexte de guerre commerciale et d’appréciation du dollar américain. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Si on regarde surtout l’économie américaine, la conjoncture demeure positive en Bourse. Mais hors de l’économie américaine, il y a de plus en plus de bruits et d’eaux troubles, au point de défier le niveau de risque en portefeuille. C’est pourquoi, pour le troisième trimestre, je réduis ma répartition en actions internationales [EAEO et marchés émergents] et je rehausse un peu ma répartition en actions américaines. »

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