Littérature

L'écriture avant tout

La décision de Marie Laberge de publier elle-même la version numérique de ses romans, dont son plus récent, Mauvaise foi, fait jaser. Sans la juger, peu d’auteurs ont l’intention de lui emboîter le pas.

Byran Perro

Auteur de la série Amos Daragon et maintenant éditeur, Bryan Perro est un peu surpris par la réaction de l’Association des libraires. « Pour un Amos Daragon vendu en numérique, j’en vends 300 en format papier ! » Pour lui, les pertes que peut causer aux librairies la décision de Marie Laberge de vendre elle-même ses livres numériques sont minimes. « La vraie question, c’est : comment on atteint le monde avec le livre. Et toutes les manières sont bonnes. » Il peut comprendre la décision de l’auteure – il est lui-même maître des droits de ses romans parus chez un autre éditeur – , mais même si « tout le monde peut s’auto-éditer », tout le monde n’a pas la machine pour se faire connaître. La tâche de l’éditeur reste donc de donner vie au livre. « Mais si Marie Laberge a ses droits, qu’elle a la notoriété et qu’elle peut le faire, tant mieux pour elle. »

Michel Tremblay

Les livres de Michel Tremblay ne sont pas offerts en numérique et l’auteur n’a pas envie de proposer lui-même ses livres en ligne. L’auteur laisse sa maison d’édition (Leméac) négocier avec les fournisseurs. « Je ne suis pas contre l’idée. Ça fait quatre ans et demi que je lis des livres avec ma tablette. Je comprends que le monde de l’édition doit s’adapter aux nouvelles réalités. » Leméac résiste au numérique essentiellement pour des raisons de droits d’auteur, explique la patronne de la maison, Lise Bergevin. « Si Michel Tremblay venait me voir en insistant, je lui dirais : OK, mais je me dégage de mon obligation de protéger tes droits, parce que je sais que je ne suis pas en mesure de le faire. »

Arlette Cousture

Arlette Cousture s’est retrouvée au cœur de la controverse, hier, alors que son projet ne se compare pas à celui de Marie Laberge. L’auteure des Filles de Caleb publiera en ligne pour ses abonnés, toutes les deux semaines, des nouvelles qui formeront le recueil Pourquoi les enfants courent-ils toujours après les pigeons ?. Mais tous ses romans précédents sont offerts en format numérique et papier par son éditeur de toujours, Libre Expression, avec qui elle est très heureuse. « Je reste on Broadway avec tous mes livres. Je ne fais que tâter le terrain off Broadway avec ce projet, pour voir si c’est le fun. » Arlette Cousture ne s’en cache pas : elle a pris cette décision pour diminuer le nombre d’intervenants et augmenter ses revenus. « J’ai un peu le sentiment que je dois ouvrir le chemin. Mais il ne faut pas mêler les choses, je vais continuer de travailler avec mes éditeurs. »

Chrystine Brouillet

Chrystine Brouillet l’affirme d’emblée : elle ne comprend pas grand-chose à l’univers du livre numérique et jamais elle ne s’embarquerait dans un projet comme celui de Marie Laberge. « Je ne dis pas qu’elle n’a pas raison. C’est une femme de tête qui est capable d’aller négocier avec Apple. Moi, je suis trop inquiète pour me mettre dans ce genre de situation ! » L’auteure vedette, qui a d’ailleurs récemment engagé un agent littéraire, voit bien que le numérique prend de plus en plus de place. Mais pour l’instant, c’est son éditeur qui gère cet aspect de la diffusion de ses romans. « À chacun son métier. »

Éric Dupont

L’auteur de La fiancée américaine « croit à toutes les formes d’écriture ». « Tous les chemins mènent à Rome, dit-il. Si l’internet permet cette liberté, pourquoi ces deux auteures ne la prendraient-elles pas ? Au bout du compte, c’est évidemment le public qui décide d’adhérer ou non à un texte. Elles sont majeures et vaccinées, elles savent ce qu’elles font. En ce qui me concerne, j’ai appris à aimer l’espace de discussion qui s’est ouvert entre mon éditeur et moi. Il faut dire que je suis bien accompagné. Tous n’ont peut-être pas cette chance. »

Patrick Senécal

Patrick Senécal aurait la notoriété, mais il ne souhaite pas suivre la trace de Marie Laberge. « Cela serait trop compliqué pour moi. Moi, j’aime écrire. Tout le reste (mise en marché, édition, support, etc.) m’emmerde prodigieusement. » Il se demande aussi si les auteures se publient elles-mêmes, sans éditeur. « Si c’est le cas, ça m’inquiète un peu. J’ai l’impression qu’un job d’éditeur, aussi minime soit-il, peut être bénéfique à l’auteur. Les romanciers se sont toujours un peu moqués de l’auto-édition en affirmant que l’auteur, dans de tels cas, n’avait pas de recul. Ce serait le cas un peu ici, non ? Qu’on soit un auteur débutant ou une star de l’édition, il me semble que le regard de professionnels ne peut pas nuire. »

Kim Thuy

« Je suis très peu ambitieuse et je suis une mauvaise femme d'affaires. Alors, je préfère de loin que toute la partie distribution soit sous la responsabilité des professionnels du domaine. Et je ne suis pas une auteure aguerrie comme Marie Laberge. J'ai besoin d'un éditeur, d'un œil extérieur... »

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