Opinion  Attentats en France

L’autre France « profonde »

Quand certaines élites parisiennes parlent de la France profonde, c’est pour désigner d’une manière condescendante tous ces Français qui ont eu le malheur de naître « en province » et d’y être restés, au lieu de « monter » à Paris. Cependant, la France profonde que nous donnent à voir les médias depuis l’attentat du 7 janvier est d’une tout autre facture.

J’ai été profondément impressionné par le spectacle – à Paris comme partout en France – de ces foules silencieuses, recueillies, absorbées par leur chagrin. Les personnes qui acceptaient d’être interrogées après l’attentat tenaient des propos retenus, empreints d’émotion, de gravité et de vérité. Ici, pas de trémolos, pas d’agressivité, pas de hargne ni de récrimination. Et pas « d’amalgame », comme on dit maintenant, mais des commentaires posés qui évitaient de mettre bêtement en procès « les musulmans », « l’islam » ou « les immigrants ».

On pouvait entendre aussi l’ouvrier, la caissière et l’adolescent évoquer avec une grande sobriété et avec l’éloquence du cœur le devoir de chaque citoyen de sauvegarder les valeurs de la république : la liberté, la tolérance, la solidarité, la non-violence. Même chose chez les policiers, les fidèles de divers cultes, les journalistes confrères des victimes et leurs proches.

Enfin, la chose vaut d’être signalée, le président Hollande a montré beaucoup d’élévation dans ses interventions.

Tout cela reflétait l’héritage d’une culture trempée dans une longue histoire tourmentée et surmontée, ce qui est le matériau dont se nourrit la maturité des peuples.

Je n’ai relevé qu’une fausse note dans ce concert de décence et de retenue. Elle est venue de l’ex-président Sarkozy qui, lors d’une rencontre avec François Hollande au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, lui a recommandé de faire preuve de plus de fermeté dans sa réaction… Nicolas Sarkozy, on s’en souviendra, c’est celui-là qui, à titre de ministre de l’Intérieur, s’était engagé en 2005 à « nettoyer la racaille » des banlieues agitées où s’entassaient – et où s’entassent toujours – les immigrants sans emploi.

UNE FRANCE MODÈLE ?

Cette autre France profonde, qui est en train de servir au monde entier une belle leçon d’humanité, on aimerait la voir et l’entendre plus souvent. Il s’en dégage une vraie grandeur, très différente de l’ancienne, faite trop souvent de pompe et d’arrogance. C’est la France des Lumières, pionnière de la démocratie et de la tolérance, qui s’exprime là. Celle de Jules Ferry aussi, de Clémenceau, de Jaurès, et bien d’autres. Celle-là, oui, pourrait bien servir de modèle au Québec.

Se peut-il que cette France soit présentement en rupture avec ses élus ? Je songe aux politiques de l’État français en matière de gestion de la diversité. J’ai toujours pensé qu’il y avait une part d’islamophobie dans l’interdiction du hijab. J’ai toujours vu aussi un échec des politiques d’intégration dans l’exclusion sociale des Maghrébins, concrétisée dans le phénomène des « banlieues ». Et puis il y a ces destructions au bulldozer de campements de Roms, suivies du chargement manu militari de vieillards et d’enfants à bord de camions en vue de leur expulsion (la télévision française a montré ces images qui évoquaient une époque qu’on voudrait oublier).

On pouvait lire un état d’esprit bien différent chez ces Français en deuil, accablés, réunis autour de la blessure du 7 janvier, comme chez ceux qui ont défilé samedi et dimanche sur l’ensemble du territoire. Chez tous, on sentait une volonté de fraternité, un attachement aux valeurs de civilisation et un accueil à la diversité qui caractérise désormais cette société. Là, on reconnaissait le grand pays qui est la patrie des droits de l’Homme.

Cette France-là saura-t-elle prévaloir contre l’autre ? À suivre.

P.-S. : Un tweet attrapé au vol : « Ils voulaient mettre la France à genoux, ils l’ont remise debout. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.