Ottawa

Le SCRS et la GRC enquêtent sur de mystérieux appareils d’espionnage

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la police fédérale enquêtent sur des allégations indiquant que d’innombrables téléphones cellulaires auraient pu être espionnés près de la colline parlementaire et du bureau du premier ministre dans les derniers mois, a affirmé hier le ministre fédéral de la Sécurité publique Ralph Goodale.

Une enquête menée par CBC/Radio-Canada a permis de découvrir que des intercepteurs d’IMSI – un numéro permettant d’identifier un téléphone – avaient été à l’œuvre à Ottawa en décembre et en janvier derniers. Ces appareils peuvent accéder à la liste des numéros entrants et sortants d’un téléphone et même écouter des conversations téléphoniques ou lire des messages textes. Pour ce faire, l’intercepteur piège les téléphones cellulaires en imitant le signal d’une antenne téléphonique.

Radio-Canada a repéré ces intercepteurs en utilisant un « CryptoPhone », un appareil spécialisé. Les intercepteurs fonctionnaient au centre-ville d’Ottawa, notamment au marché By, sur la colline du Parlement et dans le secteur de l’ambassade des États-Unis. Ainsi, des centaines, voire des milliers d’élus, lobbyistes, journalistes, hommes d’affaires et représentants étrangers ont peut-être été espionnés. Radio-Canada a aussi confirmé la présence d’intercepteurs d’IMSI en utilisant un autre équipement sophistiqué. Les propriétaires de ces équipements d’espionnage n’ont toutefois pas été identifiés.

Des intercepteurs puissants

Les pouvoirs des intercepteurs d’IMSI vont même au-delà de la simple écoute d’appels téléphoniques, selon le fabricant du CryptoPhone. « Ils peuvent suivre la trace de votre téléphone, […] vous empêcher de faire des appels et peuvent envoyer de faux messages en votre nom », a dit à Radio-Canada Les Goldmisth, président d’ESD America.

Après avoir discuté avec les grands patrons de ces deux agences, le ministre Goodale a assuré hier, en mêlée de presse à la Chambre des communes, que le SCRS et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) n’avaient pas utilisé ces appareils à Ottawa.

« L’activité dont il a été question dans le reportage [lundi] soir n’implique pas, je répète, n’implique pas une agence canadienne comme la GRC ou le SCRS. »

— Le ministre Ralph Goodale

Le fait d’un pays étranger ?

Le principal suspect derrière ce stratagème d’espionnage est un gouvernement étranger, soutient l’analyste en sécurité nationale Dave Charland. « C’est mon hypothèse principale. Ç’a été détecté près du parlement et des ambassades, des endroits où des gens détiennent de l’information confidentielle, secrète et très secrète. Pour un gouvernement étranger, le buffet est là. Il n’y a pas une place au Canada où il y a une aussi grosse concentration d’agences et de ministères », a expliqué l’ex-agent du SCRS, en entrevue avec La Presse. La piste du crime organisé lui semble peu probable en raison du secteur visé. « Les débats parlementaires, ça ne les intéresse pas », a-t-il résumé.

Quelles informations un pays étranger cherche-t-il à obtenir de cette façon ? « Tout ce qu’il ne peut pas obtenir de façon diplomatique, comme des renseignements économiques, quelle est la position du Canada sur certains enjeux mondiaux, le Canada veut voter pour quoi à la prochaine résolution de l’ONU ? Toute information qui risque de donner un avantage au pays qui espionne », soutient Dave Charland, qui rappelle que l’agence d’espionnage électronique canadienne, le Centre de la sécurité des télécommunications, détient un tel mandat.

La responsabilité du scrs

Selon Dave Charland, les agences de renseignements canadiennes sont certainement au courant que de tels appareils d’espionnage se trouvent par moment dans la capitale. « Qu’ils ne soient pas au courant de ça, je serais fichtrement surpris ! Une partie importante du mandat du SCRS, c’est de recueillir des renseignements sur l’espionnage et le sabotage », explique-t-il.

Le ministre Ralph Goodale ne s’est pas prononcé hier sur l’origine de cet espionnage. Il a toutefois confirmé que le SCRS détenait cette technologie. « Comme la plupart des services policiers et de sécurité dans le monde, les agences canadiennes ont cette technologie à leur disposition. Par contre, elle n’est utilisée qu’en conformité avec la loi et avec l’approbation des autorités compétentes », a dit le ministre Goodale.

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