Indonésie

Deux candidats aux antipodes

L’Indonésie, ce géant dont on parle trop peu, choisit demain un nouveau président. Entre un homme du peuple friand de bains de foule et un ancien homme fort du dictateur Suharto, les Indonésiens ne pouvaient être placés devant un choix plus tranché. Voici cinq raisons de suivre cette joute électorale.

L’ÉLECTION EST GIGANTESQUE

Pas moins de 187 millions d’électeurs sont appelés aux urnes demain, soit près de 8 fois plus qu’aux dernières élections fédérales canadiennes.

Après l’Inde et les États-Unis, l’Indonésie est la troisième démocratie de la planète par sa population. Fait aussi rare que surprenant, l’ancienne dictature, après la chute du général Suharto, en 1998, a épousé la démocratie avec succès et rapidité.

« En 1998, peu de gens auraient parié sur la démocratie en Indonésie. On aurait tous misé sur la Thaïlande. Or, aujourd’hui, malgré des problèmes, l’Indonésie semble l’une des démocraties les plus stables de toute la région », observe Dominique Caouette, directeur du Centre d’études de l’Asie de l’Est de l’Université de Montréal.

LE VOTE PEUT TOUT CHANGER

Difficile de penser à deux candidats plus différents que ceux qui s’affrontent pour la présidence. Joko Widodo, surnommé Jokowi, est décrit comme rafraîchissant, moderne et anticonformiste. Ancien marchand de meubles, l’actuel gouverneur de Jakarta est friand de bains de foule, où il apparaît souvent vêtu d’un simple t-shirt de heavy métal. Perçu comme près du peuple, il a la réputation d’être incorruptible, une qualité rare chez les politiciens indonésiens.

Son rival, Prabowo Subianto, a été général de l’armée du dictateur Suharto, dont il est aussi le gendre. « Il a un lourd passé », dit Jacques Bertrand, professeur au Centre d’études sur l’Asie du Sud-Est de l’Université de Toronto. L’unité qu’il commandait a notamment été accusée d’avoir enlevé, torturé et tué des protestataires à la fin du régime.

« S’il est élu, il risque de tenter de s’arroger de plus en plus de pouvoir, dit M. Bertrand. Du point de vue de la démocratie, ce serait une moins bonne nouvelle. »

LES CANDIDATS SONT À ÉGALITÉ

Porté par une immense vague de popularité, Jokowi semblait voguer vers la victoire il y a quelques mois à peine. Mais les sondages montrent que Prabowo Subianto est actuellement dans une impressionnante remontée. Soutenu par plusieurs hommes d’affaires qui craignent de perdre leurs privilèges, il a l’appui de nombreux médias et joue la carte nationaliste, notamment en attisant le ressentiment de la population contre la minorité chinoise.

« Prabowo incarne l’homme fort capable de prendre des décisions. Il y a une certaine nostalgie pour ce type de dirigeant dans la population. »

— Jacques Bertrand, professeur au Centre d'études sur l'Asie du Sud-Est de l'Université de Toronto

« Il fait des gains importants hors de Jakarta, dans les régions éloignées, où il compte sur des réseaux de favoritisme locaux », observe Dominique Caouette.

L’INDONÉSIE EST UNE PUISSANCE ÉCONOMIQUE

L’élection présidentielle influera sur la trajectoire de la plus grande économie de l’Asie du Sud-Est, qui est aussi l’une de celles qui grandissent le plus vite sur la planète. D’ici à 2030, on estime que l’Indonésie sera la septième force économique du globe.

En campagne électorale, l’ancien général Subianto a fait plusieurs déclarations à saveur nationaliste, affirmant que les étrangers « volaient » les ressources du pays.

« Il faudra voir, s’il est élu, s’il maintiendra ce discours. Tout le monde est conscient que l’Indonésie fonctionne bien dans la mesure où les investissements étrangers entrent et où la croissance est au rendez-vous », commente l’expert Jacques Bertrand.

Selon Dominique Caouette, Jokowi risque de son côté de pencher pour l’intégration de l’économie de l’Indonésie à celle de ses voisins.

L’INDONÉSIE EST LE PLUS GRAND PAYS MUSULMAN

Ce n’est pas banal dans le contexte mondial actuel : le pays qui élira demain un nouveau président est la nation musulmane la plus peuplée du globe. Ici, les experts se réjouissent. Malgré quelques flambées d’extrémisme ici et là, l’Indonésie est vue comme un pays musulman modéré, et ni Jokowi ni Prabowo Subianto ne peuvent être décrits comme islamistes.

« La campagne présidentielle confirme que l’islam n’est pas un enjeu politique en Indonésie, dit Jacques Bertrand. C’est très positif pour l’Indonésie et pour le monde musulman. L’Indonésie continue de montrer l’exemple d’une démocratie musulmane qui fonctionne bien. »

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