Chronique

Lettre à une jeune travailleuse

J’ai dû relire ma chronique de samedi sur les milléniaux, parce qu’avec tout ce qui s’en est dit ce week-end, et tout ce qu’on lui a fait dire, j’en suis venu à être confus face à ce que j’avais vraiment écrit.

Coudonc, ai-je écrit que les milléniaux étaient tous des paresseux insupportables ?

Je relis la chronique…

Non. Pas écrit ça.

Même que j’ai écrit ceci, dès le deuxième paragraphe : « Je n’ai rien de particulier contre ta génération. Je ne suis pas de ceux qui pensent que vous êtes insupportables, trop centrés sur vous-mêmes, trop peu respectueux des traditions… »

Et je te jure, chère milléniale : je pense exactement ça.

C’était une lettre ouverte sur les jeunes et le travail, au fond, sur les jeunes qui se lancent sur le marché du travail. Ce que je disais était simple, écrit dans un français clair : ce qui va vous distinguer, c’est de travailler. Pas « avoir un travail ». J’ai écrit ceci : « Travailler fort : c’est moins répandu qu’on ne le croit. »

Je pense chaque mot. Je le réécris ici. Travailler fort est moins répandu qu’on ne le croit.

Mais je relis cette chronique et, chère milléniale, je présente un mea maxima culpa bien senti : j’aurais dû préciser que j’aurais pu écrire cette chronique à propos de ma génération, les X, quand nous-mêmes montions.

En cela, je suis moi aussi tombé dans le piège du marketing en nommant ta génération. Peut-être aurais-je dû titrer cette chronique « Lettre à un jeune travailleur ».

L’inspiration de ma chronique de samedi est une vieille expression anglaise que je dis et que je répète quand on m’invite à aller faire des conférences dans les cégeps ou les universités : « Work trumps talent every time ». Le travail prime le talent, tout le temps.

Le talent, les diplômes : ça ne suffit pas. C’est même un grand malentendu. Jeunes, aux études, on nous martèle l’importance des diplômes, des bonnes écoles, des bonnes notes. J’en suis. Mais on ne nous dit pas assez que le travail surpasse le talent, tout le temps.

Eh oui, ça s’applique même à la génération la plus diplômée de l’Histoire, la tienne. Parce que les diplômes, c’est bien, c’est nécessaire, c’est utile…

Mais si tous ceux qui sont en concurrence avec toi sont hyper-diplômés, qu’est-ce qui va faire la différence, selon toi ?

Eh oui, le travail. On n’en sort pas.

Comment, quoi ? Le marché du travail est plus dur aujourd’hui qu’à mon époque ? Ah, comme on me l’a sortie, celle-là, depuis deux jours…

Bullshit.

Le taux de chômage

Le taux de chômage au Québec est à son plus bas depuis 40 ans, deux bons points de pourcentage de moins qu’à mon époque, en 1995. Ça ne veut pas dire que c’est plus facile pour toi que ça ne l’était pour les X de 1995, ma cuvée. Ça ne veut pas dire que la précarisation naissante à mon époque ne s’est pas accélérée pour les tiens.

Ça veut dire que c’est toujours dur pour ceux qui commencent, qui cherchent à percer, à créer les conditions pour être heureux au travail.

Toi et tes amis milléniaux avez été mille à me dire que vous ne vouliez pas vous tuer à l’ouvrage, comme vos parents ; que vous vouliez un travail inspirant et utile, dans lequel vous pourriez vous accomplir, contrairement à vos parents…

Coudonc, vos parents sont-ils nés en 1950 et sont-ils entrés à la mine de charbon en 1965 ?

Parce qu’à vous entendre, TOUS les « vieux » ont eu des carrières alimentaires dans des emplois à rendre fous. Mais bon, c’est noté : la généralisation, c’est mal…

Je te trolle, dude – je te jure que j’appelle tout le monde dude, ce n’est vraiment pas pour singer un vieux qui essaie d’avoir l’air cool, yo – , mais tout le monde veut s’accomplir dans le travail sans s’y tuer. Tout le monde. Il y a des amis et des collègues de tes parents qui ont été heureux au travail, sache-le. Tu n’as pas inventé cette ambition.

Je répète : « Works trumps talent every time. » C’était le message de la chronique. Et si tu veux la critiquer, si tu veux critiquer celle-ci, de grâce, cite-moi au texte. Ne pourfends pas seulement ce que tu penses que je voulais dire.

Mais je m’égare…

Présentement, pendant que tu me lis, pendant que tu penses à ce que tu vas dire de méchant sur cette chronique sur Facebook, il y a une milléniale qui travaille comme une damnée et qui se positionne pour l’avoir, elle, son job de rêve. Pas juste celui qui va lui permettre d’aller à Bali l’été prochain. Ils sont des milliers comme elle, à utiliser leurs jobs de la vingtaine pour construire le socle de leur vie professionnelle. Non, je ne suis pas obsédé par le job. Par le bonheur.

Elle a compris que ça n’a rien à voir avec son étiquette générationnelle…

Et tout à voir avec elle.

Mais je sais, je suis une vieille pantoufle condescendante qui dit n’importe quoi…

Peut-être as-tu raison. Pour la pantoufle condescendante, je veux dire…

Mais pour les jobs de rêve, je suis un expert de calibre olympique.

Peace ?

LES ANNÉES

On m’a reproché d’avoir écrit que les milléniaux sont nés entre 1981 et 2001. Il est extrêmement hasardeux de déterminer les dates de naissance et de mort des générations, balises subjectives qui tiennent autant du marketing que de la démographie. Selon un article de l’Atlantic, la seule génération officiellement définie par le bureau du recensement américain est celle des baby-boomers (1946 à 1964).

Pour celle des milléniaux, les balises varient. Mais ce qui est constant : une vingtaine d’années, à partir du début des années 80.

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