Chronique

Libres, mais
à quel prix ?

PARIS — L’hélicoptère s’est posé tout doucement sur le tarmac de l’aéroport militaire de Villacoublay en banlieue de Paris à 8 h 52, heure locale, hier. À bord, les quatre journalistes français kidnappés par des djihadistes en Syrie. Pendant 10 mois, ils ont croupi dans une cave sans voir la lumière du jour, parfois enchaînés les uns aux autres.

Ils sont sortis de l’hélicoptère le visage pâle, les traits tirés, mais souriants. Le président François Hollande les a accueillis sur le tarmac. Derrière lui, les familles patientaient.

À une cinquantaine de mètres, des dizaines de journalistes se pressaient contre les barrières de métal qui bloquaient l’accès au tarmac. Pendant que les ex-otages tombaient dans les bras de leurs proches, un silence ému enveloppait la horde de journalistes. Seul le cliquetis des caméras qui mitraillaient la scène brisait le silence de ce petit matin frisquet.

Didier François, 53 ans, l’aîné du groupe d’ex-otages, est un habitué des terrains de guerre, Bosnie, Tchétchénie, Irak. Nicolas Hénin, 38 ans, est un passionné du Moyen-Orient. Il parle arabe et il allait en Syrie pour la cinquième fois lorsqu’il a été kidnappé. Les deux photographes, Édouard Elias, 23 ans, et Pierre Torres,
29 ans, sont des pigistes aguerris malgré leur jeune âge.

François Hollande s’est approché du micro planté sur le tarmac. Près de lui, les ex-otages. Nicolas Hénin tenait son bébé dans ses bras pendant que sa petite fille, collée sur lui, ne le lâchait pas d’une semelle.

Hollande s’est contenté de dire qu’il était fier de la France. Pas un mot sur les négociations avec les
ravisseurs.

Un seul ex-otage a pris la parole. 

« C’était long, mais on n’a jamais douté. Ce qui nous a touchés, c’est cette mobilisation, cet élan de générosité. Il y a quelque chose de fort. Les Français sont formidables. » 

— Didier François

Puis, il s’est tu. Il y avait trop de larmes dans sa voix.

Nicolas Hénin s’est arrêté quelques secondes près des journalistes qui lui ont arraché de rares confidences.

— Je suis débordé par l’émotion, a-t-il presque chuchoté. 

— Et vos conditions de détention ?

— Pas toujours faciles.

— Vous avez souvent changé de lieu ?

— Il y a eu pas mal de déplacements. On était plongés dans le chaos syrien, avec tout ce que ça veut dire.

— Vous avez été bien traités ?

— Pas toujours.

Il est parti rejoindre ses anciens compagnons de geôle qui l’attendaient dans un pavillon attenant avec les familles, François Hollande et quelques journalistes triés sur le volet.

***

Le président de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, faisait partie des rares privilégiés qui ont trinqué avec les ex-otages et le président Hollande.

« Ils rigolent, ils boivent des cocktails, a-t-il raconté. Le président Hollande passe d’un groupe à l’autre. Tout le monde blague. »

Qui a mené les négociations pour libérer les otages ?

« En France, c’est l’État qui négocie avec les ravisseurs, a-t-il répondu. Pas le privé ni les employeurs. La France s’occupe de ses otages. »

Hier, personne n’avait envie de parler du prix payé aux ravisseurs.

La France a-t-elle payé ? Le président Hollande a été catégorique. « L’État ne paie pas de rançon, a-t-il martelé. C’est un principe très important pour que les preneurs d’otages ne puissent être tentés d’en ravir d’autres. »

Pas d’argent, mais des négociations. Et quand on négocie, on donne. Qu’a donné la France ? Des armes ? Un échange de prisonniers ?

C’est l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui a enlevé les journalistes. Leurs combattants ne sont pas des enfants de chœur. Dans la mouvance djihadiste qui se bat en Syrie, l’EIIL a une réputation sinistre. C’est le groupe le plus radical. Il est reconnu pour ses exécutions sur la place publique, ses prises d’otages et ses décapitations.

Autre fait troublant, certains ravisseurs parlaient français. Selon le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, « il y a malheureusement des Français, des Belges et des Européens qui sont partis faire le djihad en Syrie ».

Les journalistes français qui couvrent les zones de guerre sont plus à risque. Ils représentent une proie de choix pour les criminels et autres groupes terroristes qui savent que la France négocie.

Mais si la France fermait la porte à toute discussion, ne sacrifierait-elle pas ses journalistes qui risquent leur vie pour informer le public ?

Il n’existe pas de réponses faciles.

***

Étienne Gernelle, le directeur du Point qui a dépêché Nicolas Hénin en Syrie, réfléchissait à voix haute devant une poignée de journalistes.

Ce jeune patron de 37 ans porte tout le poids du kidnapping d’Hénin sur ses épaules. Il répondait aux questions sans avoir peur d’étaler ses états d’âme.

— C’était la première fois que j’étais confronté à un kidnapping, a-t-il dit. Ça m’a fait un choc. Je me suis demandé si je n’avais pas fait une connerie.

— Allez-vous envoyer d’autres journalistes en Syrie  ?

— Pour l’instant, on fait une pause. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’enverra plus personne. Est-ce qu’il faut aller en Syrie à tout prix ? Je ne crois pas. Il n’y a pas de règles claires. Il faut réfléchir.

***

La première fois que j’ai été en Syrie, j’ai contacté Nicolas Hénin sur Facebook. Il ne me connaissait pas. Je n’étais qu’une obscure journaliste canadienne qui cherchait un moyen d’entrer en Syrie. Il m’a donné son numéro de téléphone cellulaire et nous avons parlé pendant une trentaine de minutes. Il m’a indiqué la route à suivre et il m’a donné des trucs et des conseils.

J’avais aussi joint le journaliste américain James Foley sur Facebook. Un vétéran de 39 ans qui sillonne les terrains dangereux. Lui aussi a fait preuve d’une grande générosité.

Foley a été kidnappé en Syrie en novembre 2012. Il est probablement détenu par le régime de Bachar al-Assad.

Est-ce que les Américains déploient les mêmes efforts que les Français pour sortir leurs journalistes des griffes des ravisseurs ?

James Foley est peut-être en train de se poser la question.

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