Chronique

Notre État providence est insoutenable à long terme

Supposons que vous veniez de naître. Je sais, je sais, vous ne pourriez pas lire cet article si vous étiez un bébé, mais supposons. Quand vous atteindrez l’âge de 35 ans, vers 2050, aurez-vous accès aux mêmes services publics au Québec avec les mêmes impôts que ceux qui ont 35 ans en 2014 ?

C’est à cette question, essentiellement, qu’a tenté de répondre un groupe d’économistes respectés, hier, en tenant compte d’une multitude de facteurs. Son étude est fort intéressante et pondérée, mais je vous avertis, les conclusions ne sont pas jojo. Et n’en déplaise aux rêveurs, il faudra retrousser ses manches et faire des choix douloureux.

L’étude de 66 pages a été réalisée pour le compte de la chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. L’équipe est notamment composée de Luc Godbout, Pierre Fortin et Matthieu Arseneau. On est loin des épouvantails d’extrême droite : Pierre Fortin et Luc Godbout ont démontré et vanté, entre autres, les avantages économiques des garderies à 7 $, une mesure sociale fort populaire.

Selon l’étude, donc, le déficit du Québec atteindra 17 milliards en 2030 et 62,7 milliards en 2050 si l’on ne change pas nos façons de faire. En termes relatifs, ce déficit équivaudra à 2,7 % du PIB en 2030, ce qui est trois fois plus important que le déficit du Québec cette année (0,9 % du PIB, ou 2,5 milliards). Ayoye !

Mais comment diable arrivent-ils à de telles horreurs, me direz-vous ? D’abord, un élément incontournable : le Québec a une population vieillissante, davantage qu’ailleurs. En 1971, il y avait 9,4 personnes en âge de travailler pour un retraité de 65 ans ou plus au Québec. Ce rapport est de 4,1 aujourd’hui et il sera de 2,1 en 2050.

On le sait, les personnes âgées coûtent beaucoup plus cher à soigner. Les dépenses de santé accapareront donc une part de plus en plus grande du budget de l’État. Selon les économistes, ces dépenses augmenteront de 1,7 % de plus que l’inflation d’ici 30 ans, une hypothèse prudente si l’on tient compte que cette croissance a été de 1,9 % de plus que l’inflation ces dernières années.

L’étude fonde ses hypothèses sur des projections de population modérée, grâce à un indice de fécondité stable (1,65 enfant par femme) et à un solde migratoire positif (30 000 personnes de plus par année). Selon l’étude, le taux d’emploi grimpera jusqu’à 80 % chez les 15-54 ans, entre autres (76,5 % aujourd’hui).

Parmi les autres hypothèses importantes, les économistes estiment que le PIB croîtra de 1,4 % par année, après inflation, grâce à une amélioration annuelle de la productivité de 1 % à 1,25 % (comparativement à 1 % depuis 30 ans). Le taux d’inflation serait stable, à 2 %. L’équipe de chercheurs fait aussi des hypothèses prudentes concernant les dépenses d’éducation, le service de la dette et les transferts fédéraux.

Bref, le scénario de base de l’étude est loin d’être farfelu. Les dépenses de santé grimperont moins vite, les gens seront plus nombreux à travailler, grâce à l’immigration, et la productivité sera plus grande qu’aujourd’hui.

Évidemment, la projection est beaucoup moins probable à long terme qu’à court terme. Tout de même, selon les chercheurs, le gouvernement du Québec se dirige tout droit vers un déficit de 3,7 milliards dans 6 ans, en 2020, et de 17,1 milliards dans 16 ans, en 2030.

L’étude se penche sur un scénario plus optimiste, mais encore là, la structure actuelle de l’État nous mène vers un déficit de 6,3 milliards en 2030 (0,9 % du PIB). Dans le cas du scénario pessimiste – mais je n’ose pas y penser –, le déficit serait de 34 milliards en 2030 (5,7 % du PIB). Je serai alors à quelques années de la retraite.

Les chercheurs se défendent de vouloir être apocalyptiques. Hier, durant la présentation, des économistes de la salle ont même fait remarquer que l’étude ne prenait pas en compte la croissance de la dette que causeraient les déficits récurrents, ce qui ferait croître encore davantage les problèmes.

« Nous sommes vulnérables avec la dette. Et attention, les taux d’intérêt réclamés sur la dette augmentent très vite en situation de crise », commente le professeur de finances Yves Trudel, de l’UQAM.

Luc Godbout le reconnaît candidement : ces déficits récurrents ne se réaliseront probablement jamais, puisque les décideurs politiques devront réagir au fil des ans. Toutefois, les scénarios, même les plus optimistes, sont limpides : la structure actuelle de l’État et la prestation de services publics sont insoutenables au Québec à long terme.

Que faut-il faire ? « Trouver du pétrole », lance Pierre Fortin, mi-figue, mi-raisin.

Pour ma part, j’en conclus que les bébés de 2014 paieront plus d’impôts quand ils auront 35 ans en 2050 et qu’ils auront moins de services publics. À moins que plusieurs de ces bébés s’appellent Laurent Beaudoin, Alain Bouchard, Guy Laliberté ou Céline Dion.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.