CHRONIQUE

Des marathons
pour « la santé » ?
Euh… non

Dans quelques jours, je serai au milieu d’un peloton de
36 000 coureurs, dans la ville de Hopkinton, point de départ du 118e marathon de Boston.

Tout en avant, des Kényans, des Éthiopiens et quelques autres qui feront ça en 2 h 4 min. Tout en arrière, des amateurs qui courent en six heures pour des organismes de charité.

Et au milieu, toute la gamme des coureurs amateurs, coureurs du dimanche (et du mardi, du mercredi, du jeudi…). Cette masse d’amateurs courra les 42 km entre 2 h 30 min et 5 h. Tous, cependant, ont dû se qualifier pour obtenir leur dossard – les temps de qualification varient en fonction de l’âge et du sexe. Les « naturels » l’ont fait dès leur premier marathon. La plupart ont dû courir deux, trois, cinq (comme moi) ou dix marathons pour enfin avoir leur « temps » et leur ticket pour Hopkinton.

C’est une gang un peu particulière, donc. Plusieurs « Bostoniens » prétendront qu’ils n’y vont que pour la participation. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il leur a fallu chercher à s’améliorer. Il leur a fallu entrer en compétition avec eux-mêmes. Il leur a fallu vérifier de près les temps, les stratégies, le volume d’entraînement…

Bref, personne n’est là pour jogger ou pour maintenir sa « santé ». Ils sont là pour gagner contre eux-mêmes, contre le temps, contre la mort…

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Le marathon, en soi, est une forme d’activité physique abusive. Ça n’a l’air de rien maintenant qu’on multiplie les ultramarathons, les Ironman, les courses dans le désert, en montagne, en forêt profonde, etc.

Sauf que le marathon est physiologiquement excessif pour la plupart des êtres humains. Les réserves de glycogène dans nos muscles sont vidées après une trentaine de kilomètres, et tout l’art du marathon consiste pour l’amateur à gérer l’inévitable pénurie. Running on empty, comme chantait Jackson Brown…

Alors, n’écoutez pas trop les chantres de la santé par le marathon. Courez-en si ça vous chante, c’est une expérience formidable. Mais de grâce, pas pour « se mettre en forme ».

On voit encore des gens sauter sur un programme d’entraînement au mois d’avril pour courir le marathon de Montréal au mois de septembre, sans avoir fait le moindre kilomètre avant.

Ça se fait, bien sûr. Mais c’est une mauvaise idée. On se met en forme d’abord et, ensuite, on s’entraîne spécialement pour un marathon. Autrement dit, c’est une condition nécessaire, pas un résultat à rechercher.

Pour « la forme » ou la santé, trois petites sorties par semaine suffisent, n’est-ce pas ? Quelques efforts bien mesurés. Inutile de courir les 60 à 100 km par semaine que suppose l’entraînement de marathon. Quinze ou vingt feront amplement l’affaire.

Mieux vaut construire patiemment son endurance, y mettre un ou mieux encore deux ou trois ans avec des distances plus raisonnables, progressives. Voir si on aime ça. Et ensuite s’inscrire à un marathon.

À moins, bien sûr, de vouloir se débarrasser de la chose et de ne plus jamais courir ensuite. À moins de vouloir s’en écœurer pour de bon.

Il faut en venir à aimer l’entraînement pour l’entraînement, pour ce qu’il procure, sans quoi c’est une torture absurde.

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Le sport, c’est la santé ? Sans doute, mais… Tous les sports, passé un certain niveau d’intensité, en viennent à avoir des effets adverses sur la santé.

À s’entraîner six jours semaine pendant des mois, il n’est pas rare qu’on se blesse. Le « rhume » du marathonien est un classique, deux, trois semaines avant le jour J, quand son volume d’entraînement est au maximum, son système immunitaire étant un peu à plat…

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Ça m’a frappé après quelques jours aux Jeux olympiques de Sotchi, que je couvrais pour La Presse.

Il y avait bien chaque jour trois ou quatre histoires renversantes d’athlètes canadiens « revenus de très loin ». Fracture d’un os de la jambe, du bassin, commotion cérébrale, déchirure des ligaments… Physio, ostéo, docteurs en tous genres…

Ils ne faisaient pas tous du ski slopestyle, comme Kim Lamarre, blessée si gravement qu’elle avait été exclue de l’équipe canadienne avant d’aller chercher le bronze.

L’entraînement olympique, par définition, consiste à pousser son corps dans ses ultimes retranchements. J’ai croisé là-bas Clara Hughes, cette nouvelle retraitée qui a remporté des médailles olympiques en cyclisme et en patinage de vitesse.

Alors, l’entraînement, Clara ? Plus jamais comme avant, m’a-t-elle répondu. J’ai fini d’abîmer mon corps en le poussant toujours plus loin, a-t-elle dit avec un sourire de soulagement.

Avant d’ajouter : « Le sport m’a procuré des “highs” comme je n’en ai jamais connu autrement ; ça compensait mes “downs”… Le seul problème, c’est que, maintenant, j’ai encore des “downs”, et je cherche la façon d’avoir des “highs” autrement… Je pense que je vais consulter un psy pour le reste de mes jours. »

C’est ça, l’affaire. Même pour l’amateur.

À un moment donné, on en vient à beaucoup aimer cette drogue-là. Elle est naturelle, en vente libre, sans effets secondaires. Mais c’est quand même une drogue…

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