Élections Québec 2014

Un Québec indépendant à l’image de l’Union européenne

OTTAWA — Une frontière ouverte avec le Canada, une monnaie commune, Pauline Marois a donné un aperçu de sa vision d’un éventuel Québec indépendant cette semaine, une souveraineté-association que plusieurs comparent à l’Union européenne. Le Vieux Continent peut-il servir de modèle advenant une victoire du Oui dans un référendum ? La Presse a sondé Patrick Leblond, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, et Charles-Emmanuel Côté, professeur de droit à l’Université Laval.

À quoi ressemblerait une « Union canadienne »
calquée sur l’Union européenne ?

Patrick Leblond : « Si on adopte le modèle européen, on se retrouve presque dans le système canadien. L’UE est calquée sur un modèle fédéral, quoique c’est un modèle particulier. Même si c’est une entité légale, elle n’est pas souveraine par rapport à ses États membres. Mais il y a un conseil suprême, une cour de justice, des ministres, etc. Dans un contexte où Mme Marois prend l’Union européenne pour modèle, selon moi, il y a une certaine incompréhension de ce que ça veut dire. Il y a des avantages d’être un État souverain à l’intérieur d’une structure supranationale, mais il y a aussi des obligations. »

Charles-Emmanuel Côté : « Je ne partage pas cet avis. On ne peut pas comparer Bruxelles à Ottawa. Quand le gouvernement fédéral à Ottawa prend une décision à l’intérieur de ses champs de compétence, il le fait sans consulter les provinces. L’Union européenne n’est pas un gouvernement fédéral. C’est comme si, pour chaque loi fédérale, il fallait que chaque province la ratifie avant qu’elle puisse entrer en vigueur. On perdrait un certain contrôle si on était dans une union à 28 comme en Europe. Mais dans une union à deux, dans notre hypothèse, ça veut dire qu’on a un véto sur chaque mesure d’harmonisation. Donc on garde un contrôle total sur ce qui serait élaboré. »

Quels pouvoirs le Québec gagnerait-il
dans une union de type européen ?

Patrick Leblond : « Il gagnerait plus de pouvoirs au niveau fiscal. Au lieu de payer de l’impôt au gouvernement canadien, il le paierait au gouvernement québécois. Cela dit, en Europe, les États membres remettent de l’argent pour financer la structure supranationale, payer les salaires, et il y a une série de fonds de transferts régionaux. Il pourrait aussi contrôler les affaires étrangères, la justice et l’immigration. »

Qu’en est-il de la monnaie commune ?

Patrick Leblond : « C’est vrai qu’on pourrait conserver la même monnaie. Mais dans l’Union européenne, chaque État membre est présent à la Banque centrale européenne. Si le Québec conserve le dollar canadien, il n’aura aucune représentation à la Banque du Canada alors qu’aujourd’hui, il y a toujours un sous-gouverneur francophone originaire du Québec. Mme Marois aimerait conserver un siège à la Banque du Canada, mais, politiquement, je ne vois pas pourquoi le gouvernement canadien accepterait. Actuellement, il n’y a pas une province qui en a un. Elle n’aurait pas le gros bout du bâton pour négocier. »

Croyez-vous que le modèle européen peut
servir d’exemple si le Québec devient indépendant ?

Charles-Emmanuel Côté : « Le modèle européen, à la base, était un projet d’intégration économique porté par un projet d’intégration plus important. L’Union européenne a été très compliquée à imaginer. Vous aviez des États très différents en terme de taille, de culture, de langue, et c’étaient des États qui s’étaient fait la guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Donc vous aviez des morceaux extrêmement difficiles à coller et on a réussi à le faire. Donc a priori, le Québec et le Canada sont plus semblables que les États qui ont formé l’UE. Les ingrédients de base sont plus favorables. »

Croyez-vous que le Canada acceptera de négocier une union à l’européenne si le Québec devient indépendant ?

Charles-Emmanuel Côté : « Une fois passée une difficile séparation, je pense que la réalité économique va rattraper tout le monde. La réalité économique, c’est qu’il y a 8 millions de consommateurs au Québec. Les exportateurs de l’Ontario vont vouloir continuer de vendre des marchandises au Québec. Et les entreprises québécoises vont vouloir continuer d’exporter au Canada. Je ne vois pas comment on pourrait avoir une zone de libre-échange avec le Mexique et qu’on n’en aurait pas avec le Québec. Ça me semble insensé de croire que le Québec serait traité comme la Corée du Nord par le Canada. »

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