États-Unis

Un village 100 % hassidique

Bienvenue à Kiryas Joel, au nord de New York, où tous les habitants sont hassidim. Cette municipalité, la plus pauvre des États-Unis, connaît un boom démographique fulgurant, tout comme d’autres communautés ultra-orthodoxes des banlieues éloignées et des villages de l’État de New York. Et cela crée des tensions.

UN REPORTAGE DE MATHIEU PERREAULT

Une croissance qui dérange

KIRYAS JOEL, — État de New York — Tout a commencé avec la commission scolaire. A suivi l’expansion du réseau de distribution d’eau et de l’usine d’épuration des eaux usées. Et pour faire bonne mesure, la plaque dans le parc précisant que les installations roses étaient pour les filles et les bleues, pour les garçons.

Kiryas Joel n’a pas d’équivalent aux États-Unis ou au Canada. Son taux de croissance phénoménal, 50 % par décennie, fait en sorte que les rangées d’immeubles à quatre étages, divisés en appartements de trois ou quatre chambres, sont collées sur les rues.

À l’exception des deux ou trois rues principales serpentant sur la colline où est bâti le village, les enfants sont rois : la moyenne d’âge est de 12 ans et chaque famille a en moyenne quatre enfants. La totalité des 21 000 habitants de Kiryas Joel sont des juifs ultra-orthodoxes du courant hassidique Satmar. Et la croissance du village suscite de vives tensions avec les municipalités voisines.

« C’est un milieu de vie très sécuritaire et très vivant », explique Joel Petlin, un juif orthodoxe (et non ultra-orthodoxe) qui dirige la commission scolaire de Kiryas Joel et qui a été mandaté pour accueillir La Presse. « C’est dommage que les voisins nous mettent autant de bâtons dans les roues. »

Une ville indépendante

Après plus de 20 ans de poursuites continuelles, autour du transport scolaire, du réseau de distribution d’eau et des égouts, Kiryas Joel a accepté en juin une trêve de 10 ans avec ses opposants, regroupés dans l’organisme United Monroe. Kiryas Joel accepte de renoncer à doubler sa superficie en annexant des vallons boisés jouxtant ses limites. En contrepartie, United Monroe renonce à contester une annexion de 66 hectares qui augmente de 25 % la superficie de Kiryas Joel.

Le conseil municipal de la ville de Monroe, qui englobe trois villages, dont Kiryas Joel, votera à la mi-septembre sur l’entente, qui prévoit que Kiryas Joel s’abstiendra de toute annexion pendant 10 ans. Le village deviendra également une ville indépendante de Monroe, et prendra le nom de Palm Tree, traduction du nom de famille du fondateur hongrois du courant Satmar, Joel Teitelbaum (Kiryas Joel signifie « village de Joel »).

« Nous allons utiliser ces 10 ans pour faire de Monroe une ville plus agréable », explique John Allegro, de United Monroe, qui a fait visiter sa ville et Kiryas Joel à La Presse. « Des programmes pour les jeunes, des parcs, des pistes cyclables. »

Depuis 15 ans, Monroe met toutes ses énergies à gérer la croissance de Kiryas Joel.

« Quand les Satmar auront le droit de faire de nouvelles annexions, nous serons une communauté plus forte pour négocier avec eux. »

— John Allegro, de United Monroe, organisme regroupant les opposants à Kiryas Joel

United Monroe n’est pas né pour s’opposer à l’expansion de Kiryas Joel. « Au départ, nous nous opposions à l’achat par la Ville d’un cinéma abandonné dans la rue principale, dit M. Allegro. Nous ne voyions pas en quoi des élus se mêlaient d’une entreprise commerciale. En fouillant, nous avons vu qu’il y avait une foule d’irrégularités, notamment concernant l’expansion de Kiryas Joel. Par exemple, Monroe faisait à perte le déblaiement de leurs rues l’hiver. J’ai fait partie d’un groupe d’observateurs électoraux à Kiryas Joel. C’était assez tendu. »

Kiryas Joel a été fondé en 1979, peu avant la mort de Joel Teitelbaum, qui en a choisi l’emplacement. « Le but était de fuir l’influence néfaste de la ville à Brooklyn », explique Richard Hull, historien à la retraite qui habite le village voisin de Warwick et a étudié Kiryas Joel. « Les premières frictions ont entouré la commission scolaire. Ensuite, les villes et villages environnants ont contesté le réalisme de l’évaluation environnementale menée par Kiryas Joel quand le village a voulu se connecter au réseau de distribution d’eau de New York, au début du millénaire. Et Kiryas Joel a contesté la location d’une partie de la capacité excédentaire de l’usine d’épuration, pour protéger sa croissance future. Au fur et à mesure que des résidants de Kiryas Joel s’installaient dans des rues voisines du village, il y a eu des demandes d’annexion. Il suffit qu’une majorité des habitants d’un secteur approuvent ces demandes. Je crois qu’ils ont acheté la paix parce que toutes ces démarches judiciaires les épuisent. »

John Allegro vit lui-même dans un secteur très boisé qui aurait pu être annexé avant longtemps. « La plupart de mes voisins sont [juifs] hassidiques. Ce sont de bons voisins. Je note aussi que ceux qui habitent à l’extérieur du village ont souvent des goûts différents, de grands terrains fleuris, comme les [personnes] non hassidiques. »

Une commission scolaire pour Kiryas Joel

Quand il était président de l’Association des commissions scolaires de l’État de New York, Lou Grumet, comptable à la retraite, a contesté avec succès trois lois permettant l’établissement d’une commission scolaire hassidique. « Je connaissais bien le gouverneur Mario Cuomo [père de l’actuel gouverneur de l’État, Andrew Cuomo] et il savait pertinemment qu’il était impossible qu’une telle loi soit constitutionnelle. Mais il avait besoin des votes de Kiryas Joel, dont les électeurs sont importants puisqu’ils forment un bloc électoral homogène avec un taux de participation de plus de 95 %. J’ai défait sa première loi en Cour suprême, puis deux autres devant les tribunaux de première instance. Je les appelais les “lois-vampires”, parce qu’elles étaient adoptées en pleine nuit. Quand j’ai pris ma retraite de l’association, au début du millénaire, il a fait adopter une quatrième loi permettant à quiconque de mettre sur pied une commission scolaire. Celle de Kiryas Joel est la seule à profiter de cette loi. »

M. Grumet, qui a publié l’an dernier un livre sur le feuilleton de la commission scolaire de Kiryas Joel, ne plaint pas les opposants au village hassidique. « Ils n’ont qu’à faire comme les Satmar et à voter, dit-il. Il y a eu aussi des bourdes énormes. La commission scolaire dans les années 80 a laissé des femmes conduire les autobus scolaires desservant le village. Et les éducateurs qui s’occupaient d’enfants Satmar ayant des troubles du développement les ont une fois amenés manger des hamburgers au bacon au McDonald’s. »

Joel Petlin, le directeur de la commission scolaire, n’est pas d’accord avec M. Grumet. « Nous avons le droit d’avoir des services en yiddish pour nos enfants qui ont des troubles du développement. D’ailleurs, la commission scolaire dans les années 80 était d’accord pour une commission séparée pour Kiryas Joel. Aux États-Unis, les écoles privées ne sont pas subventionnées, mais les commissions scolaires doivent fournir le transport scolaire vers ces écoles privées. À East Ramapo, où j’habite, les hassidim ont pris le contrôle de la commission scolaire. Quand est venu le temps de faire des coupes budgétaires, ils ont supprimé les programmes sportifs et pour enfants doués plutôt que le transport scolaire, qui est très coûteux parce que les hassidim ne blaguent pas avec la sécurité de leurs enfants. Chacun est conduit devant la porte de sa maison. »

Sept résidants sur dix sous le seuil de pauvreté

Kirya Joel a aussi fait l’objet d’une enquête du FBI à cause de fraudes soupçonnées au programme d’assurance maladie Medicaid couvrant les familles pauvres (70 % des habitants du village vivent sous le seuil de pauvreté et 93 % ont droit à Medicaid), ainsi qu’à un programme fédéral subventionnant l’achat d’ordinateurs et l’accès à l’internet, selon le magazine new-yorkais juif Forward. Et en 2014, le village a accepté, par une entente à l’amiable, d’accueillir une fois par année des observateurs de la Ligue des droits civiques de New York (NYCLU) dans son parc privé, situé juste à l’extérieur des limites du village, pour vérifier que les aires de jeux n’étaient pas séparées entre garçons et filles ; à l’origine, une plaque en hébreu portait des instructions à cet effet. Quand La Presse a appelé la NYCLU pour vérifier si ses délégués se rendaient toujours au « Kinder Park » de Kiryas Joel, le relationniste Simon McCormack n’a trouvé personne qui était au courant du dossier.

« Ils disent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent sur leur terrain privé, dit John Allegro de United Monroe. Tout ce que je sais, c’est qu’ils n’ont pas contesté la poursuite de la NYCLU. Et que maintenant, si on essaie d’aller voir le parc, ils appellent la police. » Joel Petlin n’a pas pu faire visiter le parc à La Presse parce que son gardien avait fermé la barrière de la route d’accès et avait quitté son poste pour cause de pluie.

Projets immobiliers et batailles judiciaires

BLOOMINGBURG, — État de New York — Il y a quelques années encore, le village de Bloomingburg, dans les montagnes Catskill, vivait une lente décroissance. Un magasin fermait de temps à autre et il ne restait plus que 400 habitants.

Après les élections municipales de 2016, tout a changé. Le nouveau maire a donné les approbations finales pour un ensemble résidentiel de 396 maisons en rangée desservant la communauté hassidique Satmar, qui faisait face à beaucoup d’opposition dans le village et de la part de l’ancien conseil municipal. Des dizaines de familles hassidiques ont commencé à s’y installer.

En décembre dernier, coup de théâtre : le promoteur du quartier hassidique de Bloomingburg, Shalom Lamm, membre d’une communauté juive orthodoxe (et non ultra-orthodoxe), a été accusé de fraude électorale – pour une élection en 2014 que le candidat prohassidique a perdue. En juin, M. Lamm a reconnu avoir participé à un complot visant à inscrire au registre électoral des hassidim n’habitant pas à Bloomingburg. Un coaccusé avait déjà plaidé coupable en mai.

Opposition et antisémitisme

« C’est un grand gâchis », dit Holly Roche, qui habite sa « maison de rêve » à deux kilomètres du quartier hassidique de Chestnut Ridge.

« Le village a perdu son âme. Les promoteurs ont menti. Ils ont fait en secret des plans pour des milliers de maisons dans un village de quelques centaines d’habitants. Et on ne sait toujours pas qui finance tout ce projet. »

— Holly Roche, résidante de Bloomingburg

La personne qui s’occupe des relations médias du projet de Chestnut Ridge, Michael Fragin, un juif orthodoxe de Long Island, n’a pas voulu préciser qui étaient les actionnaires des deux entreprises responsables du développement, Sullivan Farms et Black Creek Development. En faisant visiter le village et Chestnut Ridge à La Presse, il souligne le caractère en partie antisémite de l’opposition au projet, notamment une croix érigée sur un champ voisin des maisons hassidiques.

« C’est assez offensant, dit M. Fragin. Ça veut dire que les juifs ne sont pas les bienvenus ici. »

M. Roche, qui est elle-même juive, mais n’est ni orthodoxe ni ultra-orthodoxe, admet que certains des opposants dépassent parfois les bornes. « Je le leur dis chaque fois quand ils tombent dans l’antisémitisme. Mais il reste que l’évaluation environnementale qui a été approuvée en secret par le conseil municipal mentionnait qu’il ne faudrait que trois nouveaux puits pour Chestnut Ridge et que les 396 familles hassidiques n’auraient au total que 200 enfants. C’est une vraie blague. Il y a déjà plusieurs puits dans le village. Certains sont tombés à sec, heureusement pas le mien. »

« Chestnut Ridge est probablement le projet immobilier qui a fait l’objet du plus strict examen de l’histoire du comté de Sullivan, répond M. Fragin. Holly Roche veut seulement relancer des objections qui ont été rejetées par des tribunaux plusieurs fois. »

Deux poursuites pour antisémitisme contre le village, qui bloquait alors la construction d’une école pour filles d’une capacité de 400 places et d’un bain rituel en plus de la poursuite du chantier domiciliaire, ainsi que contre la commission scolaire régionale Pine Bush, à cause de croix gammées peintes par un ou des élèves sur une école de la région, ont fait l’objet d’ententes à l’amiable. Le village a dû payer 2,9 millions US au promoteur Shalom Lamm tout juste avant sa condamnation. Et la commission scolaire a dû en 2015 payer 4,5 millions US aux plaignants, cinq élèves, soit 5 % de son budget annuel (elle n’a que 6000 élèves). Un procureur fédéral avait en 2013 envisagé de porter des accusations pénales contre les élèves fautifs et la commission scolaire, mais y avait renoncé.

Poursuite criminelle et loi antimafia

Ironiquement, les opposants à Chestnut Ridge ont découvert, dans les documents déposés dans le cadre du règlement à l’amiable de 2,9 millions, un courriel de 2013 du promoteur où il évoquait que la communauté hassidique de Bloomingburg pourrait à terme comporter 5000 maisons. Les opposants espèrent que ce document pourrait réanimer une poursuite criminelle invoquant la loi antimafia RICO (Raqueteer Influenced and Corrupt Organization Act), que deux juges avaient rejetée en 2015 parce que la période de prescription était dépassée.

« Au départ, en 2006, Lamm avait promis un golf, un restaurant, des maisons haut de gamme, dit Mme Roche. Mais en 2009, les promoteurs ont eu l’approbation du village pour le quartier à haute densité de 396 familles. Le problème, c’est que personne n’en a rien su. Nous nous en sommes rendu compte en 2012, quand la construction a commencé et qu’il devenait évident qu’il n’y avait plus de golf et que les maisons étaient en rangée, avec deux cuisines comme en ont besoin les familles ultra-orthodoxes. »

Michael Fragin, lui, décrit les projets de golf et de 5000 maisons comme des« documents destinés à des investisseurs ».

De toute façon, quoi qu’il arrive, une centaine de maisons de Chestnut Ridge sont déjà terminées et 50 familles hassidiques y vivent. Mme Roche pense-t-elle vraiment que si les procureurs fédéraux se décident à faire un procès RICO et le gagnent, et que les maisons construites par Shalom Lamm sont saisies, le problème sera réglé ? « Je ne pense pas que le quartier de Chestnut Ridge sera détruit, non, mais on reprendrait le contrôle de notre village », dit-elle.

Signe que la méfiance règne, Mme Roche a affirmé qu’une pizzeria casher ayant remplacé l’ancien restaurant du village, qui arbore des banquettes chics en faux crocodile rouge et dont les clients hassidiques se sont montrés très aimables envers La Presse, n’est ouverte que lorsque des journalistes passent dans le village. Elle cite aussi le cas d’une résidence pour personnes âgées achetée par M. Lamm, que tous les locataires ont quittée à cause de pannes répétées avant que les immeubles soient agrandis et loués à des familles hassidiques.

Kiryas Joel, Bloomingburg et la succession Satmar

Ce printemps, une yeshiva (école) pour garçons a été inaugurée sur le terrain d’un ancien garage pour voitures de luxe (une piste de course, Monticello, est située non loin). Un rabbin Satmar de Brooklyn, Zalman Teitelbaum, était sur place pour l’occasion.

Détail intéressant, il s’agit de l’un des deux prétendants à la succession de Moshe Teitelbaum, qui dirigeait le courant Satmar jusqu’à sa mort en 2006. Selon Richard Hull, un historien à la retraite qui habite le village voisin de Warwick et a étudié le village Satmar de Kiryas Joel, les partisans du rabbin Aaron Teitelbaum, l’autre prétendant à la succession Satmar, contrôle Kiryas Joel, forçant les adeptes de Zalman Teitelbaum à trouver un autre endroit où vivre. « C’est pour ça que Bloomingburg est tellement important pour les Satmar », dit M. Hull. Kiryas Joel se trouve à une demi-heure au sud de Bloomingburg.

Michael Fragin balaie d’un revers de main toutes ces théories.

« C’est bien simple, les familles hassidiques ont trouvé un village où les maisons n’étaient pas trop chères. »

— Michael Fragin, relationniste pour le projet de Chestnut Ridge

« Ce sont les meilleurs citoyens, regardez tous les drapeaux américains [les Satmar sont contre l’État d’Israël, estimant qu’il ne devrait exister qu’après le retour du Messie sur Terre]. Il y en a même qui se sont achetés des quatre-roues pour aller dans les bois et j’en connais un qui chasse », soutient M. Fragin.

Le village hassidique de Boisbriand

BOISBRIAND — Quand on s’éloigne du centre de Boisbriand sur le chemin de la Rivière-Cachée, les rangées de demeures entourées de jardins font rapidement place à une mince lisière d’habitations plus espacées, donnant souvent sur des champs. Puis, on arrive aux rues Moishe et Beth Halevy, d’où partent des files de maisons en rangée attachées les unes aux autres, jusqu’aux bois séparant au nord Boisbriand et Mirabel. C’est dans cette ville de banlieue de la couronne nord que l’on retrouve la communauté hassidique la plus comparable à Kiryas Joel au Québec. Kiryas Tosh, un quartier de Boisbriand composé de rues privées et publiques, a été fondé en 1963 et abrite maintenant 5000 juifs hassidiques du courant Tosh.

« Nous avons encore de la place pour 200 autres maisons, mais après, il faudra avoir une permission pour aller dans la zone agricole », explique un membre de la communauté, qui a requis l’anonymat parce qu’il n’avait pas l’autorisation des « aînés » de Kiryas Tosh pour parler à La Presse. « Il y a quelques années, il n’y avait plus de nouvelles maisons et certaines familles se sont établies hors de la communauté, juste de l’autre côté du chemin. Notre fondateur voulait que nous restions entre nous, mais nous sommes moins stricts qu’à Kiryas Joel. »

Le fondateur, Meshulim Feish Lowy, est mort en 2015 et c’est son fils, Elimelech Lowy, qui lui a succédé comme grand rabbin. La tombe de Feish Lowy est recouverte par une tente parce que la communauté n’a pas encore réussi à avoir de permis pour lui construire un mausolée.

Un quartier qui fascine

Le quartier est intrigant. On peut voir sur YouTube des vidéos de jeunes faisant des tours de Kiryas Tosh, la nuit, parfois en criant et en se moquant des passants. « Il y a une dizaine d’années, il y avait une centaine d’événements du genre chaque année », explique un autre résidant de Kiryas Tosh, Isaac Weiss, hypnotiste et thérapeute, qui fait partie d’une brigade de sécurité volontaire, Shomrin. « Quand la police venait à la suite d’une plainte, les gens ne savaient pas décrire les voitures ni comment interagir avec les policiers. Shomrin a permis d’avoir de meilleures relations avec les policiers. On prend en note le numéro de plaque des voitures qui restent une heure ou deux ou qui viennent en plein milieu de la nuit et on demande l’intervention des policiers s’il y a lieu. On a aussi appris aux gens à ne plus réagir fortement quand vient la police. »

Les volontaires de Shomrin font également office de premiers répondants. Lors du passage de La Presse, deux volontaires de Shomrin se sont rendus à un appartement où une personne s’était légèrement blessée au doigt avec un mélangeur. Kiryas Tosh a d’ailleurs une ambulance, qui aide gratuitement lors de la Saint-Jean-Baptiste de Boisbriand. « Cet hiver, Shomrin a aidé à chercher un enfant qui s’était perdu dans les bois près de chez nous. » L’écusson de Shomrin comporte une fleur de lys et est en français et en hébreu.

« On veut avoir un canal de communication avec la communauté juive », explique le lieutenant-détective Luc Larocque, de la Régie intermunicipale de police Thérèse-de-Blainville. « On est particulièrement attentifs pour des cas de harcèlement, comme on l’est avec la communauté maghrébine. Ça aide aussi aux dénonciations si les gens nous connaissent. »

Selon le lieutenant-détective Larocque, il ne survient pas plus d’un ou deux événements plus graves, comme des œufs lancés sur la synagogue, chaque année à Kiryas Tosh. « C’est plus de la curiosité. Je me souviens quand j’avais 7-11 ans à Boisbriand, c’était comme un village hanté pour nous, on faisait des tours de bicycle et on était ben impressionnés. D’autres fois ce sont des jeunes qui vont faire un tour de char après avoir été au billard. On jase avec eux, ils se rendent compte qu’ils n’ont pas d’affaire là. On fait la même chose quand il y a un rôdeur dans un cul-de-sac dans un autre quartier. »

« On ne peut pas parler d’antisémitisme. Ils vont peut-être nous appeler plus que d’autres quartiers, ceci dit. »

— Luc Larocque, lieutenant-détective à la Régie intermunicipale de police Thérèse-de-Blainville

M. Weiss, qui a aussi un bureau à Montréal sur le chemin Bates, dit que souvent les rôdeurs ne sont pas signalés. « La semaine dernière, une voiture a tourné dans le quartier pendant deux heures. On n’a rien fait. Le lendemain, elle est revenue une heure. On est allés parler au conducteur, mais il est parti sans qu’on ait à appeler la police. Regardez le trou dans mon pare-brise. C’est quelqu’un avec une carabine à plomb qui a tiré sur cinq ou six voitures. On n’a pas appelé la police. » Le quartier n’est relié au reste de Boisbriand que par deux rues.

Écoles illégales et poursuites

Kiryas Tosh est mieux connu à cause de ses écoles sans permis et de la poursuite déposée par deux anciens membres de la communauté, Yochonon Lowen et Clara Wasserstein, qui reprochent au gouvernement et à la commission scolaire de ne pas avoir bien supervisé leur éducation. La communauté a aussi été traînée en cour pendant plusieurs années par Boisbriand pour non-paiement d’une taxe d’eau – elle a fini par débourser 1,75 million en 2014. Et en 2006, Radio-Canada a rapporté que le CLSC local envoyait des hommes pour traiter les hommes de Kiryas Tosh et demandait à ses employées qu’elles portent des manches longues.

« C’est péché de ne pas s’occuper de sa santé. Alors oui, une femme peut s’occuper d’un homme. »

— Un résidant de Kiryas Tosh

« Cela dit, généralement, les gens sont accommodants si on leur demande au cas par cas si on peut avoir des services par un homme ou une femme. Il ne faut surtout pas faire de demande officielle. L’an dernier, le ministère de l’Éducation a envoyé deux femmes pour les examens de fin d’année dans l’école de garçons. Après, on nous a dit qu’on aurait pu demander des hommes », confie le résidant de Kiryas Tosh qui a demandé l’anonymat. Les hassidim préfèrent généralement séparer hommes et femmes par souci de « modestie ».

Au beau milieu de Kiryas Tosh se trouve une rue appelée carré André-Ouellet, du nom d’un politicien libéral fédéral qui a aidé la communauté à avoir des subventions pour la construction d’appartements, quand il était ministre sous Trudeau père. Une rue plus récente a été appelée « Moishe », du nom d’un mécène qui a financé la construction des maisons en rangée les plus récentes. « Au début, on pouvait choisir le nom des rues, mais maintenant, il faut l’approbation de la municipalité et alterner entre un homme et une femme. » La plus récente rue de Kiryas Tosh s’appelle ainsi Anne-Frank.

Les hassidim en chiffres

5000 

Nombre de juifs hassidiques à Boisbriand

26 000

Nombre total d’habitants à Boisbriand

91 000

Nombre de Montréalais se déclarant de confession juive en 2011

4600

Nombre d’Outremontais se déclarant de confession juive en 2011

13 ans

Âge moyen dans la communauté hassidique de Boisbriand en 2011

20 ans

Âge moyen dans la communauté juive d’Outremont en 2011

Sources : Université McMaster, Ville de Montréal, Fédération CJA, Écho de la Rive-Nord

le Hassidisme

1730

Fondation du hassidisme par Israel ben Eliezer, aussi appelé Baal Shem Tov (le maître du nom divin), en Ukraine

1773

Fondation du courant hassidique Loubavitch par Shneur Zalman de Liai en Biélorussie

1817

Fondation du courant hassidique Belz par Shalom Rokeach en Hongrie

1855

Fondation du courant hassidique Vishnitz par Menachem Mendel Hager en Ukraine

1892

Fondation du courant hassidique Bobov par Shlomo Halberstam en Pologne

Vers 1900

Fondation du courant hassidique Tash en Hongrie

1930

Fondation du courant hassidique Satmar en Hongrie (dans une ville maintenant roumaine) par Joel Teitelbaum

1941

Fondation de la première synagogue Loubavitch à Montréal, par des réfugiés polonais

1945-1955

Arrivée de réfugiés hassidiques est-européens à Montréal

1963

Fondation de la communauté hassidique Tash de Boisbriand par Meshulim Feish Lowy, petit-fils du fondateur du courant

1979

La communauté Tash demande en vain l’incorporation comme municipalité autonome distincte de Boisbriand

Sources : Musée juif de Montréal, The Course of Modern Jewish History, Université McMaster

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