ÉDITORIAL COURSE À LA DIRECTION DU PARTI CONSERVATEUR

Think big, n’importe comment

La course à la direction du Parti conservateur importe le pire de la politique américaine : la provocation mensongère et l’État géré comme une entreprise. Nous en examinons le premier aspect aujourd’hui.

Kevin O’Leary dit n’importe quoi, à part peut-être quand il avoue dire n’importe quoi. Mais encore là, c’est compliqué. Car un menteur ment-il quand il dit qu’il ment ? C’est à ce genre de fascinantes considérations philosophiques que s’abaisse grâce à lui la course à la direction du Parti conservateur.

L’homme d’affaires et vedette de téléréalité parle plus vite qu’il ne réfléchit. La semaine dernière, il a proposé à CTV de commercialiser le Sénat. En échange d’un chèque de « 100 000 ou 200 000 $ », un Canadien pourrait s’acheter le droit de voter des lois. En plus d’être antidémocratique, c’est tout à fait anticonstitutionnel, lui a-t-on rappelé. Sa réaction ? Cela l’indiffère.

« Il sait ce qui fait de la bonne télévision, ce n’est pas une position politique », a déclaré son attachée de presse à divers médias. Ce nouveau politicien n’exprimerait donc pas une « position politique » quand il parle de politique. Traduction : il dit n’importe quoi pour attirer l’attention. Le ridicule ne tue pas, il donne même d’excellentes cotes d’écoute.

Cette démarche explique aussi ses propos sur la dette du fédéral. En s’appuyant sur les nouvelles projections du ministère des Finances, M. O’Leary a prétendu que les intérêts de la dette deviendront d’ici 30 ans la principale dépense de l’État. Or, selon le rapport, le poids de la dette aura en fait diminué dans 30 ans ! Elle représenterait alors un plus faible pourcentage de la taille de l’économie. Il s’agit pourtant de son principal argument pour vouloir devenir premier ministre du Canada en 2019…

Le parallèle avec le nouveau président américain est inévitable. Les deux maîtrisent l’art de la foutaise, qui est différent du mensonge.

Le menteur connaît la vérité et sait qu’il en dit le contraire. Le baratineur, lui, vit en marge du vrai et du faux. Il se fiche de savoir si ses propos sont véridiques. Il ne s’intéresse qu’à l’effet de ses propos. Bref, il n’a même pas assez de scrupules pour mentir.

Avec M. Trump, le baratinage est devenu la norme. Et pour le propager, il mise sur une arme de diffusion massive :  la communication sans filtre permise par les nouvelles technologies.

La campagne du Parti conservateur se transforme maintenant en laboratoire pour voir si ce virus peut infecter le Canada.

À la différence du président américain, M. O’Leary n’a rien d’un xénophobe. Son discours n’est pas hostile à l’immigration. On ne peut toutefois en dire autant de Kellie Leitch, qui ajoute cette touche trumpienne à la course conservatrice.

Son directeur de campagne est le pilote du derby de démolition que fut la victoire de Rob Ford à la mairie de Toronto en 2010. Leur grande idée : fermer les frontières aux nouveaux arrivants qui échouent à un « test des valeurs ». Cela coûterait des millions en bureaucratie, tout en risquant fort d’être inutile pour la sécurité – un terroriste capable de poser une bombe est aussi capable de ne pas dire toute la vérité dans un formulaire…

Mais l’inutilité de la mesure ne désarçonne pas la candidate. Car l’effet visé est autre : faire parler d’elle. Et ses efforts sont couronnés de succès, comme l’a révélé une analyse du politologue Eric Merkley. Depuis qu’elle a proposé ce « test », Mme Leitch domine la couverture médiatique, et tout indique que M. O’Leary s’apprête à la devancer.

Le baratinage et la provocation sont ainsi récompensés.

Cela nous place dans un dilemme : laisser des faussetés circuler ou les contredire tout en risquant de les rendre plus visibles. Le compromis le plus prudent se trouve quelque part entre les deux. Ne pas couvrir chaque dérapage, mais intervenir de temps à autre pour rappeler que, tout comme la liberté d’expression, les faits ont aussi leurs droits.

Demain : pourquoi l’État ne peut être géré comme une entreprise

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