BEAUTÉ

Canons d'hier et égéries d'aujourd'hui

Nos critères de beauté changent, influencés notamment par l’avènement de la téléréalité, l’invasion de Photoshop et la domination du modèle hollywoodien. 

Mais y a-t-il un «type québécois»? Oui et non… 

Au Québec, dans les années 50 et 60, les égéries qui faisaient rêver ne ressemblaient pas à Marilou ou à Mahée, rapporte le créateur Jean-Claude Poitras, qui s’est maintes fois inspiré des belles créatures d’ici pour ses collections.

«Mes premiers souvenirs d’enfance sont marqués par Les beaux dimanches et les Miss Radio et Télévision. J’étais alors fasciné par des femmes extraordinaires comme Monique Leyrac et Michelle Tisseyre», rapporte ce pionnier de la mode québécoise qui, plus tard, dit avoir été influencé par la liberté et le style de Dominique Michel et de Denise Filiatrault, délurées de Moi et l’autre. «En 1966, à l’époque où j’étudiais la mode à l’École des métiers commerciaux, à l'angle Saint-Denis et Sainte-Catherine, je créais avec Dodo en tête. Elle incarnait cette idée de vivre libéré, sans diktat.» 

La photographe Martine Doucet a immortalisé nombre de beautés québécoises, tant pour des magazines que pour ses projets artistiques personnels. Observatrice privilégie du showbiz québécois, elle a remarqué que le Québec a un penchant pour les «filles d’à côté». Les Catherine Deneuve, Virginie Ledoyen, Angelina Jolie, si elles étaient nées à Matane ou à Sorel, n’auraient peut-être pas percé au Québec… 

«Ici, la grande beauté fait peur, dérange, inquiète», songe celle qui prend l’exemple de Dodo et Denise pour faire valoir son hypothèse. «C’était Denise, la grande beauté. Mais Dodo a été davantage mise de l’avant parce qu’elle était la plus sympathique des deux. Denise était flamboyante et spectaculaire alors que Dominique, qui était super mignonne, n’était pas menaçante.» Au Québec, poursuit Martine Doucet, la timidité passe pour de l’arrogance et on cultive un penchant pour les filles «un peu belles, malgré elles». «Andrée Lachapelle a passé pour snob toute sa vie, parce qu’elle était trop belle!» 

Karine et Véro, filles d’à côté 

Dans les bureaux très stylisés de l’agence Tuxedo, le publicitaire Dominic Tremblay explique le choix récent de Karine Vanasse comme visage de la société Marcelle. L’idée de recourir à des égéries québécoises pour concurrencer les L’Oréal ou Maybelline est apparue au début des années 2000. C’est alors que Chantal Fontaine s’est associée à Néo Strata et Chantal Lacroix, à la marque française Garnier. 

Le directeur de l’agence Tuxedo (qui crée des campagnes de pub Annabelle, Lancôme et Denis Gagnon) parle de valeurs à transmettre et de message à passer, par le minois connu qui incarne le pot de crème à vendre.

«Karine Vanasse transmet un message accessible. Elle est charmante, belle naturelle, ne choque pas. Et quand on va chercher Marie-Mai, pour la marque Annabelle, c’est parce qu’elle est une personnalité artistique, fraîche, colorée et à l’affût des tendances.» 

Si Jouviance s’est associée avec Véronique Cloutier, ce n’est pas seulement pour la beauté rayonnante de la populaire animatrice, avance la photographe Martine Doucet. «Véronique Cloutier est une très belle femme, mais elle n’a tellement pas misé sur ça. En exploitant son côté "drôle" et "one of the boys", sa beauté a passé.» 

Ma fille, tu n’es pas belle, tu es propre… 

Marqué par son héritage judéo-chrétien, le Québec entretient un rapport d’ambivalence avec la coquetterie, pense Martine Doucet. «C’est presque à classer au rayon des péchés capitaux!», ironise la photographe, qui a elle-même grandi avec la notion que la beauté n’était pas une vertu. 

«Quand j’étais petite et que je me promenais dans la rue avec ma mère, elle se faisait souvent arrêter par des dames qui lui disait : "Votre petite est donc bien belle !" Elle m’a appris à répondre : "Je ne suis pas belle, je suis propre."» 

En revanche, le fort mouvement de libération des femmes au Québec a libéré les femmes de leur modestie et fait naître une esthétique unique. Par exemple, comme le souligne Dominic Tremblay, de l’agence Tuxedo, la consommatrice québécoise dépense plus en parfum et en coiffure que l’Américaine ou l’Ontarienne. Elle affiche aussi un goût marqué pour les teintes orangées, rougeâtres et violettes. 

Selon Mariette Julien, professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM et directrice du Groupe de recherche sur l’apparence, la popularité des salons de tatouage au Québec reflète aussi ce désir d’émancipation dans l’apparence. 

«L’accès au tatouage, c’est un peu l’accès aux tavernes», évoque Mme Julien, qui voit dans cette mode un désir de s’approprier le corps. 

La jeune Béatrice Martin, que Jean-Claude Poitras cite parmi les jeunes égéries québécoises qu’il admire, correspond ainsi, avec ses bras tatoués, à un canon à la fois contemporain et très… local! 

Et parlant de tatouage, il ne faudrait pas oublier une singulière égérie québécoise recrutée récemment par L’Oréal et Thierry Mugler : l’inclassable Rico le Zombie. Zombies égéries ou belles naturelles, la nature québécoise est riche en canons pour plaire à tous les goûts. Et concurrencer Nicole, Charlize et Julia au rayon des petits pots.

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