Opinion Rodéo et bien-être animal

Ingérence politique inacceptable

Le 4 décembre 2015, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (loi « BÊSA »). À l’instar de plusieurs législations introduites ces dernières années en Europe et en Amérique, cette loi fondamentale a modifié le statut juridique de l’animal. De bien meuble qu’il était jusqu’alors, l’animal est devenu un « être doué de sensibilité qui a des impératifs biologiques ». De nouveaux devoirs ont été parallèlement instaurés au profit des êtres animaux, dont celui de ne pas les « soumettre à un abus ou un mauvais traitement pouvant affecter [leur] santé » ou les « exposer à des conditions qui [leur] causent une anxiété ou une souffrance excessives ».

Malheureusement, les actions n’ont pas suivi les paroles. Mis à part certaines interventions visant les usines à chiots, qui soulèvent l’indignation collective depuis déjà longtemps, rien n’a vraiment changé au Québec. Responsable du bien-être animal, le ministère de l’Agriculture (MAPAQ) n’a mis en place aucun processus de réévaluation globale des pratiques ou activités qui impliquent l’utilisation d’êtres animaux, dont les rodéos, où les épreuves de monte de taureaux et de chevaux sauvages, de prise du veau au lasso et de terrassement du bouvillon les soumettent à des exigences physiques et psychologiques de nature à compromettre leur bien-être et leur sécurité, au sens des nouvelles dispositions légales.

Protocole judiciaire

C’est dans cette perspective d’inaction du MAPAQ que j’ai présenté au printemps dernier, avec un groupe d’étudiants de mon cours de droit animalier, une demande d’injonction visant à faire annuler le rodéo urbain de Montréal.

Le jour de l’audition, vu l’entente de règlement intervenue avec mes opposants, la Cour supérieure a homologué la mise en place d’un protocole qui me permettra d’assurer la réalisation du travail d’observation et d’analyse que le MAPAQ a jusqu’à maintenant négligé d’accomplir.

Aux termes du jugement, un vétérinaire, un comportementaliste et un photographe de mon choix se sont vu accorder un accès illimité aux êtres animaux et aux installations du rodéo de Saint-Tite dans le but de recueillir des données brutes. Ces données seront par la suite transmises à un comité paritaire, dont la création a été également homologuée par le tribunal à la demande des parties, soit le « Comité consultatif sur le bien-être et la protection des êtres animaux dans le cadre des activités de rodéo ». Composé de représentants du domaine du droit animalier, de l’industrie du rodéo et du MAPAQ, ce comité devra notamment étudier les données qui lui auront été soumises et en tirer les conclusions qui s’imposent.

Au-delà des positions campées des uns et des autres et de l’émotivité que l’enjeu soulève tant pour les animalistes que pour les adeptes de rodéo, le protocole entériné par la Cour supérieure permettra donc d’éclairer le débat au moyen de preuves objectives. Et si, à terme, le MAPAQ refuse d’intervenir, alors que les conclusions devraient au contraire l’inciter à agir pour assurer le respect de la loi BÊSA, une nouvelle action judiciaire pourra être envisagée.

Ingérence politique

Il est d’usage pour les politiques de ne pas s’immiscer dans un débat social ou juridique alors qu’une instance autonome a été constituée pour en étudier les tenants et aboutissants. En visite à Saint-Tite, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, ne s’est quant à lui nullement formalisé de cette règle élémentaire en déclarant spontanément que le bien-être animal n’était pas compromis dans les rodéos.

Et vlan ! Nul besoin de données objectives et scientifiques pour trancher la délicate question.

Aux yeux du premier ministre Trudeau, un simple selfie avec un cheval et un veau apparemment heureux en arrière-plan semble suffire. L’absence de réserve des élus québécois est tout aussi déplorable. Durant les procédures judiciaires d’injonction, le ministre de l’Agriculture Laurent Lessard, responsable de la loi BÊSA, et la ministre du Tourisme Julie Boulet, responsable de la région de la Mauricie où se trouve Saint-Tite et son rodéo qui génère des retombées de 50 millions de dollars, se sont portés à la défense de l’événement, cherchant tous deux à minimiser l’importance juridique et sociale de la loi BÊSA qu’ils ont pourtant personnellement votée en décembre 2015.

Est-ce trop demander aux élus de se garder de conclure eux-mêmes sur l’issue du dossier en faisant appel à leurs propres perceptions… si ce n’est à leurs intérêts politiques et électoraux ? Est-ce trop exiger d’eux que d’espérer qu’ils respectent l’intégrité du protocole mis en place par le tribunal ? Le Comité consultatif créé aux termes du jugement de la Cour dispose d’un an pour achever ses travaux. Sachant que les élections provinciales auront lieu au plus tard le 1er octobre 2018, de nouvelles ingérences politiques sont évidemment à craindre. Souhaitons qu’un rappel à l’ordre soit rapidement effectué en haut lieu pour remémorer aux élus concernés les principes élémentaires à la base d’un état de droit comme le nôtre, où la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire représente encore et toujours la norme.

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