Irak et Syrie

Un nouveau « califat islamique » qui dérange

Des combattants qui annoncent la création d’un nouvel État chevauchant l’Irak et la Syrie. Leur dirigeant qui s’autoproclame chef de tous les musulmans. Des combats, pendant ce temps, qui se poursuivent. L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) a frappé un grand coup symbolique, dimanche, qui risque d’entraîner de vives réactions. Explications en cinq questions.

QUE S’EST-IL PASSÉ DIMANCHE ?

L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) a diffusé un enregistrement dans lequel il annonce la création d’un « califat islamique ». Ce nouvel « État » fait fi des frontières actuelles et englobe des régions de l’Irak et de la Syrie contrôlées par l’EIIL. Le chef de l’organisation, Abou Bakr al-Baghdadi, en a profité pour s’autoproclamer calife – un titre qui désigne le successeur du prophète Mahomet et le chef de tous les musulmans du monde.

« On sait maintenant qu’il est complètement mégalomane », commente Alain Rodier, directeur de la recherche au Centre français de recherche sur le renseignement.

En entrevue à l’AFP, Charles Lister, chercheur associé à Brookings Doha, a qualifié l’annonce de « développement le plus important dans le djihad international depuis le 11 septembre 2001 ».

QU’EST-CE QUE L’EIIL ?

Parmi tous les groupes qui font la pluie et le beau temps en Syrie et en Irak, il s’agit sans doute du plus radical. L’EIIL a fait d’importantes avancées en Irak au cours des dernières semaines en prenant notamment le contrôle de Tikrit et de Mossoul, deuxième ville du pays. En Syrie, il a créé une « guerre dans la guerre » en combattant d’autres groupes qui, comme lui, sont opposés au régime de Bachar al-Assad. Le groupe se finance notamment par le trafic de pétrole.

Son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, est un ancien cadre d’Al-Qaïda qui a fait défection et est décrit comme l’homme le plus dangereux de la planète par le magazine Time. Il est à la tête d’une armée qui pourrait atteindre 25 000 sympathisants, dont 10 000 véritables soldats, selon Alain Rodier.

COMMENT AL-QAÏDA RÉAGIRA- T-ELLE À L’ANNONCE DU CALIFAT ?

L’EIIL avait toujours dit vouloir instaurer un État englobant des régions de l’Irak et de la Syrie. Mais sa déclaration formelle pousse les autres acteurs à réagir.

Sami Aoun, politologue à l’Université de Sherbrooke, considère la proclamation du califat comme une « déclaration de guerre » contre Al-Qaïda.

« C’est un geste de confrontation sur la dominance du mouvement mondial djihadiste », dit-il. Comme d’autres spécialistes, il croit que le geste attirera les djihadistes vers l’EIIL.

COMMENT LES PAYS MUSULMANS RÉAGIRONT-ILS ?

« Abou Bakr al-Baghdadi se proclame chef des musulmans du monde entier… Ça va être très mal reçu par les autorités musulmanes de partout sur la planète », prédit l’expert Alain Rodier.

La réaction de la Syrie est à suivre. Parce qu’il sème la pagaille parmi les opposants au régime syrien, plusieurs croient que le président syrien Bachar al-Assad a fait preuve d’une certaine tolérance envers le groupe. Il faudra voir si M. al-Assad augmentera la pression maintenant que le groupe annonce formellement la création d’un État empiétant sur son territoire.

COMMENT WASHINGTON RÉAGIRA-T-IL ?

C’est une question épineuse. Alain Rodier compare le gouvernement que tente d’instaurer l’EIIL à celui des talibans en Afghanistan. Et selon lui, le groupe voudra maintenant montrer sa force en utilisant ses réseaux pour frapper des cibles occidentales.

Selon des informations qui circulaient hier, les États-Unis ont envoyé des conseillers militaires et des drones pour soutenir l’armée irakienne dans sa lutte contre l’EIIL. La Russie lui aurait aussi prêté main-forte.

Sami Aoun, de l’Université de Sherbrooke, croit cependant que les États-Unis hésiteront à soutenir le premier ministre irakien Nouri Al-Maliki, un chiite, dans sa lutte contre l’EIIL, un groupe sunnite.

« Washington veut à tout prix éviter d’être perçu comme prenant le parti des chiites dans leur guerre contre les sunnites », dit-il.

Selon lui, les États-Unis interviendront seulement si Al-Maliki parvient à former un gouvernement vraiment inclusif qui fait une place aux sunnites.

Houchang Hassan-Yari, professeur de science politique au Collège militaire royal du Canada, est d’un autre avis. Selon lui, l’EIIL s’est mis à dos tellement de monde aujourd’hui que Washington peut intervenir contre lui sans hérisser quiconque.

« Tout le monde aujourd’hui, y compris les sunnites, s’entend pour dire que ce groupe est néfaste, dit-il. Il serait très difficile pour l’Arabie saoudite ou la Jordanie, par exemple, de remettre en question une intervention américaine. »

En plus des conseillers militaires, le président Barack Obama a annoncé hier le déploiement de 200 soldats dans la capitale irakienne afin de protéger son ambassade ainsi que l’aéroport international de Bagdad.

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