interdiction du plastique à usage unique

« Le consommateur est dur à suivre ! »

Une bonne majorité de consommateurs (71 %) est favorable à l’interdiction du plastique à usage unique dans les emballages alimentaires… sans toutefois vouloir payer davantage pour une solution de rechange verte. 

Et ce n’est pas la seule contradiction avec laquelle l’industrie agroalimentaire doit composer. Le plastique permet de réduire le gaspillage, d’éviter la contamination, d’assurer la traçabilité des aliments et d’en réduire le coût, plaident les producteurs maraîchers et les transformateurs.

« Le consommateur est dur à suivre ! », lance Jocelyn St-Denis, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec. D’une part, il souhaite réduire la pollution, mais de l’autre, il veut de beaux légumes frais qui se conservent longtemps et qui sont exempts de risques de contamination, résume-t-il.

Toutes ces exigences et tous ces désirs sont difficilement conciliables, d’autant plus que le consommateur refuse de payer pour un emballage écologique, renchérit l’expert en distribution alimentaire Sylvain Charlebois, de l’Université Dalhousie. Seulement une personne sur six accepterait de payer un extra supérieur à 2,5 %, apprend-on dans une étude de cette université dévoilée ce matin.

« L’emballage, ça n’a pas de valeur marchande. C’est implicite, c’est attendu. »

— Sylvain Charlebois, Université Dalhousie

C’est comme la ceinture de sécurité dans une voiture, dit-il, personne ne voudrait payer plus cher pour ça.

L’industrie agroalimentaire « voit que le plastique est un problème de société […], qu’il faut faire quelque chose », soutient Jean-Patrick Laflamme, porte-parole du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ). Mais ce n’est pas si simple de l’éliminer, car les solutions de rechange se font attendre. « C’est malheureux, mais tant qu’il n’y aura rien de mieux, on va en utiliser. »

Un gardien de la salubrité

Pour les 500 entreprises membres du CTAQ, la salubrité est « au sommet » des enjeux « et l’emballage est une conséquence de cette préoccupation », soutient Jean-Patrick Laflamme. « Souvent, le suremballage répond à des exigences de salubrité. »

Un point de vue entièrement partagé par les producteurs maraîchers. À l’épicerie, « les gens touchent, ils éternuent, ils toussent. Il y a beaucoup d’occasions de contamination dans un étal et la responsabilité revient au producteur », déplore Jocelyn St-Denis.

Les agriculteurs, poursuit-il, ne sont pas contre l’idée de réduire l’utilisation du plastique. Mais « si on enlève les emballages et qu’on veut retourner vers le vrac, la salubrité devra être l’affaire de tous, pas juste des producteurs […]. Il faut que le consommateur accepte les risques. »

« Ce n’est pas l’industrie qui est accro au plastique, c’est nous tous ! », martèle Sylvain Charlebois.

Outre les enjeux de salubrité, il y en a en matière de traçabilité, ajoute l’universitaire en rappelant que le nouveau Règlement sur la salubrité des aliments au Canada (RSAC) est entré en vigueur le 15 janvier dernier. Et que celui-ci force l’identification des lots. « Ça amène plus de plastique, mais le consommateur en veut moins. »

Moins de plastique, plus de gaspillage ?

Sans vouloir défendre le plastique, les trois personnes interrogées pour ce reportage font remarquer que le matériau réduit le gaspillage alimentaire. « Si on l’enlève, il faudra s’assurer de ne pas augmenter cette problématique » déjà grave au Canada, par rapport à bon nombre de pays.

Si les sacs permettent de vendre les aliments dans un format fixe, ils ont aussi l’avantage de conserver la fraîcheur.

« Une carotte a besoin d’humidité. Dans les entrepôts, c’est conservé à 99 % d’humidité. Sinon ça ratatine, ça ramollit, et au bout d’un jour ou deux, le consommateur n’en voudra plus. »

— Jocelyn St-Denis, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec

M. St-Denis juge que « c’est à l’industrie de l’emballage de trouver des alternatives ».

En réduisant le gaspillage, le plastique a « maintenu le prix des aliments à un bas niveau pendant longtemps », insiste Sylvain Charlebois. D’autres types d’emballages – comme le plastique compostable – feraient forcément grimper les prix, prévient-il. Et pour bon nombre de ménages, le coût du panier d’épicerie est un enjeu de taille.

Même le goût des aliments peut être altéré par un changement d’emballage, ce qui est d’ailleurs survenu avec les capsules de café compostables, raconte Sylvain Charlebois.

« Il y a toutes sortes de choses qui pourraient compromettre nos acquis. L’industrie pense à tout ça. C’est pour ça que ce n’est pas simple », résume-t-il.

« La solution n’existe pas »

La mauvaise réputation du plastique touche tous les acteurs de l’industrie agroalimentaire. Mais les plus exposés aux regards et aux critiques des consommateurs sont les détaillants et les restaurants, observe Sylvain Charlebois. Certains éliminent les ustensiles en plastique, les sacs, les pailles…

De leur côté, les transformateurs sont pris devant un grand dilemme, car s’ils se tournaient vers des contenants verts « de 30 à 50 % plus chers », ils ne pourraient refiler des hausses de coûts aux détaillants. « La relation n’est pas très bonne, rappelle Sylvain Charlebois. Alors ça ne passerait pas. »

À l’émission Deux hommes en or, la présidente des collations bio Prana et dragonne, Marie-Josée Richer, a récemment admis que ses sacs en plastique (ni recyclables ni compostables) étaient son « talon d’Achille ».

« Si c’était si simple que ça, on la prendrait, cette solution-là [un emballage vert]. Ce n’est pas une question d’argent. La solution n’existe pas. C’est un problème d’industrie. C’est un problème vraiment complexe. »

De son côté, le CTAQ déplore que « les efforts de l’industrie ne [soient] pas considérés ». Jean-Patrick Laflamme donne l’exemple des bouteilles d’eau qui étaient rigides à une certaine époque et qui sont aujourd’hui très minces pour que la quantité de plastique soit moindre.

Alimentation

Quelques faits saillants de la recherche

Quelques faits saillants de la recherche de l’Université Dalhousie sur le plastique à usage unique en agroalimentaire

En faveur de l’interdiction totale

71,2 % des Canadiens sont favorables à une interdiction totale du plastique dans les emballages alimentaires. Au Québec, la proportion est de 72,3 %. En Atlantique, on frôle les 80 %. « Les gens sont à côté de l’océan. Ils voient le problème, car les images sont percutantes. Ils voient le plastique sur la plage tout le temps. Ils sont plus sensibles, car ils voient des preuves sur le terrain », note le professeur Sylvain Charlebois.

Jeunesse et écologie

Rares sont ceux qui acceptent de payer plus cher pour des emballages écologiques. En fait, 83 % des Canadiens ne débourseraient pas un extra supérieur à 2,5 %. Ceux qui ont 25 ans ou moins (naissance après 1994), toutefois, sont beaucoup plus enclins à payer.

Préoccupation féminine

Les femmes recherchent plus que les hommes des emballages sans plastique lorsqu’elles font leurs emplettes, nous apprend l’étude.

Hommes : 49 %

Femmes : 61 %

« Dans la littérature, c’est clair que quand les femmes consomment, elles sont plus sensibles aux facteurs systémiques, holistiques, extérieurs au produit, commente Sylvain Charlebois. C’est particulièrement évident en ce qui concerne le bien-être animal. »

Qui est responsable ?

Qui devrait régler le « problème » du plastique à usage unique ?

Détaillants : 10,3 %

Transformateurs : 24,6 %

Services alimentaires et restauration : 3,2 %

Ensemble du secteur : 61,8 %

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