Intervention en autisme

Des engagements non respectés

Dès les premiers mois après la naissance de son deuxième garçon, Christine Beauchamp, 31 ans, a tout de suite su qu’il était différent. Le petit Mathis pleurait beaucoup et n’entrait pas en contact avec ses parents.

À 2 ans, Mathis ne parlait pas, ne jouait pas et détruisait plusieurs choses sur son passage. Après s’être endettée pour obtenir un avis au privé, la famille reçoit un diagnostic : Mathis est un enfant autiste non verbal. Mme Beauchamp inscrit alors son fils au centre de réadaptation du centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides. Elle souhaite obtenir des services d’intervention comportementale intensive (ICI).

L’ICI est une méthode visant à susciter des apprentissages chez les enfants autistes. Effectuée en approche un à un, l’ICI suit la logique « stimulus, réponse, récompense » et vise à enseigner les habiletés déficitaires et réduire les comportements excessifs.

Diminution des services

Dix-huit mois après le diagnostic, les services d’ICI ont débuté à l’automne 2016 pour Mathis. Les progrès de l’enfant réjouissent au plus haut point ses parents. Le petit communique maintenant avec des pictogrammes et le langage des signes. Il joue. « Il est vraiment moins agressif. Pour la dynamique familiale, le changement est énorme », note Mme Beauchamp, aujourd’hui mère de quatre enfants.

Mais quelques semaines après le début de l’ICI, le monde de Mme Beauchamp s’est effondré. On lui a appris que les services que Mathis reçoit à raison de 20 heures par semaine seront réduits à 10 heures par semaine en mai et peut-être même plus par la suite. « Pourtant, la science dit que l’ICI doit être intense et la plus longue possible pour donner des résultats ! Pourquoi on nous coupe ainsi ? C’est inhumain », proteste Mme Beauchamp.

Autre famille, autre cas

Mélissa Garceau, 35 ans, a vécu une situation semblable. Son fils Antonio a reçu un diagnostic d’autisme à 18 mois. Il ne montrait aucun objet du doigt. Ne se retournait jamais quand on prononçait son nom. Ayant des enfants autistes dans sa parenté, Mélissa s’est tournée vers le privé pour obtenir un diagnostic.

« J’avais fait tout ce que je pensais pour ne pas que mes enfants soient autistes. Je ne leur avais pas donné de vaccin, parce que je pensais que c’était lié. Je mangeais sans gluten… Mais ça n’a rien changé », explique Mme Garceau.

Inscrit sur une liste d’attente au centre de réadaptation du CISSS des Laurentides, Antonio a deux ans et demi en septembre 2015 quand les services d’ICI débutent. « Il a pu commencer à prendre son bain. Avant, il ne voulait pas. Il a appris à utiliser trois ou quatre signes pour communiquer, comme “encore”. C’est énorme pour nous », remarque Mme Garceau.

Mais un peu plus de neuf mois après le début des services, le CISSS des Laurentides diminue les services d’Antonio de 20 heures d’ICI par semaine à 10 heures, relate la mère. « On me dit qu’administrativement, ils ne peuvent rien faire. Ils veulent offrir l’ICI au plus d’enfants possible », explique Mme Garceau.

« Les normes disent que ça prend au moins 20 heures par semaine pour que l’ICI soit efficace. Comment peut-on diminuer les traitements après quelques mois et prétendre offrir des services de qualité ? »

— Mélissa Garceau

Explications du CRDI

Au CISSS des Laurentides, on explique avoir modifié l’approche en lien avec les services aux enfants autistes en 2015. Directeur adjoint du programme DI-TSA-DP, Alain Jutras explique que cette nouvelle approche tient compte des « deux grands courants » en intervention en autisme. « Certaines personnes pures et dures prônent l’ICI à 20 heures par semaine. D’autres, comme le Dr Laurent Mottron, estiment qu’il faut plutôt tenir compte de l’environnement de l’enfant et adapter les services. Nous, on fait un mélange des deux », dit-il.

M. Jutras souligne que des enfants « n’étaient pas réceptifs à la haute intensité de services » de l’ICI. Par exemple, certains devenaient irritables ou développaient du stress et de l’anxiété devant cette stimulation intensive. D’où l’intérêt, selon M. Jutras, d’une offre adaptée.

Le CISSS des Laurentides offre maintenant 20 heures par semaine d’ICI pendant neuf mois, puis 10 heures par semaine pour les neuf mois suivants. Les besoins des enfants sont réévalués tous les trois mois.

« À la fin, on réévalue les besoins. Pour certains, on tombe alors à 4 heures d’ICI par semaine. Pour d’autres, on retrouve le 20 heures par semaine. »

— Alain Jutras, directeur adjoint du programme DI-TSA-DP

M. Jutras reconnaît toutefois qu’aucun enfant n’a encore retrouvé une intensité de services de 20 heures par semaine au terme des 18 mois de service.

M. Jutras assure que ce changement de pratique n’est pas lié aux budgets limités pour les services aux enfants autistes. « Conjuguer les deux modèles répond le mieux aux besoins des familles », affirme-t-il.

Une décision remise en question

Pour la psychologue Sylvie Bernard qui dirige la Clinique d’intervention behaviorale en autisme, offrir l’ICI pendant 20 heures pendant seulement neuf mois va « contre la recherche ». « Offrir neuf mois, c’est comme donner deux bouchées à un enfant et lui retirer son assiette », dit-elle.

La psychologue explique qu’il est démontré que l’enfant progresse davantage avec « un traitement en bas âge (moins de 5 ans), régulier (tous les jours), intensif (20 heures et plus), de longue durée (2 ans et plus) et en impliquant les personnes significatives (parents et service de garde) ». Pour Mme Bernard, diminuer ainsi les services « ne permet pas aux enfants de développer leur potentiel maximal et à la famille de s’ajuster à leur nouvelle réalité ».

La psychologue déplore que les services d’ICI aient été au fil des ans « dilués » au Québec. « Le gouvernement s’est engagé dans le passé à respecter l’ICI. Mais il ne le fait pas présentement », dit-elle

Présidente de la Fédération québécoise de l’autisme, Jo-Ann Lauzon reconnaît que pour certains enfants, l’ICI ne fonctionne pas. Elle ajoute que certains intervenants, notamment des autistes adultes, témoignent de leur réticence face à l’ICI. Pour Mme Lauzon, « l’idéal pour les enfants de 2 à 5 ans serait d’offrir une panoplie de services afin de répondre le mieux possible à leurs besoins ». « Mais quand l’ICI fonctionne, pourquoi passer à autre chose ou diminuer les heures si ce n’est pas une question de finance ? », demande-t-elle.

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