OPINION SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC

Un actif à conserver

La privatisation de la Société des alcools du Québec (SAQ) est l’une de ces idées qui refusent de mourir.

On remet fréquemment le monopole public en question, au nom du choix des consommateurs ou pour soi-disant remettre de l’ordre dans les finances publiques. On prétend également que la concurrence dans le marché de l’alcool fera baisser les prix. Voyons si les faits appuient ces dires.

La concurrence favorise-t-elle les consommateurs ?

En Alberta et en Colombie-Britannique, où le commerce de l’alcool a été privatisé ou libéralisé dans les dernières années, les consommateurs sont-ils avantagés par rapport à ceux du Québec ? Nos compatriotes de l’Ouest ont-ils plus de produits à leur disposition, et ce, à de meilleurs prix ?

En 2013-2014, on dénombrait 29 300 produits en vins et spiritueux offerts au Québec, contre 16 037 en Alberta, qui a privatisé l’équivalent de sa SAQ en 1993. Entre 1992 et 2014, l’augmentation des prix du vin en magasin a été deux fois plus rapide dans cette province de l’Ouest qu’au Québec. La même dynamique a cours du côté des prix des spiritueux. En clair, la privatisation et l’ouverture du marché de l’alcool à la concurrence n’ont pas du tout permis aux Albertains de voir diminuer leur facture.

L’exemple de la libéralisation en Colombie-Britannique mène à la même conclusion. Une étude de prix réalisée au début de 2016 sur 584 produits indique que l’écart avec le Québec est très mince (moins de 3 %) et qu’en Colombie-Britannique, ce sont les commerces privés qui offrent les prix les moins compétitifs. En effet, les prix y sont plus élevés de 9,6 % par rapport à ceux des magasins publics de la province et de 6,7 % par rapport à ceux de la SAQ. Encore une fois, la concurrence est loin de remplir ses promesses.

Mentionnons de plus que la SAQ, en raison de son réseau de commerces de détail et d’agences, offre ses produits au même prix sur l’ensemble du territoire.

Les consommateurs des régions éloignées n’ont donc pas à payer très cher pour des produits de qualité médiocre comme c’est le cas dans les marchés privatisés.

Rembourser la dette en bradant un actif

Alors, pourquoi vendre la SAQ ? Si le voile idéologique en faveur de la concurrence ne tient plus, plusieurs voudront tout de même aller de l’avant pour affecter le produit d’une vente partielle ou totale de la société d’État au remboursement de la dette.

Une telle proposition ignore toutefois le fait que la SAQ, loin de représenter un fardeau pour les finances de l’État, est un actif des plus rentables. En 2015, la SAQ a versé 1 milliard en dividendes à son unique actionnaire, le gouvernement du Québec.

Lorsque l’on évalue l’option de vendre cette société d’État pour rembourser la dette, il faut se demander si nous parviendrons à faire baisser suffisamment le service de la dette (les intérêts versés annuellement sur les emprunts du gouvernement) pour compenser la perte de revenus qui suivra la privatisation.

Des projections effectuées en 2015 montrent que ce ne serait pas le cas. Dans l’éventualité d’une privatisation partielle (10 %), le scénario le plus optimiste pointait vers des pertes de 245 millions sur 20 ans et le plus pessimiste indiquait que le manque à gagner pour l’État pourrait s’élever à 2,3 milliards.

Si la SAQ n’existait pas, il ne serait certes pas prioritaire de la créer. Néanmoins, les supposés effets positifs de la privatisation sont pour le moins contestables : la société d’État offre des prix compétitifs à sa clientèle et rapporte des revenus importants à l’État. C’est à se demander pourquoi certains cherchent absolument à l’abolir.

OPINION SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC

Une relique des années 20

Que fait l’État à vendre encore de l’alcool ?

Le monopole public de la Société des alcools du Québec (SAQ) est une relique des années 20 et de la prohibition, résultat de la décision d’exclure la bière, le vin et le cidre de la Loi sur la prohibition pour en confier le commerce à une « Commission des liqueurs ».

Aujourd’hui, cela n’aurait pas de sens d’inventer un tel monopole public, tout comme cela n’aurait aucun sens de nationaliser la vente des boissons gazeuses ou du chocolat. Alors pourquoi le tolérons-nous ?

Il existe une solution pour mettre fin au monopole de la SAQ, qui entraînerait des baisses de prix pour les consommateurs tout en protégeant une partie des revenus que l’État tire de la vente d’alcool : privatiser les actifs de la SAQ progressivement, mais aussi ouvrir le marché à la concurrence. C’est un complément important. Un monopole privé – et ses profits excessifs – n’est pas souhaitable ; l’ouverture à la concurrence est une condition sine qua non à la privatisation.

Trois avantages

Les consommateurs seraient avantagés, et ce, pour trois raisons. 

En premier lieu, avec des majorations de prix allant jusqu’à 135 %, il est évident que le client se fait présentement avoir. On sait désormais que les prix étaient trop élevés puisque la SAQ elle-même a récemment décidé, après bien des tergiversations, de réduire les prix des vins les plus vendus.

Deuxièmement, la SAQ a un sérieux problème de productivité. Comme le montre un rapport du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, la SAQ n’a réalisé aucun gain de productivité depuis près de 30 ans.

N’importe quel économiste vous dira qu’il n’y a là rien de surprenant. Sans concurrent pour menacer ses parts de marché, le monopole a moins intérêt à innover ou à améliorer ses pratiques. Résultat : les clients font constamment les frais de hausses de prix.

Troisièmement, l’émergence d’un secteur dynamique et innovant permettrait à la concurrence de jouer son rôle d’aiguillon poussant vers l’innovation et la prise de risques, au profit des clients. De nouveaux modèles d’affaires apparaîtraient, offrant de nouveaux produits et de nouveaux services. On peut toutefois anticiper une constante : les innovations qui prospéreront seront celles qui répondront le mieux à nos besoins, parce que c’est le consommateur qui décidera en fin de compte.

Libérer le marché tout en imposant une taxe sur l’alcool au volume pourrait maintenir les revenus du gouvernement et, qui sait, les augmenter si la baisse de prix résulte en une consommation plus élevée de vin par les Québécois.

Dans un tel scénario, la SAQ en tant qu’entreprise n’est pas condamnée à disparaître. Elle devra toutefois s’ajuster à la concurrence.

J’irais même jusqu’à tendre la main à ceux qui s’opposent à la privatisation. Si le gouvernement met en vente les baux commerciaux et les inventaires d’alcool de la SAQ, rien n’empêche le Fondaction CSN ou le Fonds de solidarité FTQ de racheter la « marque de commerce » SAQ et quelques succursales.

S’ils pensent que c’est la meilleure invention depuis le bouton à quatre trous, les syndicats sont les bienvenus de maintenir une SAQ en service. Certains s’en réjouiront et y feront leurs emplettes. Pendant ce temps, d’autres iront acheter librement leur vin ailleurs.

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