À table avec Manon Massé

Une fille de bois dans Sainte-Marie–Saint-Jacques

Manon Massé m’assure que sa première pancarte électorale, c’est en 2006 qu’elle a été installée, quelque part dans Sainte-Marie–Saint-Jacques.

2006 ?

J’avais l’impression que la nouvelle et troisième députée de Québec solidaire briguait les suffrages depuis encore plus longtemps. Mais en fait, 2006 fut sa première campagne, une partielle où elle s’est présentée comme première candidate de Québec solidaire, dont elle a participé à la fondation. « Moi, je voulais que ça soit une femme. Eille ! Le premier parti progressiste féministe, on pouvait pas faire autrement. J’insistais et tout le monde me disait : “Ben, vas-y alors”, fait que je me suis présentée. C’était spécial pour moi d’être en avant. Moi, je suis une organisatrice. »

Après 2006 et une franche défaite, il y a eu les élections de 2007 où les libéraux ont été élus minoritaires, ensuite les élections de 2008 ont reporté les libéraux au pouvoir avec une majorité, puis en 2012, le Parti québécois l’a emporté, minoritaire. Et finalement 2014. Chaque fois, elle s’est présentée, menant une campagne hyper locale, allant chercher les votes un à un dans une circonscription qui réunit autant des piqueries du Centre-Sud que les résidences hyper de luxe de la Cité du Havre, en passant par le Vieux-Montréal, le Village…

C’est là qu’on se rencontre, au café végétalien Propulsion, rue Sainte-Catherine Est. « Connaissais-tu ça ? », me demande-t-elle d’entrée de jeu. Le comptoir du resto est une aile de petit avion. Le menu est constitué de plats à base de quinoa, riz brun… Les smoothies sont au chanvre, au tofu.

« Moi, je ne suis pas végétarienne, si tu me reçois chez toi et que tu me sers de la viande, je vais en manger. Mais je n’en cuisine plus. Pas envie. Raisons écologiques… », explique la nouvelle députée qui vit avec une colocataire dans un appartement du Village d’où elle voit le fleuve. Et d’où elle partait depuis 10 ans tous les matins, à vélo, pour aller à Laval travailler dans un centre de femmes. Même en hiver ? « C’est vrai, j’ai eu quelques accidents, donc je prends le métro. »

INTÉGRITÉ

Manon Massé est tout un personnage. Elle sacre un peu, tutoie d’entrée de jeu facilement, a de grands yeux parfaitement bleus et une crinière toute blanche ondulée qui fait penser à celles des rockeurs des années 70, style Gerry Boulet. Et elle refuse de faire ce que fait l’écrasante majorité de femmes qui a un duvet au-dessus de la lèvre supérieure, soit l’épiler. Ce choix lui a valu bien des railleries au fil des années. Mais il y a dans cette décision une intégrité qui contribue à rendre le personnage touchant, furieusement authentique.

« Les apparences, tu auras compris, ça ne m’intéresse pas. »

Massé est ouvertement gaie, célibataire depuis sa rupture avec Alexa Conradi (présidente de la Fédération des femmes du Québec et première présidente de Québec solidaire), avec qui elle a été en couple pendant 12 ans. Elle considère les enfants de Conradi, qu’elle a vus grandir, comme presque les siens. Mais elle n’a pas eu, elle, d’enfants. « Jamais senti le besoin. »

À la place, elle s’occupe de ceux des autres, et des autres en général. Sa vie, elle l’a consacrée aux exclus en tous genres, les femmes d’abord, mais tous les autres aussi, démunis, sans-emploi, nouveaux arrivants… « Toujours dans la marge » pourrait être son slogan. « J’ai de l’estime pour tous les humains », ajoute-t-elle. Des itinérants aux adversaires politiques. Mis à part le mot « disgracieux » qu’elle utilise pour qualifier l’intervention de Pierre Karl Péladeau, Bernard Drainville et Jean-François Lisée le soir de l’élection, juste avant l’arrivée de Pauline Marois, comme s’ils avaient déjà pris leur place dans le vide laissé par la première ministre démissionnaire, elle ne dit rien de négatif sur personne.

« Je suis pour la diversité des tactiques », dit-elle, ce qui laisse pas mal de manœuvres pour les autres dans la société. « On peut ne pas être d’accord et ça ne fait pas de toi une mauvaise personne. » Elle se voit comme un pont. Une écouteuse rassembleuse.

ÉTERNELLE OPTIMISTE

Manon Massé se dit aussi une éternelle optimiste. Au moment de notre rencontre, le spectre d’un dépouillement judiciaire planait encore sur son élection serrée – par 91 voix –, mais elle disait ne rien craindre et elle a eu raison. Le nouveau dépouillement n’a pas été accordé.

Cela dit, elle n’est pas aussi optimiste au sujet de l’avenir de la planète. Selon elle, si on continue à vivre comme on le fait, en utilisant les ressources naturelles de façon irresponsable et en vidant la Terre, on va foncer dans un mur. « L’argent, ça ne se mange pas », dit-elle, citant une poète cri. D’ailleurs, Manon veut se mettre à l’agriculture urbaine, un sujet qui la passionne actuellement.

« Quand ça va péter, va toujours bien falloir manger, alors autant apprendre maintenant à faire pousser des choses. »

Manon, qui a grandi dans un petit village des Cantons-de-l’Est, aime l’idée de se mettre les mains dans la terre. Elle le fait depuis toujours. Cet été, elle ira à la pêche au doré et au brochet avec son père, près de Chibougamau. Peut-être prendra-t-elle aussi une pause forêt, comme elle aime le faire pour se ressourcer. Deux, trois mois dans un chalet sans électricité, sans eau courante. « Juste avec mes livres. » « Quand tu travailles avec les gens en difficulté pendant toute l’année, t’as besoin de ça. »

« Je suis vraiment une fille de bois », insiste-t-elle. Une fille de bois qui vit en ville. Et qui pense qu’en se déconnectant de la nature, l’humanité est en train de courir à sa perte. « Sauf qu’on peut faire des choix pour changer ça. Mais ces choix-là, il faut les faire, et les faire maintenant. »

À TABLE AVEC...

MANON MASSÉ

50 ans

Élue députée solidaire
dans Sainte-Marie–Saint-Jacques.

Se présentait à une élection
pour la cinquième fois.

Travaillait depuis 10 ans au Centre
des femmes de Laval, « la plus belle
job de [sa] vie ».

Milite depuis 35 ans au sein
du mouvement féministe.

Croit que si elle avait fait ce que Drainville, Péladeau et Lisée ont fait
le soir de l’élection, prenant le micro avant Pauline Marois, « [sa] mère [lui] aurait donné une claque en arrière de la tête en [lui] disant : “Tu sais pas vivre !” ».

Est née à Windsor, en Estrie, a grandi
à Boucherville et vit à Montréal
depuis qu’elle est adulte.

Célibataire, ex-conjointe d’Alexa Conradi, présidente de la Fédération
des femmes du Québec.

À TABLE AVEC MANON MASSÉ

NOUS AVONS MANGÉ CHEZ…

PROPULSION

Un petit café de la rue Sainte-Catherine Est, près de la station de métro Beaudry, en plein cœur du Village. Ici, non seulement il n’y a pas de viande, mais il n’y a aucun produit animal. Propulsion est un café moderne végétalien. Au menu : des smoothies au tofu, au lait d’amande, au sirop de concombre, au chanvre, des salades, des potages, des sandwichs au tempeh ou au curry de lentilles rouges… J’ai pris un plat appelé « bol » où l’on peut choisir ce qu’on veut comme légume, comme grain et comme sauce principale. J’ai opté pour du quinoa, une salade cuite de tomate et d’aubergine épicée un peu
à la marocaine – délicieuse et d’ailleurs, j’en aurais pris plus – et des courgettes. Manon Massé a choisi une salade et un bol de soupe. Quelques membres de son équipe, qui étaient là aussi, ont pris les sandwichs. Tout le monde avait l’air ravi. J’ai rincé le tout avec un verre
de kombucha au gingembre. Un repas léger, savoureux, grano à mort, mais pas ennuyant.

cantinepropulsion.com

1303, rue Sainte-Catherine Est, Montréal

514 664-1113

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