renégociation de l’alena

Après le Mexique, le Canada tente à son tour de s’entendre avec les États-Unis pour moderniser l’Accord de libre-échange nord-américain.

Chronique

La pinte de lait comme voie de passage ?

C’est ce qui a réveillé l’ours, au printemps 2017. Et c’est ce qui est en train de frapper notre industrie laitière.

Le 1er février 2017, on a permis aux producteurs laitiers canadiens de réduire de façon draconienne le prix de leur poudre de lait surprotéiné, qui entre dans la fabrication de fromage à pizza, notamment.

Ce faisant, les acheteurs de cette poudre – les fabricants de fromage canadiens – n’avaient plus intérêt à s’approvisionner auprès des Américains pour ce produit, rendant furieux certains des fermiers américains pour qui ce marché venait de disparaître.

Devant ce changement, l’ours Donald Trump est monté au front, en avril 2017. En direct d’une ferme du Wisconsin, il a promis de s’attaquer au système canadien de gestion des prix du lait, même si cette affaire ne touchait qu’une infime partie de l’industrie. Et même si la décision canadienne de réduire les prix canadiens pour cet ingrédient laitier ne visait qu’à fermer une échappatoire aux règles de commerce entre les deux pays dont profitait les Américains.

« C’est une chose terrible qui est arrivée aux fermiers du Wisconsin, avait déclaré le président aux médias. […] Nous allons faire de très grands changements ou nous allons nous débarrasser de l’ALENA une bonne fois pour toutes. On ne peut pas continuer comme ça, croyez-moi. »

Depuis ce jour, Donald Trump n’a pas cessé de s’attaquer à notre industrie laitière. L’affaire est devenue un symbole.

Il serait donc très étonnant que le Canada conclue une entente de libre-échange avec les Américains sans qu’on touche à ce puissant symbole. Les négociateurs américains n’en démordent pas : il n’y aura pas de nouvel accord de libre-échange si le Canada ne met pas le lait sur la table.

Hier matin, justement, The Globe and Mail et La Presse ont avancé que les négociateurs canadiens cherchaient avant tout à protéger le mécanisme de règlement des différends commerciaux prévus dans l’ALENA (chapitre 19). Et qu’en échange, on était prêt à parler de lait.

Lourde de sens

Les négociateurs canadiens cherchent une voie de passage pour permettre de conclure une entente sur ce dossier chaud.

Or, certains suggèrent que certains produits laitiers frais, comme la « pinte de lait » et le yogourt, soient cette voie de passage tant recherchée. La proposition peut surprendre tant elle est lourde de sens, mais elle devient plus acceptable quand on sait que les quantités autorisées remplaceraient celles déjà comprises dans le Partenariat transpacifique (PTP).

Dans cette entente, rappelons-le, le Canada a accepté que les 11 pays signataires puissent vendre sans tarifs douaniers l’équivalent de 3 à 3,5 % de notre marché laitier intérieur. L’entente vise tant les produits qui se conservent (fromage, beurre, etc.) que ceux qui sont périssables (yogourt, crème, lait frais, etc.).

L’entrée en vigueur est progressive et vise de lointains concurrents comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Viêtnam et le Japon. Avant que Trump ne prenne le pouvoir, les États-Unis faisaient partie de cette entente, mais ce n’est plus cas.

Voilà l’idée : comme il est peu probable que les pays lointains vendent au Canada du yogourt et du lait frais, compte tenu des coûts de transport et de la péremption, la part que le Canada leur a accordée pour ces produits laitiers ne risque pas d’être utilisée.

Et c’est cette part qui pourrait être accordée aux Américains sans tarifs douaniers, essentiellement, suggère Maurice Doyon, professeur en économie agroalimentaire à l’Université Laval.

L’accès au marché canadien qui a été accordé aux pays du PTP est globalement d’environ 3 %, mais il varie selon les produits. Pour le lait frais, cette part est de 2 %, pour le yogourt, de 1,6 %, pour le fromage, de 3 %, et pour le beurre, de 3,9 %.

Joint au téléphone, le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, trouve que l’idée mérite d’être étudiée. « C’est probablement un des aspects que le gouvernement canadien évalue pour ces négociations », dit-il.

Dit autrement, le lait de certains producteurs laitiers du Vermont ou du Wisconsin pourrait se retrouver sur des tablettes tout juste de l’autre côté de la frontière, comme à Frelighsburg, au Québec. Ou encore des détaillants comme Metro pourraient acheter une certaine quantité de lait frais ou de yogourt d’une laiterie américaine, pourvu que les quantités respectent les limites de l’éventuel nouveau pacte.

Rien ne garantit que Donald Trump et son équipe accepteront ni que ces offres seront suffisantes pour remplacer l’affront du lait ultrafiltré du Wisconsin utilisé pour la pizza. Peut-être exigeront-ils davantage, qui sait ?

Néanmoins, le symbole serait puissant pour Trump, qui a bien besoin d’un accord pour séduire l’électorat lors des élections de mi-mandat, où sa majorité est en jeu. Et le président pourrait brandir une pinte de lait et dire haut et fort à ses électeurs : « Vous voyez, j’ai réussi, nos fermiers peuvent vendre leur lait sans tarifs douaniers au Canada. »

reNégociation de l’ALENA

Un accord d’ici demain ?

Ottawa — Les négociations « intenses » entre le Canada et les États-Unis visant à moderniser l’Accord de libre-échange nord-américain progressent à un rythme tel que les autorités canadiennes envisagent sérieusement la possibilité que les deux parties tombent d’accord sur une nouvelle entente commerciale d’ici la fin de la journée demain, respectant ainsi l’échéancier fixé par le président américain Donald Trump.

Selon des informations obtenues par La Presse hier, le gouvernement Trudeau serait prêt à jeter un peu de lest dans le dossier de la gestion de l’offre pour les produits laitiers, ouvrant ainsi un peu plus le marché canadien aux producteurs américains. 

Quelle serait toutefois l’ampleur de l’ouverture du marché canadien ? 

Les négociateurs canadiens, menés par la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, ont refusé de donner des détails à ce sujet, au motif que les pourparlers entrent dans une phase délicate et qu’il serait risqué de dévoiler publiquement les cartes qu’a entre les mains le gouvernement Trudeau.

En échange, Washington mettrait de côté son exigence d’abolir le mécanisme de règlement des différends commerciaux, également connu comme le chapitre 19 de l’ALENA, qui permet de trancher des litiges entre les signataires de l’accord dans des dossiers comme le bois d’œuvre ou le secteur aéronautique, par exemple.

Le premier ministre Justin Trudeau doit tenir une conférence téléphonique avec ses homologues provinciaux cet après-midi afin de faire le point sur les négociations de l’ALENA, a fait savoir son bureau hier.

« Flexibilité »

L’autre dossier qui demeure en suspens touche la protection des droits de propriété intellectuelle des entreprises.

« C’est tout à fait possible que l’on parvienne à un accord d’ici vendredi. »

— Une source dans les rangs de la délégation canadienne s’étant confiée à La Presse hier

Dans la délégation canadienne, on tenait à rappeler hier que lors de la dernière séance de négociations à laquelle le Canada a participé, en mai, les Américains réclamaient l’abolition pure et simple du système canadien de gestion de l’offre et le maintien des subventions agricoles aux agriculteurs américains. Le Canada a opposé une fin de non-recevoir catégorique à une telle proposition, a-t-on souligné.

De passage dans le nord de l’Ontario, hier, Justin Trudeau, qui a déjà indiqué dans le passé être prêt à faire preuve de « flexibilité » pour ce qui est de la gestion de l’offre, a affirmé que le Canada ne signerait pas une mauvaise entente commerciale simplement pour respecter une date butoir fixée par Donald Trump. Dans la foulée, il a reconnu qu’il était possible d’arriver à un accord avant demain, à condition que ce soit « une bonne affaire pour le Canada, pour les Canadiens ».

L’entente avec le Mexique saluée

Au terme d’une rencontre de deux heures avec son homologue américain, le représentant américain au Commerce Robert Lighthizer, la ministre Chrystia Freeland a exprimé son optimisme quant au déroulement des « intenses » discussions à la table des négociations à Washington.

La chef de la diplomatie canadienne, qui pilote le délicat dossier des négociations de l’ALENA depuis 18 mois, a toutefois prévenu que les pourparlers les plus difficiles étaient à venir. Elle n’a pas voulu commenter les informations publiées hier dans le quotidien The Globe and Mail, selon lesquelles les autorités canadiennes sont prêtes à faire des concessions importantes sur la question de la gestion de l’offre afin de conserver le mécanisme de règlement des différends et d’éviter l’imposition de tarifs douaniers contre le secteur automobile canadien, une menace brandie depuis lundi par le président Trump.

Devant les journalistes, Mme Freeland a salué les Mexicains pour leurs difficiles compromis sur le travail et les salaires, dans le cadre de leurs négociations avec les États-Unis sur les règles d’origine des véhicules automobiles.

« Le travail que le Mexique et les États-Unis ont fait pendant l’été et les compromis très sérieux que le Mexique a faits sont bons pour les travailleurs canadiens, et ça nous donne une fondation pour être optimistes sur le travail que nous faisons ici cette semaine. »

— Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères du Canada

Des sources ont indiqué à La Presse que les détails de l’entente entre le Mexique et les États-Unis concernant l’industrie automobile respectaient les objectifs du Canada. « On voulait améliorer les conditions des travailleurs dans le cadre de cette entente. La hausse salariale qui sera consentie aux travailleurs de l’automobile du Mexique permettra d’éviter à l’avenir la délocalisation de nos entreprises. Cela aura donc pour effet de consolider notre propre industrie au Canada », a-t-on indiqué.

Rappelons que Mme Freeland a annulé son voyage officiel en Europe cette semaine pour revenir à la table des négociations de l’ALENA, après que les États-Unis et le Mexique ont réglé de nombreux points tout au long de leurs pourparlers bilatéraux cet été. — Avec La Presse canadienne

Entente États-Unis–Mexique

Les centres de données canadiens menacés

Un gain obtenu par l’administration Trump auprès du Mexique pourrait faire mal aux centres de données au Canada, et plus particulièrement à Montréal, qui connaît un boom dans ce secteur depuis quelques années.

« Pour la première fois dans un accord économique », s’est réjoui cette semaine le gouvernement américain, le Mexique n’a plus le droit d’obliger certaines entreprises à stocker leurs données informatiques sur son propre territoire.

Au Canada, à l’heure actuelle, les institutions financières et les administrations publiques ont l’obligation de stocker certaines données informatiques ici. Si le contenu de l’accord de libre-échange États-Unis–Mexique était intégralement appliqué au Canada, comme le souhaite Donald Trump, cette exigence pour les banques devrait être abandonnée.

« On sait que ce sont les entreprises américaines qui dominent le marché de l’infonuagique, indique Karim Benyekhlef, professeur de droit à l’Université de Montréal et directeur du Laboratoire de cyberjustice. Il y a donc un intérêt commercial pour le gouvernement américain à assurer à ses entreprises qu’elles peuvent offrir ce type de services sans avoir à ouvrir des centres de données établis dans des pays autres que les États-Unis. »

Plus précisément, selon le communiqué publié lundi par le Bureau exécutif du président des États-Unis, l’entente avec le Mexique « inclut une interdiction quant aux exigences de stockage local de données » quand une autorité financière a quand même accès aux informations nécessaires pour remplir son mandat.

L’effet Edward Snowden

L’obligation de recourir à des centres de données canadiens est une des raisons de l’attrait de la grande région montréalaise, où se retrouve la majorité de la cinquantaine de centres répertoriés au Québec. Google, Microsoft et bientôt Amazon y ont élu domicile. Toutes les annonces de nouveaux centres ces dernières années ont évoqué l’obligation canadienne pour certaines administrations et entreprises de stocker localement leurs données. Le bas coût de l’électricité, les conditions climatiques et de meilleurs délais de latence sont également quelques-uns des atouts de la métropole québécoise.

Depuis 2014, dans la foulée des révélations d’Edward Snowden sur les pratiques d’espionnage de la NSA, de nombreux pays dans le monde, notamment ceux de l’Union européenne, la Russie, la Chine, l’Indonésie, le Canada et le Mexique, ont institué ou renforcé leurs exigences quant au stockage local des données.

Résultat : une croissance spectaculaire du nombre de centres de données à l’extérieur des États-Unis. Pour les plus gros centres, appelés hyperscale data centers, on estime que leur nombre passera de 259 en 2015 à 628 en 2021. La proportion de centres aux États-Unis est passée, elle, de 52 % en 2015 à 44 % aujourd’hui.

Appui des banquiers

Ce n’est pas la première fois que l’administration Trump manifeste son irritation à l’égard de cette tendance. Dans sa liste d’« objectifs » pour la renégociation de l’ALENA, rendue publique le 17 juillet 2017, on souhaitait empêcher le Canada et le Mexique « d’imposer des mesures dans le secteur des services financiers qui restreindrait la circulation entre les frontières de données, ou obligerait l’utilisation ou l’installation de centres informatiques locaux ».

Ce mois-là, l’Association des banquiers canadiens (ABC) a appuyé en partie la demande de l’administration Trump. Dans une lettre envoyée à Affaires mondiales, un directeur de l’ABC, Alex Ciappara, a rappelé que l’Accord de partenariat transpacifique interdisait déjà l’obligation de recourir à des centres de données locaux. Une exception est cependant prévue pour les services financiers. Cet accord a été signé par le Canada et 11 autres pays en février 2016. Les États-Unis s’en sont retirés en janvier 2017.

L’ABC serait d’accord pour abolir cette exception, comme le demande aujourd’hui l’administration américaine, « tant qu’il y a cohérence avec les exigences réglementaires et statutaires de l’industrie bancaire domestique », écrit M. Ciappara.

Début août, l’Information Technology Industry Council, un lobby regroupant les géants technos américains, a renchéri en déposant un rapport enjoignant à la Maison-Blanche de bannir les « politiques discriminatoires envers les entreprises américaines », visant entre autres le Canada et le Mexique.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.