Déboulonner le mythe de la vitamine D

Médecin clinicienne et directrice d’une clinique de ménopause, Sylvie Demers milite pour que l’hormonothérapie féminine bioidentique soit reconnue et prescrite aux femmes qui en font le choix. Après le succès en librairie de son premier livre, Hormones au féminin (2008), elle récidive avec Le mythe de la vitamine D – Rétablir la vérité sur les hormones. Son ouvrage, prévoit-on, alimentera bien des discussions. Voici des extraits choisis d’une longue entrevue avec l’auteure.

La vitamine D jouit actuellement d’un grand capital de sympathie, écrivez-vous. Pourquoi ?

Il y a un engouement monstre pour la vitamine D. On constate que de plus en plus de gens (notamment des femmes ménopausées) consomment des doses de vitamine D de plus en plus élevées. Les médias lui allouent à tort une panoplie de bienfaits : elle contribue à prévenir l’ostéoporose, elle a des vertus anticancer, elle aide à la prévention des maladies cardiovasculaires, du diabète, de l’hypertension artérielle et des infections.

Ces bienfaits associés à la vitamine soleil constituent un mythe, selon vous. Quel est-il ?

Après avoir consacré des milliers d’heures à lire sur le sujet, j’ai réalisé que les études auxquelles on se fie pour vanter les bienfaits de la vitamine D sont des études d’association. Les études cliniques, quant à elles, sont dans l’ensemble décevantes et ne démontrent rien. La vitamine D prévient-elle l’ostéoporose ? On ne l’a pas démontré. Protège-t-elle contre les maladies cardiovasculaires ? Les études ne montrent aucun effet. Pas même pour les infections. La majorité des adultes ne seraient d’ailleurs pas en carence de vitamine D.

Comment arrivez-vous à cette conclusion ?

On ne mesure que la vitamine D de réserve et jamais la vitamine D active. Or, il n’y a aucun rapport entre les deux et c’est la seconde qui importe. J’ai moi-même mesuré le taux de vitamine D active chez 183 patients et personne n’en manquait. Les femmes ménopausées en avaient même un peu plus que les autres.

Vous allez jusqu’à dire que la vitamine D peut être nocive. Pourquoi ?

C’est surtout vrai chez les femmes ménopausées sans hormonothérapie. C’est montré depuis des décennies dans la littérature scientifique que, lors d'une chute du taux d’estrogène, il y a une baisse de calcium. Les femmes ménopausées ont un taux d’estrogène (estradiol) faible, le calcium sort donc de leurs os et circule dans leur sang. Ce calcium est progressivement éliminé par les reins dans l’urine. Si on ajoute du calcium et de la vitamine D, le risque de dépôt calcaire est augmenté. Des études ont même démontré un risque plus élevé d’athérosclérose et d’infarctus, de maladies rénales et du cancer du pancréas. Les suppléments de calcium sont de moins en moins prescrits et certaines études commencent aussi à nous alerter sur les suppléments de vitamine D.

Les effets protecteurs associés à tort à la vitamine D seraient plutôt dus aux estrogènes. Comment l’expliquez-vous ?

Les études sur les bienfaits des estrogènes (les mêmes bienfaits qui sont attribués à la vitamine D) sont beaucoup plus concluantes que celles portant sur la vitamine D. Je savais donc qu’il y avait un lien entre les deux et j’ai trouvé la confirmation dans une étude scientifique : les estrogènes augmentent l’enzyme responsable de la transformation de la vitamine D de réserve en vitamine D active. Eurêka !

Pourquoi, alors, les hormones féminines ont-elles si mauvaise presse ?

Les femmes ont honte de prendre l’hormonothérapie, les estrogènes sont des hormones méprisées en raison d’une misogynie hormonale. Aussi, les connaissances sur l’hormonothérapie sont récentes et, comme il y a un morcellement de la médecine, les cliniciens, même les gynécologues, ne sont pas bien informés. L’arrimage entre les connaissances scientifiques et la médecine ne se fait pas. Mais ça tend à changer.

L’hormonothérapie est-elle risquée ?

On a accusé à tort les estrogènes d’être cancérigènes, c’est un sacrilège ! L’augmentation du risque de cancer du sein n’est pas du tout liée à l’estrogène ni à la progestérone, mais aux progestines. C’est d’ailleurs ce qui a été montré lors de l’étude WHI publiée en 2002, mais ç'a été très mal compris.

Le risque de l’hormonothérapie classique (sans progestines), c’est un risque thromboembolique augmenté durant les premières années. L’hormonothérapie classique augmente les marqueurs inflammatoires et la production de triglycérides. La dose prescrite est plus importante que dans le cas d’une hormonothérapie bioidentique parce qu’elle est administrée par voie orale et ensuite métabolisée par le foie. La dose est néanmoins de quatre à sept fois moins importante que celle contenue dans un contraceptif oral.

Cela dit, les avantages de l’hormonothérapie surpassent les inconvénients : diminution du cancer du sein, du cancer colorectal, prévention des fractures, baisse de mortalité.

Pourquoi préférez-vous les hormones bioidentiques ?

Les hormones bioidentiques sont administrées par voie transdermique en continu et à très petites doses, donc, elles n’augmentent pas le risque de caillots. Je crois qu’il faut aller vers un mode d’hormonothérapie le plus sûr possible, c’est-à-dire maximiser les bienfaits tout en minimisant les risques. Les hormones bioidentiques ressemblent davantage à nos propres hormones.

Les preuves manquent sur l’innocuité des hormones bioidentiques, non ?

Au contraire ! Il y a beaucoup d’études, mais on a une suspicion envers les hormones féminines qu’on n’a pour rien d’autre. C’est plus testé que bien des médicaments prescrits.

Prônez-vous l’hormonothérapie pour toutes ?

Non. L’hormonothérapie, c’est un choix des femmes, comme la contraception et l’avortement. Le devoir du médecin n’est pas de dire si elles doivent en prendre ou pas, mais de bien les informer. Les femmes ne doivent pas être culpabilisées d’en prendre ou de ne pas en prendre. Si une femme ne veut pas en prendre parce qu’elle dit que c’est la nature, je respecte ça. Si elle veut continuer d’en prendre toute sa vie, pourquoi pas ! Je ne veux pas tomber dans une société dictatoriale qui dit aux femmes quoi faire. Mais le problème, c’est qu’on n’a pas la bonne information actuellement.

Quel est l’avenir de l’hormonothérapie ?

L’hormonothérapie bioidentique doit être reconnue et remboursée. Ça viendra. Ensuite, elle devra être perfectionnée. Je suis pionnière dans le dosage, plusieurs médecins commencent à la doser. Cependant, on est encore loin de l’optimum en hormonothérapie. Nos ovaires produisent plusieurs autres hormones. Les prescrira-t-on éventuellement ? Plus de recherches doivent être faites dans ce domaine. Pour la santé et le bien-être des femmes.

Le mythe de la vitamine D – Rétablir la vérité sur les hormones, éditions de l’Homme, 248 pages. 27,95 $. En librairie demain, 16 octobre.

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