Alexandre Mc Cabe  Chez la reine

Esprit fidèle

C’est parce qu’il ne voulait pas que son grand-père « meure une deuxième fois » qu’Alexandre Mc Cabe a décidé d’écrire Chez la reine. Dans ce premier roman sur l’héritage et la transmission, il rend hommage à sa famille tout en se penchant sur l’histoire récente du Québec, du référendum de 1980 jusqu’au milieu des années 2000.

Un premier roman très personnel donc, mais le prof de littérature et auteur de 33 ans, qui a remporté le Prix du récit Radio-Canada il y a deux ans – l’élément déclencheur de Chez la reine –, se défend de faire de l’autofiction.

« Mon histoire a peu d’intérêt. Mais comme je n’ai pas une grande capacité à inventer, j’aime observer. C’est un portrait, une série de tableaux. J’ai plein de personnages fantastiques autour de moi, il s’agissait d’attacher tout ça pour que ça ait du sens. »

Chez la reine, c’est la maison de la tante du narrateur à Sainte-Béatrix, dans Lanaudière. Le roman raconte l’année de la mort de son grand-père, une longue agonie qui l’amènera à se souvenir des moments qu’il a partagés avec lui, mais aussi des discussions politiques, des réunions familiales, des blagues récurrentes, des liens qui l’ont uni à sa famille élargie.

« Bien modestement, j’ai essayé d’écrire une éducation, avec les thèmes de l’amour, de l’art, de la politique, de l’altérité – celle que j’ai ressentie en sortant du royaume, un exil que j’ai trouvé difficile. C’est une manière de réparer cette blessure et d’être redevable envers ma famille et ce qu’elle m’a donné. Je leur dis : voici comment je vous ai trouvés beaux et je vous ai aimés. »

MÉMOIRE

Ce devoir de mémoire, Alexandre Mc Cabe le ressent fortement, tant envers l’histoire familiale que collective. Il est naturel pour lui de donner la vedette aux générations qui l’ont précédé, par exemple en sortant son grand-père de l’anonymat et en le célébrant. Mais il refuse d’être taxé de nostalgique ou de passéiste : s’il en a contre le « présentisme » ambiant, il ne rêve pas de retourner « dans ce monde ».

« C’est comme si tout recommençait avec nous ! Mais il y a un atavisme, une hérédité, des réflexes : on ne peut s’expliquer le Québec qu’en regardant les générations passées. »

« Ce n’est pas de la nostalgie, c’est de la fidélité. Je reconnais ce monde, et j’en ai besoin pour comprendre celui dans lequel je vis pour avancer. »

— Alexandre Mc Cabe

C’est pourquoi il espère que les gens se reconnaîtront dans ses propres souvenirs. « Un des plus beaux compliments que j’ai reçus, c’est une femme qui m’a dit : “Ton grand-père, c’est mon grand-père. Ta tante, c’est ma tante.” Je m’inspire beaucoup du je d’Annie Ernaux, un je qui est en fait un nous, dans lequel les autres peuvent se retrouver. »

POLITIQUE

En choisissant d’introduire dans son histoire une dimension politique, en faisant des références aux deux référendums, à Lucien Bouchard, à Jean Charest ou à la question nationale en général, Alexandre Mc Cabe renoue avec un genre moins exploité au Québec depuis les années 70. Il s’inspire de modèles comme Miron, Godin, Camus – dont il est un spécialiste –, Neruda, des artistes dont on ne peut dissocier l’œuvre de leur empreinte sur leur époque.

« La politique est une matière littéraire formidable, dans ce qu’elle a de tragique et de grandiose. En ce moment par exemple, on est en pleine campagne électorale, tout le monde en parle, est appelé par ça. Ça fait partie de nos vies ! La politique me permet de parler de mes personnages et aussi de comprendre l’impact de ce qui s’est passé, différemment de ce qu’on lit dans les livres d’histoire. Le référendum de 95 par exemple, il y avait une charge extraordinaire à ce moment-là, et ce type d’événement contribue à définir les êtres. »

Alexandre Mc Cabe estime cependant ne pas faire de la littérature engagée - il préfère expliquer l’engagement, montrer ce qui anime ses protagonistes sans être manichéen. « Parce que la littérature est le lieu de la nuance et du discernement », ajoute-t-il.

« Il faut savoir se situer. Se placer là où on doit être. Au péril de la littérature, s’il le faut », dit le narrateur à la fin de Chez la reine. C’est sûrement là que se trouve l’engagement d’Alexandre Mc Cabe, dans le désir de creuser le sillon d’un récit historique commencé par ses prédécesseurs.

« Miron a toujours eu ce conflit intérieur entre la lutte et la littérature. C’est sûr que j’ai essayé de faire des phrases belles, un livre qui se lit bien, mais parfois il faut dépasser le simple esthétisme pour retourner sur le terrain du combat. Si je peux donner une poussée à d’autres pour qu’ils atteignent aussi ce terrain-là, j’aurai fait mon travail. »

Chez la reine

Alexandre Mc Cabe

La Peuplade

159 pages

EXTRAIT

EXTRAIT DE CHEZ LA REINE D'ALEXANDRE MC CABE

« Le lendemain, après les classes, j’avais pris l’autobus qui menait chez ma tante. Le temps était magnifique. La lumière mordorée du dernier jour d’octobre inondait le vallon et nous faisait oublier que le mois des morts arrivait. Pendant que grand-père cordait du bois dans l’érablière en sifflant un air ancien, les “femmes” préparaient des sacs de friandises pour les enfants qui passeraient, en soirée, déguisés en fantômes et en sorcières. Une odeur de tarte aux pommes fusait par la sortie de la hotte près de la porte d’entrée. “Laisse tes bottes dehors, j’viens de passer la balayeuse.” C’était la Reine qui m’apostrophait de la fenêtre de la cuisine. Rien n’avait changé. »

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