MARTIN FOURNIER  LES AVENTURES DE RADISSON

Les secrets
de Radisson

Comment la torture aux mains des Iroquois a-t-elle changé le jeune Pierre-Esprit Radisson, l’explorateur du milieu du XVIe siècle ? Quelles étaient ses relations avec les jésuites, qui l’ont engagé pour explorer une possible paix iroquoise ? Martin Fournier, historien à l’Université du Québec à Rimouski, sonde l’âme de Radisson dans une série de romans, Les aventures de Radisson. Le deuxième tome, Sauver les Français, vient d’être publié, alors que le premier a reçu le prix du Gouverneur général en 2011. La Presse s’est entretenue avec M. Fournier.

Comment vous êtes-vous intéressé à Radisson ?

Il a été le sujet de ma maîtrise et de mon doctorat. J’avais l’impression de le connaître presque personnellement. Mais je trouve qu’avec un roman, on peut parler d’une personne de manière plus intéressante.

Par exemple ?

La torture de Radisson par les Iroquois, que j’ai beaucoup abordée dans le premier tome. Ça semble un épisode très important de sa vie. Les recherches contemporaines sur l’impact de la torture montrent que certains craquent et d’autres ont la force de passer au travers. Mais que, dans tous les cas, il y a une reconstruction de la personnalité. Les Iroquois se servaient de la torture pour intégrer les prisonniers à leur société. Le supplicié était entre la vie et la mort. Normalement, il était très reconnaissant si on décidait de le gracier. J’ai essayé de comprendre ce que ça avait pu avoir comme impact de s’intégrer à la communauté iroquoise, puis de les quitter, et enfin de revenir un an et demi avec les jésuites. Ses relations avec ses parents adoptifs et l’iroquoisie changent. J’avais essayé d’en parler dans ma maîtrise et mon doctorat, mais beaucoup de gens m’avaient reproché d’aller jusque-là.

Les jésuites se méfiaient-ils de Radisson, qui contrairement à Brébeuf et aux autres martyrs, avait été gracié par les Iroquois ?

Il est engagé par les jésuites comme conseiller pour amadouer les Iroquois, qui constituent le gros problème de la Nouvelle-France.

Sait-on avec précision l’itinéraire de Radisson ?

On sait qu’il a été au sud du lac Érié, puis au bout du lac Supérieur. Il y a plusieurs hypothèses des endroits où il semble avoir été. Mais une incertitude subsiste.

Pourquoi avez-vous choisi la forme du roman jeunesse
plutôt qu’adulte ?

Mon éditeur et moi avons choisi d’adopter une forme accessible aux jeunes qui étudient l’histoire au niveau secondaire, c’est-à-dire aux jeunes de 14 ans et plus, entre autres parce que cette forme nous permettait en même temps de toucher un public adulte, amateur de roman d’aventures historique et d’action. Il existe pour ces mordus d’histoire des romans sur le Moyen-Âge européen, l’Antiquité, le Japon des Shogun, mais il n’existait rien sur notre histoire à nous, qui comporte pourtant bien des aspects passionnants. Le premier tome était finaliste dans la catégorie adulte du prix des abonnés de la bibliothèque de la Ville de Québec. Enfin, il existe des recettes en romans jeunesse, que je n’applique pas. Je construis des romans originaux, fidèles à l’histoire, dont la construction et le propos se tiennent par eux-mêmes, comme n’importe quel bon roman, qu’il soit pour adolescents ou pour adultes.

Quelle histoire racontera le tome trois ?

Je l’appellerai « l’année des surhommes ». Radisson et Desgroseillers peuvent épater les Amérindiens du lac Supérieur, qui n’avaient jamais vu de Blancs. Ils mettent le paquet pour impressionner. Connaissant la culture animiste des Amérindiens, ils se présentent comme des gens puissants parce que des esprits puissants les appuient.

Ça rappelle les conquistadors espagnols qui tenaient
en respect des milliers de Mayas et d’Incas en se présentant comme des dieux.

Oui, les Français et les Espagnols faisaient les choses différemment des Anglais, qui maintenaient une barrière avec les populations amérindiennes. Ils avaient peur de se faire contaminer par le côté démoniaque des Indiens. Ils les dominent radicalement en les repoussant.

Y a-t-il un lien avec la culture catholique de faste et de mystère liturgique, à laquelle s’opposait le protestantisme ?

Oui, certainement. Les missionnaires français essaient de s’allier avec les Indiens, de trouver un terrain d’entente, un middle ground. Des relations très étroites s’installent.

N’est-il pas paradoxal de tromper pour établir un lien ?
Après tout, Radisson ne croyait pas vraiment que des esprits puissants l’appuyaient.

Oui, mais c’était une façon de défendre ses intérêts. Il disait « on est puissants mais on veut vous aider ». Ça a formé parfois des alliances solides.

Les aventures
de Radisson T.2

Martin Fournier

Septentrion

440 pages

EXTRAIT

EXTRAIT DE RADISSON
DE MARTIN FOURNIER

« Leur progression dans le noir total est désespérément lente. À tout moment, ils craignent
de réveiller les Iroquois. Dans le bateau plat qui prend la tête, deux hommes sont postés à l’avant et brisent la glace avec de lourds bâtons pendant que
les six rameurs s’épuisent pour forcer le passage. Ils franchissent enfin le premier tournant de la rivière
et peuvent allumer les torches. Radisson est le pilote de l’expédition, dans le premier bateau plat, vu son expérience à la barre du Zeelhaen, sur la gabarre
de Touchet et dans les canots des Iroquois. Robert Racine dirige l’autre péniche. Les six jésuites sont répartis dans six embarcations différentes pour qu’au moins l’un d’entre eux puisse expliquer aux autorités de la colonie pourquoi la mission de Gannentaha s’est si mal terminée. »

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