Services de garde non subventionnés

Un crédit d'impôt qui profite aux contrevenants

Québec

 — Le phénomène des garderies illégales s’aggrave. Et l’État en est complice malgré lui. D’un côté, il fait plus d’inspections pour répondre au déluge de plaintes. Mais de l’autre, il finance indirectement, depuis des années, les contrevenants avec le crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants.

L’an dernier, Québec a débusqué deux fois plus de garderies illégales qu’il y a trois ans. Il est débordé de plaintes à ce sujet : elles ont plus que triplé, a constaté La Presse.

Ces garderies non subventionnées accueillent, en contravention à la loi, plus de six enfants sans avoir de permis du ministère de la Famille ou une reconnaissance d’un bureau coordonnateur de la garde en milieu familial. Elles fonctionnent donc sous le radar. Elles échappent aux normes de qualité prévues à la loi.

L’an dernier, le ministère de la Famille a pris en défaut 232 garderies illégales, comparativement à 120 en 2009-2010.

Le nombre de plaintes est passé de 238 en 2009-2010 à 852 l’an dernier. Le Ministère fait valoir que la hausse du nombre de plaintes s’explique en partie parce que les parents connaissent davantage la loi. « Oui, il y a une accentuation du nombre de plaintes et le phénomène des garderies illégales existe encore. Mais plus la population nous informe, plus ça nous permet d’intervenir. Et notre but, c’est de contrer cette garde illégale », affirme sa porte-parole, Nadia Caron. Selon elle, la santé et la sécurité des enfants peuvent être compromises dans ces établissements.

Or les garderies illégales peuvent faire de bonnes affaires grâce à l’État. Elles facturent aux parents un tarif de 30 $ ou 35 $ par jour, par exemple. Mais même si elles violent la loi en n’ayant pas de permis, certaines remettent des reçus pour que les parents puissent toucher le crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants. Grâce à ce crédit d’impôt, les parents obtiennent le remboursement d’une bonne partie de leurs frais. Et l’État se retrouve ainsi à soutenir financièrement des garderies illégales. Le ministre de la Famille est au fait de cette pratique depuis des années, mais il n’en connaît pas l’ampleur exacte.

Revenu Québec, qui administre le crédit d’impôt, ne vérifie pas si une garderie a un permis du Ministère ou une reconnaissance d’un bureau coordonnateur de la garde en milieu familial. « La détention d’un permis du ministère de la Famille par le fournisseur du service de garde n’est pas obligatoire pour l’admissibilité au crédit d’impôt », affirme son porte-parole, Stéphane Dion. Revenu Québec ne demande pas non plus à un service de garde de faire la preuve du nombre d’enfants qu’il accueille et de démonter qu’il a un permis si leur nombre est au-delà de six. « Ce critère n’est pas un critère fiscal nécessaire à l’obtention, par le parent, du crédit d’impôt », explique M. Dion. Bref, « il n’y a aucun lien direct entre la législation fiscale et la législation relevant du ministère de la Famille en matière de garde d’enfants ».

Des garderies illégales protégées par le secret fiscal 

Depuis 2010, le ministère de la Famille souhaite obtenir des renseignements de Revenu Québec pour comparer les émetteurs de reçus aux fins d’impôt et les détenteurs de permis. L’opération lui permettrait d’identifier plus facilement les contrevenants. Mais il se bute au secret fiscal.

La solution passerait par un changement à la loi. Ce n’est pas dans les cartons même si Québec sait depuis des années que son crédit d’impôt soutient des contrevenants. « On est lié par la Loi sur l’administration fiscale. Elle ne nous permet pas de transmettre au ministère de la Famille des informations qui sont confidentielles et qui sont contenues dans les déclarations fiscales d’une entreprise ou d’un particulier », affirme Stéphane Dion. Revenu Québec est conscient que des garderies illégales profitent de la situation. « On est préoccupé par cette problématique-là », reconnaît son porte-parole.

Selon le ministère de la Famille, « des discussions viennent de débuter » avec Revenu Québec « sur des avenues potentielles de collaboration pour lutter contre la garde illégale ».

Revenu Québec fait valoir que des mesures ont été prises « afin de ne pas compromettre les efforts déployés par le Ministère ». Par exemple, à la fin de l’annexe C de la déclaration de revenus, il indique que « toutes les personnes qui exploitent un service de garde, offrant des places à 7 $ ou non, doivent obtenir un permis du ministère de la Famille et des Aînés ou une reconnaissance d’un bureau coordonnateur de la garde en milieu familial si elles accueillent plus de six enfants ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.