Chronique

Permettez qu’on rêve ?

Oui, je comprends que vous refusez de rêver. Que vous avez perdu vos illusions et que vous êtes cyniques. Mais disons qu’on se permet de rêver, voulez-vous ?

Qu’arriverait-il si tous les intervenants mettaient de l’eau dans leur vin dans le réseau de la santé ?

Dans ce rêve, les médecins renonceraient à une grande part de leur rémunération individuelle et accepteraient que leur paye soit fonction de résultats de groupe. Par groupe, j’entends les infirmières, les travailleurs sociaux, les psychologues et les pharmaciens, notamment. On soigne mieux et davantage ? Tous en profitent, à divers niveaux.

Dans ce rêve, les syndicats d’employés du réseau cesseraient de diaboliser le privé. Ils reconnaîtraient, comme dans les pays scandinaves, que la concurrence du privé sert de dynamo pour améliorer l’efficacité. Les patrons, de leur côté, reconnaîtraient l’importance de gestes moins immédiatement centrés sur l’efficacité, comme la prévention.

Dans ce rêve, les patients renonceraient à changer de médecin à leur guise, un phénomène qui peut multiplier les diagnostics et l’offre de services.

Dans ce rêve, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, délaisserait les interventions caustiques, se mettrait en mode écoute et permettrait, par exemple, une plus grande décentralisation des responsabilités.

Bref, rêvons que tous renoncent à certains privilèges et mettent la main à la pâte. Ne croyez-vous pas qu’alors, notre système de santé s’améliorerait ? Si les parties intéressées étaient moins méfiantes et plus ouvertes, ne trouverait-on pas des solutions innovatrices ?

Voilà justement l’objectif que s’est donné un collectif formé de quatre groupes habituellement opposés, soit les médecins, la CSN, les cadres supérieurs et les patients (1). Hier, fait rare, ces quatre groupes parlaient à l’unisson, en conférence de presse, proposant 15 solutions pour améliorer le réseau.

Oubliez les énoncés précis que j’ai faits précédemment : les quatre porte-parole ne sont pas allés si loin et leurs suggestions sont moins spécifiques. N’empêche, les quatre semblaient réellement sincères dans leur volonté de réfléchir autrement. Il était question de mettre de côté la confrontation et de prôner « un dialogue inclusif et constructif ».

À preuve : même des idées appuyées par le ministre Barrette ont trouvé grâce à leurs yeux, comme le financement à l’activité ou l’utilisation d’indicateurs de performance.

Les 15 solutions se déclinent en cinq volets, dont le principal est l’amélioration des soins de première ligne. Pour le collectif, cette rénovation de la première ligne passe par l’interdisciplinarité entre les professionnels et par l’élargissement des champs de compétence de certains, par exemple.

Pour désengorger la première ligne, croient-ils, il faut faire en sorte que les patients avec des besoins relativement bénins ou autres que médicaux ne se rendent pas aux urgences. À leurs yeux, de meilleurs soins à domicile, avec des services en santé mentale et en réadaptation mieux structurés dans des CLSC, font partie des solutions.

Entre autres, ils suggèrent aussi que les établissements soient responsables d’un bassin précis de population, comme ça se fait au Nouveau-Brunswick et en Alberta (rémunération par patient ou capitation). Dans un tel cas, les patients sont attachés à la clinique qui leur est destinée, mais en retour, la clinique s’oblige essentiellement à les servir sur demande, à quelques heures d’avis.

Cette obligation force les établissements à soigner en amont, par un suivi serré des maladies chroniques, par exemple, ce qui désengorge les urgences. La rémunération des groupes de soignants serait en fonction du niveau de prise en charge, notamment.

Dans cette optique, il est aussi question d’améliorer la prévention et le financement de la santé publique, qui est minime.

Le collectif propose en outre de revoir la gouvernance des conseils d’administration des établissements de santé. On veut moins de nominations politiques et plus de participants des groupes communautaires et de la société civile, entre autres, question de mieux tenir compte des particularités locales. Actuellement, 10 des 12 membres des C.A. sont nommés par le ministre Barrette.

Les quatre groupes sont bien conscients que le gouvernement ne peut guère injecter plus d’argent, puisque la santé accapare environ 50 % du budget des programmes. Ils estiment toutefois qu’il est possible de faire mieux en changeant l’approche. Et c’est rafraîchissant à entendre.

De toute façon, nous n’avons pas le choix : travailleurs syndiqués, médecins et cadres ont vu exploser le nombre de cas d’épuisement professionnel depuis deux ans, ont indiqué les porte-parole. Les conditions de travail sont telles qu’elles ont pour effet de rendre les emplois moins attrayants, ce qui fait craindre pour la relève.

Alors, permettez qu’on se mette à la tâche ?

(1) Il s’agit de l’Association médicale du Québec (Hugo Viens), de la CSN (Jean Lacharité), de l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux (Carole Trempe) et de l’Alliance des patients pour la santé (Jérôme Di Giovanni).

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