Sondage Crop – La Presse

LE MALAISE MUSULMAN

Un sondage CROP réalisé pour La Presse vient confirmer ce dont se plaignent bon nombre de musulmans depuis plusieurs mois déjà. Parmi huit communautés culturelles ou confessions religieuses sondées, ce sont eux qui ressortent comme étant les plus ostracisés dans un Québec de plus en plus fermé à l’immigration.

Selon un sondage CROP réalisé pour La Presse, 57 % des Québécois disent avoir une opinion « plutôt négative » ou « très négative » des musulmans.

De plus, 56 % des répondants ont une vision plutôt négative ou très négative des juifs hassidiques. De l’avis de Youri Rivest, vice-président chez CROP, les manchettes sur la secte ultra-orthodoxe Lev Tahor ont sans doute contribué à cette opinion sur cette communauté.

À l’inverse, seuls 8 % des répondants en pensent autant des Français et 12 %, des Américains.

QUESTION OSÉE

Cela va parfaitement dans le sens de l’intuition qu’avait depuis un bon bout de temps Paul Eid, professeur de sociologie à l’UQAM. « Bon nombre de gens se sentent assiégés par les musulmans », dit-il.

Ce qui frappe Youri Rivest, « c’est que les communautés culturelles sont beaucoup mieux perçues que les confessions religieuses, qui arrivent en bas du tableau ».

M. Rivest le dit d’emblée : jamais CROP n’avait posé la question de façon aussi directe.

Une question osée, de fait, mais que La Presse a cru bon de poser à un moment où le débat sur la Charte a fini par se porter presque entièrement sur le voile et sur les communautés musulmanes du Québec.

Ce coup de sonde rejoint un autre sondage CROP, demandé par Radio-Canada et rendu public cette semaine, selon lequel 53 % des personnes consultées pensaient qu'il existait une menace intégriste musulmane au Québec.

Ceci étant dit, ce malaise face au musulman s’inscrit dans un Québec en bonne partie réfractaire à l’autre en général.

Quand on signale aux gens que le Québec reçoit 55 000 immigrants par an et qu’on leur demande ce qu’ils en pensent, la moitié des répondants disent que c’est trop, tandis que 46 % jugent que c’est un nombre adéquat.

La sociologue Annick Germain, rattachée au Centre Urbanisation Culture, Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), croit que l’écoute des nouvelles y est pour quelque chose.

« On ne peut jamais faire abstraction du contexte international. Toutes ces guerres, toutes ces tensions, ça inquiète l’opinion publique. » — Annick Germain, sociologue

Cela renvoie aussi peut-être à son avis à l’état d’esprit des Québécois « qui ont du mal ces temps-ci à se définir et qui le font en regardant les autres, quitte à leur attribuer leurs malheurs ».

Ce que les répondants veulent des immigrants, selon le sondage ? D’abord et avant tout, qu’ils se fondent dans le paysage.

Pas moins de 72 % des répondants se disent tout à fait d’accord ou plutôt d’accord avec l’idée que « les immigrants doivent mettre de côté leur culture et essayer d’adopter celle du Québec ».

« Ce qui a changé chez les Québécois au cours des années 2000, c’est cette idée de plus en plus répandue que c’est à l’immigré de s’adapter, dit Youri Rivest.

« Pendant qu’au Canada anglais, on dit aux immigrants : "Bienvenue chez vous", ici, on dit : "Bienvenue chez vous, mais faites comme nous." »

— Youri Rivest, vice-président de CROP

« Depuis la crise des accommodements raisonnables, analyse pour sa part le sociologue Paul Eid, il y a ce sentiment très fort au Québec qu’ici, contrairement au reste du Canada, nous voyons clair, nous ne plierons pas l’échine, nous ne laisserons pas les minorités nous imposer leur volonté. »

Mais tout en disant que les immigrés doivent s’intégrer, 68 % des répondants s’entendent aussi pour dire que « les autres cultures ont beaucoup à nous apporter, [que] leurs influences nous enrichissent. »

PAS UNIQUE AU QUÉBEC

Fait à noter, la méfiance envers les musulmans et l’islam n’est pas propre aux Québécois.

Selon un sondage Ipsos publié en janvier en France, pas moins de 70 % des personnes interrogées disent qu’il y a « trop d’immigrants en France » et 62 % que l’on « ne se sent plus chez soi comme avant ».

Près de trois Français sur quatre (74 %) pensent par ailleurs que la religion musulmane n’est pas tolérante (contre 28 % pour la religion catholique et 34 % pour la religion juive).

Aux États-Unis, 42 % des répondants à un sondage national réalisé par le Pew Research Center en mai ont dit estimer que l’islam encourage davantage la violence que les autres religions.

DIFFÉRENCE ENTRE FRANCOPHONES
ET NON-FRANCOPHONES

La barrière est énorme : 72 % des non-francophones disent avoir une opinion positive des musulmans, mais seulement 36 % des francophones pensent de même. Intuitivement, Youri Rivest, vice-président de CROP, s’est demandé si cela pouvait s’expliquer par le fait que les francophones vivent beaucoup en région et qu’ils ne sont pas habitués à voir des gens d’autres cultures.

Or, M. Rivest signale que, vérification faite, cette variable compte peu. La différence dans la perception des musulmans par les francophones et les non-francophones ne peut pas non plus s’expliquer par le fait que les non-francophones de l’échantillon sont personnellement touchés par la Charte, puisque leur cohorte compte tout autant de musulmans que de Chinois, de Grecs, d'Italiens que d'hispanophones, pour qui la Charte ne changera rien à leurs habitudes.

N’empêche, ces gens sont peut-être spontanément sensibles au fait d’être minoritaires, avance M. Rivest. Mais la différence fondamentale dans la perception des musulmans réside ailleurs à son avis : cela serait une question de valeurs. « Parmi les Québécois qui ont une opinion négative des musulmans, observe-t-il, 82 % ont l’impression que les immigrés ont des valeurs différentes de celles des Québécois et 84 % estiment que les immigrés devraient mettre de côté leur culture et s’adapter à celle du Québec ».

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