RÉPLIQUE

Les réels responsables de la crise du logement

En réponse au texte de Hans Brouillette, « Rareté de logements : à qui la faute ? », publié mercredi 

La pénurie actuelle de logements locatifs est inquiétante.

Elle frappe déjà durement les locataires dont ceux de Montréal, Gatineau, Laval et Longueuil, où les taux d’inoccupation sont deux, voire trois fois moins élevés que le seuil dit d’équilibre de 3 %.

Déjà, les conséquences de cette pénurie se font durement sentir : accélération des hausses de loyer, augmentation des cas de discrimination, risque élevé de voir des familles sans logis le 1er juillet prochain.

Hans Brouillette, le directeur des affaires publiques à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), affirme que les gouvernements successifs sont en partie responsables de la chute du taux d’inoccupation. Nous sommes bien d’accord, mais pas pour les raisons qu’il invoque.

Le marché mal encadré

Selon M. Brouillette, les contraintes gouvernementales auraient entraîné la pénurie de logements en décourageant les investissements. Il laisse entendre qu’il faudrait laisser agir le libre marché. 

Or, c’est exactement ce marché immobilier débridé qui a mené à la hausse du coût du logement et à l’effritement du parc de logements locatifs abordables.

Le type de développement immobilier privilégié depuis plusieurs années et la spéculation foncière ont mis une forte pression sur le coût des loyers. Par exemple, à Montréal, pendant une longue période, le marché immobilier privé n’a construit que des condos ou des logements locatifs trop petits et trop chers pour le portefeuille de la moyenne des locataires.

En l’absence d’un réel contrôle des loyers, d’un registre des baux, d’une interdiction réellement efficace de convertir les logements locatifs en condos – surtout lorsque le taux d’inoccupation dégringole –, de l’interdiction aussi de contrer les reprises de possession factices et les transformations arbitraires de logements ayant pour véritable dessein d’évincer les locataires de longue date, tout ça et plus que toute autre chose nous a menés à la pénurie de logements constatée. Dans ce contexte, le rapport de force des locataires est bien faible.

Hausses de loyer

Dans la dernière année, la pénurie a entraîné des hausses importantes de loyer, beaucoup plus que l’inflation. Dans certains quartiers montréalais où la disponibilité est pratiquement nulle, les hausses ont atteint plus de 5 %, voire plus de 10 % pour certains types de logements plus rares comme les logements familiaux.

Ces hausses ont des conséquences sur la possibilité des ménages locataires montréalais, déjà touchés par l’embourgeoisement et la perte de logements locatifs au profit d’Airbnb, de demeurer dans leurs milieux de vie. 

Pour la majorité des ménages de Montréal, la location d’un logement reste la seule manière de se mettre un toit au-dessus de la tête. Et nombre d’entre eux le font au détriment de leurs autres besoins essentiels ou de leurs conditions de vie.

Déjà, lors du recensement de 2016, 87 000 ménages locataires montréalais consacraient plus de la moitié de leurs revenus à se loger et 11 % vivaient dans un logement de taille insuffisante. La pénurie actuelle risque d’empirer la situation. À terme, s’ils sont poussés hors de Montréal, ils perdent accès à la ville et à leurs réseaux d’entraide. Leur appauvrissement et leur isolement croissent d’autant.

Le problème principal est l’absence de logements répondant à leurs besoins. 

Seulement 11 % du parc de logements locatifs est hors du marché privé. 

Autant dire qu’il n’y a pas d’autre choix pour bon nombre de personnes mal logées.

L’inaction des gouvernements

Si la faute pour la crise du logement vécue par des centaines de milliers de locataires revient en bonne partie aux gouvernements, ce n’est pas à cause des contrôles qu’ils exercent sur le marché, mais bien de la faiblesse de ceux-ci, doublée de leur incapacité de financer un nombre suffisant de logements coopératifs, sans but lucratif et publics.

Au banc des accusés, il y a le gouvernement québécois qui fait preuve de laxisme dans le financement du programme AccèsLogis depuis des années, ne l’ayant pas indexé depuis 10 ans, ce qui a entraîné un creux historique dans la livraison de logements sociaux. Malheureusement, la CAQ, qui avait promis du changement, ne prévoit financer aucune nouvelle unité, une première en 20 ans.

Puis il y a eu, en 1994, le retrait du gouvernement fédéral du financement du logement social, qui a également privé le Québec d’environ 75 000 logements sociaux. Quant à sa Stratégie sur le logement, plutôt que de répondre aux besoins les plus urgents, elle s’éparpille dans une foule d’initiatives qui rateront pour la plupart leur cible, produisant des habitations inabordables pour les ménages ayant des besoins impérieux de logement.

De leur côté, les propriétaires doivent arrêter de jouer les victimes en disant qu’ils n’ont pas d’incitatifs pour rénover.

Ce sont eux qui tirent des profits importants lors de la revente de leurs immeubles, pas les locataires ni les finances publiques. De plus, seulement la moitié du gain en capital réalisé lors de la revente d’un immeuble est imposable.

Arrêtons donc de donner l’impression de faire la charité : le marché immobilier demeure une business payante. On n’a qu’à consulter les prix actuels de revente pour s’en convaincre. Pendant ce temps, c’est le droit au logement qui passe à la trappe.

La solution

Pour atténuer les conséquences prévisibles de la pénurie, il faut que Québec prévoie rapidement des mesures d’urgence pour le 1er juillet prochain.

Puis, pour l’enrayer, il faut non seulement accélérer la réalisation des projets de logements sociaux prévus depuis une dizaine d’années et qui ne sont toujours pas sortis de terre, mais également en prévoir encore davantage afin de répondre aux besoins les plus urgents. Il faut y concentrer les investissements et il faut déjà prévoir leur développement pour les années à venir… ce que ne permettent pas les budgets fédéral et provincial présentés en mars.

Avec des surplus aussi importants d’une part et une Stratégie sur le logement qualifiée d’historique d’autre part, il est encore temps de rectifier le tir !

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