Opinion

Nuisible aux librairies

Le monde de l’édition, avec la venue du numérique et l’omniprésence de l’internet, est en profonde mutation. Tous les acteurs de la chaîne du livre doivent s’adapter aux nouvelles réalités et aux transformations du marché. Le milieu du livre québécois semble très majoritairement en faveur d’une loi qui imposerait un prix unique ou prix plancher sur toute nouveauté pour une durée de neuf mois avec possibilité d’accorder aux lecteurs un rabais de 10 %.

Les tenants de cette approche n’en ont pas sérieusement évalué les conséquences. Les auteurs, les éditeurs ainsi que les lecteurs québécois seront les premiers touchés et pénalisés par cette mesure qui n’aura que peu ou pas d’effet sur le développement et la survie du réseau des librairies. Son application sera encore plus chaotique que la loi 51 qui régit actuellement le commerce du livre au Québec.

L’édition québécoise accuse un net recul depuis 2010 et la tendance n’est pas à la hausse. Selon l’Institut de la statistique du Québec, les ventes des livres publiés par les éditeurs québécois sont passées de 241 millions de dollars en 2010 à 201 millions en 2012, soit une baisse de 17 %, alors que les ventes de livres étrangers représentent 70 % du chiffre d’affaires dans l’ensemble du réseau. Des données qui nous révèlent que l’édition québécoise est mal soutenue par les médias, les institutions culturelles et particulièrement par notre ministère de l’Éducation.

Légiférer maintenant en faveur d’une réglementation du livre, dans le contexte économique nord-américain, m’apparaît une mesure inutile et nuisible. Une telle politique se traduira par une augmentation du prix du livre et ne ramènera pas les clients des grandes surfaces dans les librairies, bien au contraire.

Sur quelle logique s’appuie le rabais de 10 % envisagé quand la marge bénéficiaire du libraire indépendant se situe sous les 2 % ? Une telle politique donnerait une plus grande marge bénéficiaire aux grandes surfaces. Une belle occasion, pour ces commerces grand public, d’élargir leur offre et de livrer une concurrence encore plus apparente.

Le prix unique va, dit-on, servir la diversité culturelle. Voilà un autre argument qui ne tient pas la route quand on pense à l’offre de l’internet : Amazon propose déjà plus de 2,5 millions de titres aux lecteurs de moins en moins nombreux.

Si l’on veut appliquer le modèle français, il faudra abroger la loi 51, remettre aux libraires le marché des livres scolaires, autoriser les éditeurs à vendre leurs livres aux bibliothèques et aux collectivités en leur permettant d’accorder une remise pouvant atteindre 15 %. Idéalement, il ne faudrait pas autoriser de remise au public, considérant la maigre marge de manœuvre financière avec laquelle le libraire doit composer. Sommes-nous prêts à prendre ce beau risque ?

Au Canada, les achats de livres par la poste représentent 25 % de toutes les transactions. Comment empêcher Amazon de vendre chez nous, à partir de son entrepôt en Ontario, les nouveautés à 20 % ou 25 % de remise sur le marché québécois ? La question se pose avec encore plus d’acuité pour le numérique. Une réglementation sur le prix du livre papier ou numérique, pour être réalisable, devra être canadienne. Autrement, le Québec (n’étant pas un pays) serait une exception dans le monde à vouloir légiférer sans détenir tous les pouvoirs pour le faire. Une loi qu’on ne peut appliquer que partiellement n’est jamais une bonne loi.

Le problème ne réside pas dans la concurrence des grandes surfaces ou des chaînes de librairies. La transformation du marché va, de toute façon, amener le libraire à trouver d’autres approches adaptées à l’ère du numérique et de l’internet.

Vouloir sauvegarder à tout prix le modèle traditionnel est une perte de temps et d’énergie. La libre concurrence demeure la meilleure garantie pour assurer l’accès aux livres à meilleurs prix, pour dynamiser le milieu et susciter de nouvelles initiatives commerciales.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.