Lynda Lemay

Le perfectionnisme des 50 ans

CHANSON

Décibels et des silences

Lynda Lemay

Warner

Sortie le 23 septembre

Lynda Lemay est une machine à idées, affirme Claude Mégo Lemay, coréalisateur de son nouvel album, Décibels et des silences, qui sort le 23 septembre. L’ex-directeur musical de Céline Dion ne blague pas : la chanteuse est arrivée en studio avec 50 à 60 chansons de son cru, la plupart récentes, mais aussi d’autres qu’elle avait dans ses tiroirs depuis les années 90.

Décibels et des silences compte pas moins de 15 chansons, 20 dans sa version de luxe. Pourtant, à écouter parler Lynda Lemay, on la croirait fin prête à retourner en studio tellement elle écrit et compose des chansons.

« Je passe des mois sans écrire. Si l’inspiration n’est pas là, je ne force pas », répond-elle à son interlocuteur incrédule. Puis, l’instant d’après, elle raconte que la nuit précédente, elle a pondu une chanson alors qu’elle savait trop bien qu’elle devrait se lever aux aurores pour la première journée d’école de sa plus jeune, puis enfiler les interviews à propos de son nouveau disque.

Cette chanson toute fraîche, ajoute-t-elle, lui pose problème parce qu’elle explore un thème, l’oubli, qu’elle aborde déjà dans son nouvel album, mais elle est « une coche au-dessus » de l’autre.

« Je me dis que je ne peux pas écrire une autre toune sur l’oubli, mais est-ce que je vais me censurer ? »

— Lynda Lemay

Lynda Lemay a beau avoir franchi le cap de la cinquantaine cet été, ne vous attendez pas à ce qu’elle ralentisse. Elle est intarissable quand elle parle d’une autre chanson inédite, Les demi-sœurs, qu’elle a écrite pour que ses deux filles la chantent en duo mais dont un Américain qui n’entendait rien au français lui a dit qu’elle était faite sur mesure pour Eddie Vedder.

Elle a pris ça comme un compliment.

MÉGO, LE COMPLICE

Lynda Lemay n’a aucun lien de parenté avec Claude Mégo Lemay. Mais dès qu’elle a senti qu’elle avait besoin d’un coup de pouce pour son album, c’est à lui qu’elle a pensé. « Ensemble, on fait des feux d’artifice, on se comprend, on rit facilement. »

« Lynda, je commence à bien la connaître et je sais généralement ce qu’elle veut entendre », confirme Mégo, qui était le directeur musical du Festival de la chanson de Granby quand Lynda Lemay y a remporté le concours de l’auteur-compositeur-interprète en 1989.

En 2000, il a réalisé son album Du coq à l’âme puis a orchestré des chansons de son album de 2013, Des feutres et des pastels.

« Chaque chanson qu’elle écrit, c’est un film, et moi, j’ai toujours rêvé de faire de la musique de film. »

— Claude Mégo Lemay

En faisant appel à lui, la chanteuse voulait également qu’il l’amène ailleurs.

« Quand on s’est rencontrés, elle m’a dit : “J’aimerais ça, trouver un nouveau son sans changer ma personnalité”, raconte le coréalisateur. Cette nouvelle direction, c’est un peu beaucoup André [Coutu, guitariste] qui l’a apportée dans des chansons un peu plus rock comme Je suis cousue, Gages-tu et Une main sans bague. »

Mégo, lui, a notamment ajouté une touche humoristique à la chanson C’est quoi un ventre, dont l’intro vocale est faite à la manière d’un barbershop quartet.

« J’ai travaillé au festival Juste pour rire pendant 14 ans et j’ai accompagné de grands comiques comme Jean-Guy Moreau, donc j’ai le sens de la comédie. J’ai dit à Lynda : “Je vais essayer quelque chose et si t’aimes pas ça, on oublie ça.” C’est une de nos chansons préférées. »

Lynda Lemay a souvent donné dans la chanson fantaisiste à la française. Pourtant, elle craint souvent que ses chansons plus drôles ne passent pas aussi bien sur disque qu’en spectacle. Sur ce nouvel album, la chanson Ça pique parle des poux.

« Moi, je trouve qu’il n’y a pas de mauvais sujet de chanson, lance-t-elle d’un ton convaincu. Les poux, quand tu le vis et qu’il faut que tu t’en débarrasses, c’est loin d’être banal. C’est le fun de dédramatiser avec de l’humour. »

L’INVENTEUSE D’HISTOIRES

Ses fans la reconnaîtront dans ses nouvelles chansons réalistes, qui traitent de l’odieux que subit une mère d’enfant autiste, du don d’organes, de la vie de misère avec un père alcoolique ou d’une ado rejetée par son milieu qui trouve le réconfort dans les bras de marins de passage. Souvent, ces sujets lui viennent de rencontres fortuites, aussi bien dans un avion que lors d’une séance d’autographes.

« Lynda, c’est une grande inventeuse d’histoires et je trouve qu’elle a de plus en plus de maîtrise et de raffinement », dit Mégo en citant en exemple la toute première chanson de l’album, Attrape pas froid, qui prend la forme d’une lettre d’une mère poule à sa grande fille qui doit vivre sa vie. « C’est beau, la façon dont les choses sont dites, mais on sait de quoi elle parle : de Charlie Hebdo, de la France, du groupe armé État islamique. »

« On dirait que j’ai tendance à faire des chansons un petit peu plus larges ou un peu moins précises, dit Lynda Lemay en souriant. C’est le côté positif d’avoir 50 ans, j’imagine, et d’avoir de l’expérience. »

« Je suis rendue pointilleuse, poursuit l’artiste. Je ne veux pas laisser aller une chanson quand elle n’est pas à la hauteur de ce que je sais que je peux donner. Je deviens perfectionniste. »

Ses 50 ans, Lynda Lemay a décidé de les fêter sur la scène de l’Olympia de Paris où elle donnera bientôt ses 58e, 59e et 60e spectacles en carrière. Comme elle l’a fait au Québec cet été, elle y chantera seule avec son fidèle pianiste Louis Bernier sauf qu’à Paris, elle fera également monter sur scène Sylvie Desgroseilliers, qu’elle a invitée quand la chanteuse a été éliminée à La voix.

« Je lui ai dit : “Non, ça ne s’arrêtera pas là. Si ça te tente, tu pourras venir fêter mes 50 ans à l’Olympia.” Les gens vont découvrir une grande voix du Québec. Mon cadeau [d’anniversaire], ça va être d’offrir ce cadeau au public et d’être témoin de ce qui va se passer comme émotion. »

Du Lynda Lemay pur jus.

Au Théâtre Outremont le 14 septembre

CLAUDE MÉGO LEMAY

Regarder vers l’avant

Sur le nouvel album de Lynda Lemay, Claude Mégo Lemay a fait appel aux trois musiciens qui ont été virés en même temps que lui de l’équipe de Céline Dion l’an dernier : le guitariste André Coutu, le claviériste et programmateur Yves Frulla et le violoniste Jean-Sébastien Carré.

« Ce n’est pas parce qu’ils étaient avec Céline, lance Mégo. Ce sont des amis talentueux que je connais tellement que je sais ce qu’ils vont apporter de positif. »

Depuis qu’il ne fait plus partie de Team Céline, Mégo a pris le temps de s’installer au Québec avec sa femme et ses deux jeunes enfants, nés aux États-Unis.

Sur le plan professionnel, il a coréalisé le nouvel album de Lynda Lemay et signé ces dernières années des orchestrations pour Angèle Dubeau et La Pièta. Il n’est pas peu fier de m’apprendre que Shawn Phillips a accepté de jouer à la récente Fête de la musique de Tremblant parce qu’il avait aimé son orchestration de sa chanson Woman sur l’album Blanc d’Angèle Dubeau.

Mégo n’a pas assisté au récent spectacle de Céline Dion au Québec. Il ne sait toujours pas pourquoi il a été renvoyé, mais il a cessé de se poser la question.

« C’est un sujet que j’essaie d’évacuer parce que ça m’a fait mal. Aujourd’hui, je suis heureux, et revenir en arrière, c’est difficile pour moi. Je n’ai plus grand-chose à dire là-dessus, life goes on et on regarde en avant. » 

« Ce que je vois en arrière, ce sont les années extraordinaires que j’ai passées avec Céline. Elles vont toujours être un souvenir merveilleux. »

— Claude Mégo Lemay

Il n’a tellement pas envie de vivre dans le passé qu’il a renoncé à écrire sa biographie qui aurait porté sur les 30 dernières années de sa vie et aurait donc forcément porté sur ses « années Céline ». Par contre, il se consacrera cet automne à l’enregistrement d’un album de piano solo sur lequel on pourrait même l’entendre chanter.

Il aimerait y jouer aussi bien de ses propres compositions que du Ravel, du Satie, du Billy Joel ou une pièce de Stefano Arnaldi entendue dans le film Besieged de Bertolucci.

« Contrairement à un livre, la musique, je peux en faire ce que je veux. Et la musique parle plus. »

— Alain de Repentigny, La Presse

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