Immigration

Québec fait un pas en arrière

François Legault reconnaît avoir mal évalué l’impact de sa réforme de l’immigration. Mais le droit acquis finalement accordé aux étudiants et aux travailleurs étrangers arrivés avant le 1er novembre n’a pas suffi à calmer la grogne au Parlement.

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« Boucar Diouf n’aurait jamais été au Québec avec votre réforme »

Plongé dans une crise par sa réforme de l’immigration, le gouvernement Legault a partiellement fait marche arrière mercredi. Il accordera aux étudiants et travailleurs temporaires étrangers qui sont arrivés avant le 1er novembre et qui déposeront une demande au Programme de l’expérience québécoise un droit acquis afin qu’ils soient jugés selon les anciens critères. Mais la réforme caquiste divise toujours.

Québec — Simon Jolin-Barrette avait à peine terminé son mea-culpa, mercredi, qu’il était de nouveau talonné par les partis de l’opposition pour qu’il retire sa réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) en immigration. « Boucar Diouf n’aurait jamais été au Québec avec votre réforme », lui a lancé lors de la période de questions le député péquiste Harold LeBel.

En matinée mercredi, le ministre de l’Immigration et le premier ministre, François Legault, ont offert leurs excuses, reconnaissant qu’ils avaient mal évalué l’impact de leur réforme sur plusieurs étudiants et travailleurs étrangers présents au Québec. Depuis le 1er novembre, le gouvernement a limité l’accès au PEQ – un programme qui est considéré comme une voie rapide pour l’obtention du certificat de sélection du Québec (CSQ), nécessaire à l’obtention de la résidence permanente – à une liste restreinte de domaines d’étude ou d’emplois, sélectionnés en fonction de la pénurie de main-d’œuvre.

« On n’avait peut-être pas, effectivement, évalué des cas personnels de gens qui s’étaient fait faire des représentations, qui ont décidé de bonne foi de dire : “Moi, j’en suis de la nation québécoise, je me sens québécois, je suis déjà au Québec.” On n’a peut-être pas évalué comme il faut cette partie humaine », a dit M. Legault mercredi.

« J’avoue qu’on n’avait pas saisi cette présentation qui avait été faite à certains étudiants », a-t-il ajouté.

« Je démontre très clairement ma sensibilité et mon écoute à l’égard des personnes touchées. Je les ai entendues, et c’est pour cette raison que j’ai modifié ma décision. »

— Simon Jolin-Barrette, ministre de l'Immigration

Revirement de situation

En fin de journée, dans un revirement de situation rocambolesque, les députés du gouvernement n’étaient pas assez nombreux en chambre pour reporter la tenue d’un vote sur une motion du Parti libéral qui « exige du gouvernement caquiste qu’il annule dès maintenant les modifications récentes apportées » au PEQ. 

« C’est le point culminant d’une semaine d’enfer pour le gouvernement et pour Simon Jolin-Barrette. En quelques jours, le ministre a pris une décision extrêmement impopulaire, a essuyé un feu nourri de critiques, a reculé sur des propos qu’il avait tenus quelques heures plus tôt, cédant à la pression de la population, et le même jour, il a perdu un vote sur le même sujet », a commenté Gabriel Nadeau-Dubois. Selon lui, le gouvernement a désormais l’obligation « morale et politique » de respecter la volonté de l'Assemblée nationale. 

Dans les cercles libéraux, on croit que la Coalition avenir Québec (CAQ) n’avait pas le quorum nécessaire pour reporter la tenue du vote parce qu’on avait envoyé trop de députés en catastrophe pour remplir la salle d’une candidate à l’élection partielle dans Jean-Talon, où l’on a appris en fin de journée que des médias s’y présenteraient.

Des conséquences en régions

Mais le droit acquis accordé aux étudiants et aux travailleurs étrangers arrivés avant le 1er novembre n’a pas suffi à calmer la grogne au Parlement. Lors de la période des questions, tous les partis ont longuement talonné le gouvernement. Pour sa part, le Parti québécois a souligné, par la voix de trois députés, comment la réforme du PEQ avait des conséquences lourdes pour certains cégeps en régions.

« Les cégeps des régions sont des institutions de développement incontournables pour les communautés. Pour survivre, certains cégeps doivent attirer une clientèle internationale afin d’être en mesure d’offrir des programmes qui vont bénéficier à l’ensemble de la population de leur territoire », a déploré le député de Bonaventure, en Gaspésie, Sylvain Roy.

« Je vais vous dire qu’est-ce qui est insultant pour le cégep de Baie-Comeau. Sa technique forestière n’est même pas reconnue dans le programme du PEQ. Pourtant, 55 % des étudiants viennent de l’étranger, [avec] un taux de placement de 100 % », a ensuite décrié Martin Ouellet, député nord-côtier de la circonscription de René-Lévesque.

« Il y a énormément d’étudiants qui font le choix de venir faire leurs études ici, parfois pour retourner chez eux ensuite, pour propulser leur carrière et développer leur pays ou leur région […]. Je trouve ça insultant pour la qualité de ce qui se fait ici de dire que, si on ne donne pas le PEQ à la diplomation, les gens ne viendront plus. Ce n’est pas vrai », leur a répondu le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.

Les autres partis ont également dénoncé le manque d’empathie du gouvernement Legault dans cette affaire.

« Vous avez entendu comme moi [mardi] ses réponses froides, très calculées. Visiblement, quand l’empathie est passée, M. Jolin-Barrette n’était pas chez lui. »

— Vincent Marissal, député de Québec solidaire

« Ce que j’ai vu, c’est un gouvernement extrêmement froid, calculateur, incapable de l’admettre, a lancé le libéral Gaétan Barrette. Aujourd’hui, quand j’entends Simon Jolin-Barrette dire qu’il était sensible… Moi, je n’ai vu personne sensible en face de moi. J’ai vu beaucoup de monde gêné. »

Le milieu économique réagit

Par voie de communiqué, mercredi, la Fédération des chambres de commerce du Québec, le Conseil du patronat, Manufacturiers et Exportateurs du Québec, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et la Chambre de commerce et d’industrie de Québec ont joint leurs voix pour demander à nouveau que le gouvernement Legault hausse les seuils d’immigrants au Québec.

« La première question que le gouvernement doit se poser a trait au seuil maximal d’immigrants qui seront accueillis au Québec. Les principaux problèmes que posent les nouvelles orientations découlent de cette limitation. Parce que le gouvernement se fixe une limite d’accueil de 52 000 immigrants à l’horizon de 2022, il se voit contraint d’imposer des restrictions à diverses catégories d’immigrants économiques », a dénoncé le groupe d’associations.

Selon ces associations, limiter l’accès au PEQ à une liste restreinte de domaines d’étude ou d’emplois est un « pari indûment risqué ».

« Il faut savoir que ces listes, même si elles sont établies sur des bases rigoureuses, sont très restrictives, plutôt imprécises et qu’elles fluctuent dans le temps. Des métiers en équilibre théorique peuvent devenir en forte demande dans un court laps de temps », ont écrit les groupes économiques.

— Avec Gabriel Béland et Martin Croteau, La Presse

étudiants internationaux

Des experts dénoncent la vision « simpliste » de Québec

Les modifications au Programme expérience Québec (PEQ) du gouvernement de François Legault continuent de soulever la grogne et l’incrédulité, alors que des experts accusent Québec d’avoir une vision « simpliste » et de miner l’attrait de la province aux yeux des étudiants internationaux.

« Ce que je déplore, c’est la façon dont ces enjeux-là sont vus de manière tellement simpliste par le gouvernement, dit Robert Gagné, professeur titulaire au département d’économie appliquée de HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité. Ou bien ils savent et font comme s’ils ne savaient pas, ou bien ce sont des ignorants. Ça n’a pas de bon sens. »

M. Gagné déplore que la réforme du PEQ prive le Québec d’étudiants motivés qui sont courtisés par différents pays et établissements. « Il ne faut pas penser que nous sommes seuls au monde […]. Globalement, il y a une course pour attirer le talent. Les gens qui immigrent pour étudier ici, ils quittent leur famille, leur réseau. Ils prennent une grosse décision », dit-il, ajoutant qu’il est vain pour le gouvernement de « jouer les devins » en essayant de prévoir quels secteurs de l’économie auront besoin de plus de candidats fraîchement diplômés dans le futur.

« Surprise totale »

Le gouvernement Legault a annoncé la semaine dernière qu’il modifiait le PEQ, programme d’immigration qui sert de voie rapide à l’obtention de la résidence permanente pour les étudiants étrangers au Québec et les travailleurs temporaires déjà installés dans la province.

L’impact de la réforme pourrait se faire particulièrement sentir dans des endroits où une importante proportion d’élèves vient de l’étranger. C’est le cas du cégep de Matane, où 45 % des 700 élèves de l’établissement viennent de l’international, l’une des proportions les plus importantes du réseau collégial québécois.

Pierre Bédard, directeur général du cégep de Matane, dit que l’annonce des modifications au PEQ a été « une surprise totale » pour lui comme pour les enseignants et les élèves du cégep. « Personne ne s’attendait à ça. Le gouvernement ne nous a pas demandé notre avis. »

« L’impact est majeur, car moins d’étudiants, ça signifie moins d’employés au cégep de Matane, et les enseignants seront les premiers à écoper. »

— Pierre Bédard, directeur général du cégep de Matane

Sur les 218 domaines de formation sélectionnés par le gouvernement, cinq sont offerts au cégep de Matane : soins infirmiers, techniques de l’informatique, techniques de physiothérapie, techniques d’intégration multimédia et technologie de l’électronique industrielle.

En revanche, quatre programmes offerts sont exclus de la liste : techniques d’aménagement du territoire et d’urbanisme, techniques de tourisme, techniques d’animation 3D et de synthèse d’images et photographie.

« C’est étonnant que ces programmes soient exclus, car les taux de placement des diplômés y sont de près de 100 %, dit M. Bédard. Les gens sont flexibles. Un finissant en photo peut prendre un emploi de caméraman. On le voit localement, ils répondent à de réels besoins. »

M. Bédard, qui se dit soulagé que le gouvernement ait fait volte-face dans le cas des élèves déjà inscrits, note que la liste des programmes d’études donnant accès au PEQ sera appelée à changer au fil des ans, ce qui place une épée de Damoclès au-dessus de la tête des élèves étrangers actuels et futurs.

« Même si j’ai un étudiant en multimédia qui a aujourd’hui droit au PEQ, je n’ai aucune garantie qu’à la fin de son diplôme, son programme va être encore dans la liste. C’est une grande insécurité pour ces étudiants-là. Je pense que des étudiants potentiels vont choisir de ne pas venir au Québec. Actuellement, je fais du recrutement pour la rentrée de 2020. De quoi aura l’air la liste à ce moment-là ? On l’ignore. »

Moratoire demandé

Mercredi, le Syndicat des enseignants et enseignantes du cégep de Matane a demandé un moratoire sur le projet de modifications apportées au PEQ.

« Nous sommes particulièrement inquiets […]. Pour les jeunes actuellement inscrits dans nos programmes, il nous apparaît inconcevable que les règles du jeu changent en cours de route. Les étudiantes et étudiants qui proviennent de partout dans le monde sont une richesse pour notre communauté », a déclaré dans un communiqué Yannick Malouin, 2e vice-président du SEECM-CSQ.

D'autres réactions

« C’est un réveil important, car c’était une erreur stratégique. On respecte au moins un engagement en ce qui a trait à ceux qui sont déjà ici, à qui on avait dit : venez étudier ici. C’est donc la moindre des choses de les retenir. C’était le geste moral à poser. Là, il y a le geste stratégique à poser. Le fait qu’on veuille le plus d’immigrants possible qu’on souhaite bien intégrer. On veut que le gouvernement stimule les campagnes de promotion à l’étranger et qu’on facilite la vie ici. On est au début du travail à faire. Ce doit être fait sous l’angle économique. Ce n’est pas juste une décision d’immigration, mais de stratégie économique. »

— Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

« On salue l’ouverture du ministre [Jolin-Barrette], car à la suite des consultations publiques de l’été dernier, on avait l’impression qu’il était fermé à la communauté d’affaires. Souvent, les étudiants sont déjà en emploi. Mais il reste un problème, soit l’arrimage avec les fameuses listes des métiers en déséquilibre. Car pour être admissible au PEQ, il faut être dans un secteur reconnu comme un secteur en pénurie. Or, il y a un certain décalage avec ces listes. Elles s’appuient sur le code national des professions. Il y a cependant des métiers en demande et qui ne se retrouvent pas encore sur ces listes, à cause des révisions. Elles sont révisées tous les 10 ans, et le marché du travail évolue très vite. »

— Denis Hamel, vice-président, politique de développement de main-d’œuvre, du Conseil du patronat du Québec

Propos recueillis par Isabelle Massé, La Presse

Immigration

Jolin-Barrette désavoué par son alma mater

À la faculté de droit de l’Université de Montréal, là même où le ministre Simon Jolin-Barrette a entamé son doctorat, les va-et-vient du parti sur le dossier de l’immigration ont uni étudiants et professeurs dans le désarroi.

Jean Leclair, professeur spécialiste en droit constitutionnel, supervisait la thèse de Jolin-Barrette avant que celui-ci n’interrompe ses études pour se lancer en politique. Unissant sa voix à celle de son recteur Guy Breton, M. Leclair n’a pas été avare de critiques à l’endroit des dernières décisions politiques de son ancien étudiant et de son parti.

« Tout ce que j’y vois, ce sont des relents de l’Union nationale, au point où je me demande si leur prochain projet n’est pas la colonisation de l’Abitibi », ironise M. Leclair, par ailleurs administrateur de la Société des anciens de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

Il accuse notamment la Coalition avenir Québec (CAQ) de faire le jeu des populistes et perçoit le changement de règlement au Programme de l’expérience québécoise comme « une des pires politiques publiques » des dernières années.

« Je pense qu’ils se sont enferrés dans un discours racoleur, de nationalisme à la petite semaine, et là ils doivent livrer la marchandise. On doit nourrir la bête. »

— Jean Leclair, professeur spécialiste en droit constitutionnel

Jean Leclair a vertement dénoncé l’usage de la clause dérogatoire par la CAQ. « C’est ça qui est dramatique, et ce n’est pas ce qu’il a appris à la faculté de droit de l’Université de Montréal », assène le professeur en parlant de son ancien étudiant.

Rassurés, mais pas entièrement

Selon le président de l’Association des cycles supérieurs en droit (ACSED) de l’UdeM, Nicolas Gervais, environ la moitié des 600 membres de l’association sont des étudiants étrangers. Parmi ceux-ci, plusieurs ont (ou avaient) comme plan de s’établir au Québec, souligne-t-il.

Aurore Dumazet, étudiante à la maîtrise en droit à l’UdeM, a été soulagée par l’adoption d’une clause de transition, mais le flou demeure. Idem pour son copain, un étudiant français à la maîtrise en économie, qui est venu avec Mme Dumazet s’établir pour de bon au Québec.

« Je me suis sentie un peu flouée. J’ai tout quitté, amis et famille, pour venir m’intégrer ici. Maintenant, j’attends de savoir ce qu’il va se passer. »

— Aurore Dumazet, étudiante à la maîtrise en droit à l’Université de Montréal

Ledy Rivas Zannou, doctorant originaire du Bénin, trouve paradoxale l’initiative du gouvernement caquiste.

« Ce que le gouvernement Legault est en train de dire, c’est qu’il ne veut plus personne, mais que vous pouvez venir vous faire former ici, argue-t-il. Ça veut dire que les impôts des citoyens québécois sont mobilisés pour former des ressources dont profiteront d’autres provinces ou d’autres États. »

Vice-président des Scouts du Montréal métropolitain, impliqué au sein de Greenpeace : Rivas Zannou, en deux ans et demi, dit s’être déjà entouré d’amis et avoir développé des projets. Ceci après avoir payé des études à fort prix, qui lui reviendront aux alentours de 50 000 $ en trois ans.

« Si on me dit que je peux rester, je reste. Et je défendrai le Québec volontiers et fièrement », avance l’étudiant, jusqu’à nouvel ordre, étranger.

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