Top 10 transculture

République Amazone

Les Amazones d’Afrique

Real World

D’Afrique de l’Ouest, surtout du Mali, ces divas consacrées portent les valeurs féministes à travers l’héritage mandingue et ses réformes les plus récentes. Ce supergroupe à géométrie variable rassemble en studio des chanteuses expérimentées et progressistes désireuses de piétiner certaines valeurs ancestrales machistes. Si les superstars Mariam Doumbia (sans le mari Amadou) et Angélique Kidjo y apparaissent brièvement, on retient surtout la présence centrale de Mamani Keïta, Rokia Koné et Kandia Kouyaté. Excellent réalisateur de l’album From Kinshasa de la formation congolaise Mbongwana Star, Doctor L (alias Liam Farrell) a urbanisé ces grooves ouest-africains, ces airs forts et stridents, superbement incarnés par ces chanteuses. Le bon docteur a aussi invité les esprits rock, funk ou hip-hop à prendre part à la cérémonie, ce qui confère à cet opus un pouvoir d’attraction… planétaire.

Residente

Residente

Sony Music Latin

Au chapitre des mutations futuristes de 2017, on retient celle du rappeur newyorican René Pérez Joglar, préalablement connu au sein de Calle 13, formation connue pour son hip-hop frayant avec le reggaeton. Dans un tout autre ordre d’idées, il a créé cet album solo en s’inspirant des fondements scientifiques de son génome, de manière à retrouver les origines biologiques de son identité. Les gènes se sont avérés africains, européens, asiatiques, moyen-orientaux et amérindiens. Pour illustrer et célébrer ces ascendances multiples, Residente a orchestré un tour du monde en musique : guitare touarègue du Nigérien Bombino, musiques du Burkina Faso, chants dagomba du Ghana, opéra de Pékin, fanfare balkanique du Serbe Goran Bregović, chant de la Française SoKo, et plus encore. Sous l’angle latin, cette quête est devenue l’un des grands albums transculturels de 2017.

Makanda

Pierre Kwenders

Bonsound

Le deuxième album du Montréalais Pierre Kwenders dépasse son premier, qui était déjà fort bon. Ce Makanda a été créé avec le concours de Baba Maraire, percussionniste, multi-instrumentiste et producteur au sein de l’excellent tandem hip-hop Shabazz Palaces. Originaire de Seattle, ce dernier participe à Makanda, tout comme la quasi-totalité des musiciens et chanteurs impliqués, sauf exception – Uproot Andy, Kae Sun, etc. Amour, désir, tolérance, ouverture, raffinement, multilinguisme (lingala, français, anglais, shona), influx d’abstract hip-hop, de trap, de soul/R&B, de rumba congolaise, machines, guitares, cordes, anches, cuivres, tambours : voilà autant d’éléments d’une vraie signature afro-électro sous la houlette de Pierre Kwenders. À la fois subtil et percutant, ce métissage pourrait positionner l’artiste parmi les artistes les plus intéressants de la diaspora africaine en Occident.

Strange Circles

Bokanté

Groundup Music

Le nouveau projet du New-Yorkais Michael League met de l’avant la très douée Malika Tirolien, Montréalaise d’origine guadeloupéenne. Dans ce nouveau contexte, la chanteuse de puissance n’est pas une simple invitée du guitariste, bassiste, compositeur et leader de Snarky Puppy ; il s’agit plutôt d’un échange équitable et ouvert entre musiciens de souches diverses : polyrythmes africains, afro-caribéens ou jazz, funk, rock, blues, americana, soul/R&B. Le seul chaînon manquant pour accéder à la totale, c’est la dimension électro, et encore là… la chanteuse s’exprimant en créole guadeloupéen en est à développer sur scène de nouveaux concepts de filtrage électronique qui devraient fleurir au cours du prochain chapitre en studio. Voilà certes une superbe contribution à la sono mondiale.

Mogoya

Oumou Sangaré

No Format !

Depuis des lustres, Oumou Sangaré a acquis l’autorité des plus grandes divas africaines modernes. Elle aurait pu s’en tenir à l’entretien de sa réputation, poursuivre son engagement féministe, surfer sur cette vague jusqu’à la retraite. Or, la Malienne n’avait pas dit son dernier mot ! En recrutant le Nigérian Tony Allen, soit le plus grand batteur afrobeat de l’histoire (autrefois avec Fela Kuti), elle a carrément bouleversé le groove de ses chansons, lui greffant de redoutables cellules rythmiques. Qui plus est, elle y a inscrit des guitares hargneuses (Guimba Kouyaté), des riffs de claviers irrésistibles, des sédiments électroniques actualisés, sans oublier le djembé et le ngoni de sa propre culture, de son Wassoulou originel. Voilà ce grand album malien qu’on n’attendait plus, certainement le meilleur jamais enregistré par Oumou Sangaré.

Ensen

Emel

Partisan Records

La Tunisienne Emel Mathlouthi a piloté la réalisation de son deuxième opus en Suède chez Johannes Berglund, en Islande chez Valgeir Sigurðsson – cofondateur de l’excellent label Bedroom Community –, en France et à New York aux côtés du collègue et compatriote Amine Metani. Ensel s’avère l’un des meilleurs opus de souche non occidentale sortis en 2017. Sa carrière ayant décollé internationalement avec le Printemps arabe, il ne faut surtout pas s’en tenir à cette perception de pasionaria : l’art de cette chanteuse, compositrice et réalisatrice dépasse son engagement pour une société nord-africaine moderne, laïque, égalitaire. Désormais résidante new-yorkaise, elle est d’abord et avant tout une artiste, ses références musicales sont à la fois locales et universelles : post-rock, psych folk, électro, trip-hop, vernis New Age sur scène (dont on pourrait se passer), musiques maghrébines et arabes la distinguent très clairement.

NomadiX

AfrotroniX

Indépendant

Initialement chanteur et guitariste du groupe montréalais H’Sao, le Tchadien Caleb Rimtobaye emprunte ici la piste afrofuturiste. Issu d’un pays dont la partie septentrionale est un vaste couloir transsaharien, il connaît fort bien ce fameux blues du désert, popularisé par tant d’artistes ou groupes touaregs tels Bombino, Tinariwen et autres Terakaft. Côté AfrotroniX, ce blues originel intègre à la fois les guitares touarègues, des rythmes traditionnels de ces zones de transition entre le grand désert et l’Afrique subsaharienne, mais aussi une esthétique électronique. Sous l’impulsion du réalisateur américain Brian Kennedy, le projet AfrotroniX s’exprime en langue sara et procède à une synthèse de musiques traditionnelles subsahariennes, au sein de laquelle on laisse courir des légions de micropuces EDM, dubstep, house, et plus encore. On n’hésite pas à user de l’Auto-Tune pour la voix soliste ni à filtrer les fameux riffs de guitare touaregs. Saisissant ? Inédit sur la piste de danse, en tout cas.

Uyai

Ibibio Sound Machine

Merge Records

De Londres, voici un mélange explosif d’afrobeat nigérian, de highlife ghanéen et d’électrofunk. La chanteuse Eno Williams y occupe le territoire de toutes les divas africaines, afro-britanniques ou afro-américaines. Dans le cas qui nous occupe, le vieux funk des années 70-80, avec un soupçon de Bowie période R&B, se fond dans une culture afro-électronique et produit un cocktail explosif pour toutes les pistes de danse de cette petite planète. Machines, guitares (Alfred Kari Bannerman), percussions (Anselmo Netto, Jose Joyette), basse (John McKenzie), anches, cuivres et claviers (Tony Hayden, Scott Baylis, Max Grunhard) sont au service de la soliste et produisent l’une des meilleures pop transculturelles de l’année.

Kidal

Tamikrest

Glitterbeat Records

Groupe touareg du Mali, Tamikrest compte plusieurs membres originaires de Tin Zaouatine, dans la région subsaharienne de Kidal, qui a connu l’horreur djihadiste comme on le sait. À l’évidence, Tamikrest s’inscrit dans la lignée de Tinariwen et consorts, mais offre également des saveurs folk rock et des accroches mélodiques se démarquant de ce fameux blues du désert, ce blues originel qu’on aime tant. Voilà une illustration de la modernité au Mali septentrional, ouverte sur les musiques occidentales ou arabo-maghrébines et donc en mesure de procéder à des hybridations inédites, que l’on observe avec plaisir dans tous les recoins de cet enregistrement.

Criollo Electrik

Roberto Carlos López

Stonetree Music

Normalement associé au jazz afro-colombien, le guitariste et compositeur montréalais Roberto Carlos López s’est replongé dans les fréquences acidulées de son adolescence à Bogotá et a créé l’album Criollo Electrik. Pour ce, il a peaufiné, perfectionné et transcendé ce qui le passionnait dans les années 70 : rock latin, funk, cumbia, champeta, boogaloo et afrobeat gorgés de saturation. De concert avec l’excellent réalisateur bélizien Ivan Duran, qui fréquente régulièrement Montréal, Roberto Carlos López s’est mis à la recherche de la distorsion perdue, non sans rappeler que señor Carlos Santana, époque Abraxas, était naguère la pointe d’un iceberg beaucoup plus considérable qu’on ne le croit.

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