L’aventure dans la peau

L’aventurier pragmatique

 Aventuriers et sportifs émérites sécrètent leur adrénaline dans « le dépassement de soi ». Traverser un océan à la rame, escalader un sommet ou s’imposer un Ironman, qu’est-ce qui les pousse vers de tels défis ? À travers une série de portraits, nous nous intéressons à ces héros ordinaires. Aujourd’hui, nous vous présentons Éric Contant. 

En l’espace d’un an, ce sportif amateur s’est muté en monstre physique pour participer à un Ironman. À la fin de ses études de médecine, très exigeantes mentalement, Éric Contant cherchait un nouvel objectif. Pour ce cérébral, le défi ne se limite toutefois pas à l’épreuve physique. Il est aussi intellectuel.

Ce chemin du Grand Nord s’éloigne inexorablement de la civilisation. Éric, qui l’emprunte souvent pour s’entraîner, aime sortir des sentiers battus. Chez ce médecin aux traits juvéniles, l’aventure n’est pas une expérience ponctuelle vouée à satisfaire un besoin en adrénaline, mais un mode de vie. Une mission douillette à Montréal ne l’intéressait pas. Il préfère exercer à Chisasibi, réserve autochtone de 4500 âmes dans le nord du Québec. « Je voyais le fait de m’installer sur un territoire isolé, éloigné et sans ressources comme un défi. Mais c’est également l’aventure humaine qui m’a poussé à aller dans le Nord. Je souhaitais découvrir une nouvelle culture », nous raconte-t-il entre deux gorgées d’eau pétillante. 

Éric, rajeuni par sa longue chevelure blonde, semble animé par une étincelle qui lui confère ce supplément d’âme. Donner un sens à sa vie passe par un subtil mélange d’effort physique et intellectuel. « Je ne peux pas rester dans la futilité de juste faire du sport. Un défi intellectuel est nécessaire. Les deux se complètent. C’est un cercle vertueux. » À la fin de ses études, la balance souffre alors d’un déséquilibre : si le cortex fonctionne à plein régime, ses endorphines ne se libèrent que sporadiquement. Passionné de cyclisme — qu’il pratique quelques heures par semaine —, le nouveau diplômé trouve une solution radicale pour combler ce manque : participer à un Ironman, l’épreuve physique la plus effrayante qui soit.

De l’action…

Le lac ressemble à une lessiveuse. Une centaine de nageurs joue des coudes au milieu d’une cohue indescriptible. Éric entame son premier Ironman dans la douleur. « Quand on s’accrochait à moi, ça me filait des crampes. Ça me rendait presque agressif de voir que l’éthique sportive n’était pas respectée », relate-t-il. Sur un parcours accidenté aux abords du mont Tremblant, notre athlète longiligne tire maintenant profit des hauts pourcentages proposés par l’épreuve cycliste. Les encouragements de ses proches se confondent dans les holà de la foule. Cette ambiance chaleureuse et conviviale le transcende. La dernière partie de la course, qui se décline sous forme de marathon, sera plus compliquée. Éric pioche dangereusement dans ses réserves. « J’avais des crampes aux jambes et à l’estomac. Vers la fin de la course, je devenais émotif, j’avais les larmes aux yeux alors que j’ai pourtant une bonne résilience. J’étais cuit physiquement et mentalement », avoue-t-il. Vers 17h, une pluie fine tombe sur la ligne d’arrivée. Carbonisé, notre néophyte en finit avec son calvaire et se classe 169e sur 2100 participants. 

L’homme de science, pragmatique et analytique, avait bien préparé son coup : un coach privé l’encadrait pendant sa préparation. C’est sans doute la raison pour laquelle ce résultat étonnant ne l’enflamme pas outre mesure. « C’est vraiment une quête personnelle, un accomplissement intérieur. Quand je m’impose un défi, j’aime la satisfaction ressentie quand je l’atteins. Je voulais me prouver qu’avec de la discipline, on peut tout réussir. »

… à l’introspection

Dans ce vaste tipi, les convives se délectent de viande d’ours et de poisson blanc aux bleuets. Les branches de sapin étalées sur le sol dégagent un parfum boisé auquel se mélange une alléchante odeur de viande mijotée. À la fin du souper, concours de violon et danse rythmeront cette fête de l’île de Fort-Georges. Les autochtones, qui ont quitté l’Île pour Chisasibi dans les années 70, à la suite de l’installation d’un barrage, marquent cet évènement tous les ans. Le médecin du village apprécie. Bien intégré au sein de la communauté crie, il affirme que sa vision des autochtones a évolué depuis son arrivée. « Je suis devenu plus empathique par rapport à leurs conditions de vie. Pour beaucoup de gens, les autochtones ne pensent qu’à se soûler et se droguer. C’est faux. J’ai découvert chez eux des valeurs comme l’ouverture, la solidarité et l’importance de la famille. Ils ont également un très bon sens de l’humour. » 

Ces derniers temps, Éric néglige le sport. Tandis qu’il était « démoli physiquement » après son Ironman, une sévère chute en vélo lui a récemment coûté une fracture du maxillaire et une commotion cérébrale. Il s’agissait peut-être d’un mal nécessaire pour passer à autre chose. Son prochain défi sera intellectuel. « J’ai décidé de faire une pause avec le sport, car j’ai besoin de mon cerveau. Je compte maintenant repousser mes limites intellectuelles. Cette idée me trotte dans la tête depuis mon accident. » Inscrit à la maîtrise de recherche depuis peu, il a pour objectif d'apporter une réflexion sur l’accès aux soins des populations en difficulté. Qu’il soit physique ou psychique, ce défi restera une aventure.

Ironman, une épreuve physique hors norme 

Du fait de ses distances extrêmes à parcourir, l’Ironman n’est pas une compétition comme les autres. L’épreuve comprend 3,8 km à la nage, 42 km de course à pied et 180 km à vélo. Le premier Ironman s’est déroulé en 1978 à Hawaii. Son concept est alors imaginé par John Collins, commandant de la Navy. Ce dernier souhaitait mettre fin à un vieux débat : qui sont — parmi les nageurs, coureurs et cyclistes — les athlètes les plus résistants ? 

Pour la petite histoire, le commandant aurait déclaré avant le lancement de la course : «  Whoever finishes first, we’ll call him the Ironman » (Celui qui terminera premier, nous l’appellerons l’homme de fer). Seuls 15 athlètes prennent part à cette première édition. Aujourd’hui, l’épreuve a gagné en épaisseur. Pour participer à la légendaire édition d’Hawaii, il faut se classer parmi les meilleurs athlètes d’un circuit comprenant plus d’une vingtaine de courses qualificatives. L’Ironman de Mont-Tremblant, qui a accueilli 2630 participants en août dernier, fait partie de ces rendez-vous incontournables. Le record du monde de l’épreuve en compétition officielle est détenu depuis 2011 par l’Australien Craig Alexander en 8 h 3 min 46 s.

À suivre la semaine prochaine: Marie-Claude, cycliste accro aux endorphines.

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