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Édition du 30 juin 2019,
section ACTUALITÉS, écran 10
Le mythe
« Nous essayons avec cette exposition de comprendre pourquoi et comment le mythe de l’homme de Néandertal primitif est apparu au milieu du XIXe siècle », explique Janet Young, conservatrice pour l’anthropologie physique au Musée canadien de l’histoire à Ottawa. « C’était le même moment où est né l’eugénisme, la mesure anthropomorphique des “races” par les Européens afin de démontrer que leur culture était le sommet [epitome] de l’évolution. Prenez la massue. Rien n’indique que l’homme de Néandertal s’en servait pour chasser ou se battre. Et pourtant, jusqu’à tout récemment, les artistes s’en sont servis pour montrer le caractère brutal du Néandertal. » Le premier squelette d’homme de Néandertal a été découvert en Allemagne en 1856. Son nom signifie « vallée de l’homme nouveau » en allemand. Par la suite, un squelette néandertalien découvert en Belgique dans les années 1820, mais non identifié comme une espèce distincte, est devenu le premier à revendiquer le titre.
Le paléontologue québécois
Le Musée de l’histoire a ajouté à l’exposition du Muséum d’histoire naturelle certaines pièces de sa propre collection. Certaines ont notamment été découvertes au début du XXe siècle en France par un paléontologue québécois, Henri-Marc Ami, qui avait travaillé à la Commission géologique canadienne avant de se tourner vers la préhistoire. M. Ami a ainsi fondé en Dordogne l’École canadienne de la préhistoire, qui ne lui a pas survécu. Le père de M. Ami était un pasteur suisse venu pratiquer au Québec.
Les abris
L’homme de Néandertal ne vivait pas uniquement dans les grottes. On a retrouvé au site de La Folie, découvert voilà 20 ans lors de la construction d’une usine d’épuration près de Poitiers, les restes d’une palissade ressemblant à une hutte sans toit. Des pieux étaient plantés en cercle et calés avec des pierres. Des peaux étaient vraisemblablement tendues entre les pieux, explique l’exposition. À Molodova, en Ukraine, un abri encore plus spectaculaire a été mis au jour : une palissade circulaire d’ossements de mammouths. Le site de Molodova a été découvert en 1928 ; la fin de la guerre froide a relancé son exploration.
Art et sépultures
L’homme de Néandertal avait certainement des moyens de communication qui lui permettaient de transmettre des connaissances d’une génération à l’autre, selon Mme Young. « On voit que ses outils, ses proies et ses techniques de chasse ont évolué au fil des millénaires. Au plan artistique, certaines peintures rupestres au départ attribuées à Sapiens se sont révélées finalement trop vieilles. C’est au niveau des sépultures qu’on voit le plus de preuves de la capacité de raisonnement abstrait. Des squelettes ont été placés de manière anatomique, décorés avec de la peinture. Ils enterraient leurs morts avec des objets, ce qui fait penser qu’ils avaient une notion de l’au-delà. »
Les autres cousins
D’autres espèces d’hominidés ont dominé la planète avant Homo sapiens. L’exposition d’Ottawa décrit avec beaucoup de détails ce qu’on sait des Denisoviens, des contemporains des Néandertaliens qui ont vécu en Asie et ont formé des ménages mixtes avec Néandertal dans le sud de la Russie. Il y a aussi Homo naledi, qui a vécu voilà 335 000 à 236 000 ans dans le sud de l’Afrique. Moins avancé, Homo erectus a vécu en Asie entre 900 00 et 140 000 ans, maîtrisant notamment le feu mais probablement pas les outils en pierre. Homo floresiensis, parfois surnommé Hobbit, est le plus récent cousin du Néandertal à avoir été découvert, en 2003 en Indonésie. Il vivait probablement dans des îles isolées, jusqu’à relativement récemment (12 000 ans). Le plus ancien squelette de l’homme de Florès date de 100 000 ans.
en Chiffres
De 1500 à 3500
Population néandertalienne femelle en âge de se reproduire en Europe voilà 50 000 ans
70 000
Taille maximale de la population néandertalienne en Asie et en Europe entre 200 000 et 28 000 ans avant le présent
5 millions
Nombre de Sapiens au Moyen-Orient, en Asie et en Europe voilà 8000 ans
Sources : Science, PLOS One, PRB
Apparition du dernier ancêtre commun de Néandertal et Sapiens
Séparation des lignées Néandertal et Sapiens
Apparition d’Homo sapiens
Croisement entre Sapiens et Néandertal
Sapiens arrive en Europe
Traces les plus récentes de Néandertal
Souce : Science Mag
À partir de 2010, on a commencé à considérer les néandertaliens comme une civilisation avec des comportements techniques de chasseurs artisans. Mais il y a encore une réticence à accepter qu’ils avaient un comportement symbolique. Ces dernières années, de nouvelles méthodes d’analyse biogéochimique ont permis de voir que le Néandertal enterrait ses morts avec des rituels et même un culte des crânes et un cannibalisme funéraire. Il avait un rapport privilégié avec certains oiseaux, qu’il ne mangeait pas, mais dont il prenait les serres et les plumes, par exemple les ailes des grands corbeaux. Ce sont les mêmes espèces qui ont une valeur symbolique pour des ethnies amérindiennes des Amériques. Puis, en 2010, on a montré qu’il y avait eu un croisement entre Néandertal et Homo sapiens.
Évidemment, à l’époque, ce n’était pas l’art pour l’art, mais on voit des mains, des signes géométriques. Dans la grotte de Bruniquel, en Tarn-et-Garonne, on a des montages de stalagmites à 336 mètres de l’entrée. Les hommes préhistoriques vivaient à l’entrée des cavernes. À Bruniquel, il n’y a pas de déchets de silex ou d’ossements d’animaux, c’est uniquement un site artistique. Comme disait Lévi-Strauss, il n’y a pas de civilisations supérieures ou inférieures, mais simplement une réponse à un contexte, une époque, un environnement.
On n’en a aucune trace dans les ossements. On sait que Néandertal se soignait avec des plantes et champignons médicinaux, par exemple des champignons riches en pénicilline ou des bourgeons de peuplier contenant de l’acide salicylique, de l’aspirine. Mais les produits fermentés, l’alcool, sont arrivés beaucoup plus tard. On peut penser qu’il mangeait des champignons, mais avec l’alternance des phases glaciaires et interglaciaires en Europe à ce moment, il n’y avait pas beaucoup de plantes très toxiques.
Je dirais tout d’abord qu’il n’est pas disparu et qu’il subsiste dans nos gènes, qui contiennent de 1 % à 4 % de gènes néandertaliens. Les croisements prouvent qu’Homo sapiens ne trouvait pas Néandertal si différent. Mais il y a eu probablement un phénomène démographique après l’arrivée d’Homo sapiens en Eurasie, une baisse de la diversité génétique néandertalienne après 50 000 ans. Les groupes étaient trop éloignés les uns des autres, ça a créé de la consanguinité. Le nomadisme faisait encore plus baisser la démographie. Cela dit, Néandertal a survécu 350 000 ans, nous, ça ne fait pas encore ça, ça fait seulement 300 000 ans. Je ne sais pas où sera Sapiens dans 50 000 ans.
C’est une vieille idée. Il y a eu des Néandertaliens tardifs en Crimée, en Croatie. C’est une vision occidentale qui exclut l’Europe orientale, l’Ukraine et même la Pologne. L’hypothèse d’un cul-de-sac est complètement fausse.
On a des datations de 25 000 ans au Brésil qui sont plus anciennes que l’arrivée d’Homo sapiens par le détroit de Béring. Mais ça reste très embryonnaire, avec des problèmes de stratigraphie. Pour le moment, on peut encore dire que les Amériques sont le seul endroit au monde qui n’a connu qu’une seule espèce d’hominidé, Homo sapiens.