CHRONIQUE RÉSEAU ÉLECTRIQUE MÉTROPOLITAIN

Quand on tire trop sur l’élastique

Le développement durable est un concept élastique. Les environnementalistes déplorent que, bien souvent, le mot durable serve surtout à donner un vernis d’acceptabilité à des projets qui ne sont que du développement tout court.

On a assisté, la semaine dernière, à une autre manifestation de l’élasticité du concept, mais cette fois-ci dans l’autre sens, avec le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur le projet de réseau électrique métropolitain (REM) de transport collectif de la Caisse de dépôt.

Je sais que la notion de développement durable est très large et, comme le rappelle le rapport, qu’elle « englobe les aspects écologique, social et économique ». Je sais aussi que, dans les grands principes du développement durable, on retrouve entre autres la santé, l’équité, l’efficacité économique ou la participation. En fait, la définition est si large que le BAPE pourrait se pencher sur à peu près n’importe quoi.

Mais quand un rapport, comme celui-ci sur le REM, ne porte à peu près pas sur des considérations environnementales – sauf l’écosystème du ruisseau Bertrand et l’empiètement sur une zone agricole non cultivée près du Quartier DIX30 – on peut quand même noter que le BAPE s’éloigne de sa mission première et de ses champs de compétence reconnus.

Le rapport refuse de donner son aval au REM, dont le maître d’œuvre est CDPQ Infra, une filiale de la Caisse de dépôt, pas parce que le projet pose des risques environnementaux, mais en raison de « l’absence d’information complète et détaillée sur plusieurs enjeux », comme les aspects financiers, la fréquentation, la gouvernance.

Je ne veux pas être primaire, mais il y a une incongruité. Les actifs de la Caisse de dépôt étaient évalués à 248 milliards en 2015. Les Québécois et le gouvernement du Québec reconnaissent la compétence de la Caisse pour gérer ces actifs, son talent pour atteindre de bons niveaux de rendement. La Caisse doit respecter son mandat, elle doit répondre aux organismes dont elle gère les actifs, au gouvernement, aux élus. Mais on reconnaît néanmoins son indépendance.

N’est-il pas un peu étrange que, soudainement, on déploie tout un arsenal pour exiger que CPDQ Infra défende ligne par ligne les hypothèses financières de cet investissement de 5,9 milliards, dont 3,1 milliards viendront de la Caisse, quand on n’exige pas cela pour les 244,9 milliards restants ?

Comme la participation gouvernementale sera importante et qu’une mauvaise planification pourrait avoir des impacts sur les finances publiques et éventuellement les usagers, on pourrait comprendre que Québec veuille contre-vérifier les hypothèses financières de sa société d’État. Mais si c’était le cas, on peut être absolument certains que ce n’est pas au BAPE qu’il confierait ce mandat.

Par contre, les avis du rapport du BAPE sur la qualité de la desserte, sur la gouvernance, sur la contribution du REM aux objectifs de transformation des transports collectifs peuvent alimenter la réflexion et contribuer à l’amélioration du projet.

Mais il y a quelque chose de partiel dans la lecture du BAPE. Même si le rapport se réclame d’une vision large du développement durable, cet élargissement semble être à géométrie variable, tant et si bien que son approche aux questions économiques et financières est curieusement étroite. 

Le rapport ne semble pas tenir compte de facteurs pourtant bien réels, même s’ils sont difficiles à quantifier, comme les effets dynamisants d’un projet de transport collectif qui frappe l’imagination, sa capacité de transformer les habitudes, l’apport positif sur le transport durable de l’innovation technologique ou l’importance de développer de nouveaux modèles de financement pour assurer le développement des infrastructures dans l’avenir.

Ces silences s’expliquent en partie par l’absence de sympathie manifeste des commissaires pour le projet, par leur hostilité au modèle même, un promoteur extérieur aux structures institutionnelles du transport, à son mode de financement, au critère de rentabilité.

Il tient aussi en bonne partie au biais inhérent à cet exercice qui repose sur la consultation publique. De façon générale, les individus et organismes critiques à l’égard d’un projet auront une plus grande propension à présenter leur point de vue aux audiences que ceux qui l’appuient.

Le BAPE, de par sa nature, favorise l’expression des mécontentements. Il conclut, au terme de ses travaux, que l’acceptabilité sociale n’est pas au rendez-vous, et conforte, avec son rapport, les mouvements d’opposition dans un processus parfaitement circulaire.

À l’inverse, l’organisme n’est pas en mesure de capter les mouvements d’appui ou d’enthousiasme qui pourraient donner un élan au projet lui-même et aux progrès des transports collectifs.

Dans ses conclusions, le BAPE estime que la Caisse aurait dû consulter avant d’élaborer son projet et « aurait pu davantage bénéficier des expertises et des connaissances détenues par les acteurs des transports collectifs et la population pour concevoir un projet optimal en regard des besoins et de l’avenir de la métropole ».

Avec l’absence de consensus, les intérêts divergents, la balkanisation des organismes de transport, cette voie de la consultation aurait été la meilleure de s’assurer que rien ne se fasse, jamais.

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