Chronique

Se déshabiller pour acheter une sécheuse

Avec toutes les fuites de renseignements personnels qui ont fait les manchettes, les consommateurs ont raison de ne pas vouloir fournir leurs cartes d’identité à n’importe qui.

Pourtant, les commerçants ne se gênent pas pour leur demander leurs cartes. Le numéro d’assurance sociale (NAS) est utilisé à toutes les sauces. Une banque s’en servait même comme code pour activer les cartes de crédit, avant que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada la remette au pas.

Pis. Un détaillant utilisait les numéros de permis de conduire de ses clients comme clé d’accès à leurs fiches dans son système informatique, avant que la Commission d’accès à l’information du Québec le rappelle à l’ordre.

Les abus sont fréquents. Et les clients qui n’ont pas envie de se déshabiller se voient souvent refuser un service.

Par exemple, une lectrice me racontait la semaine dernière qu’un grand détaillant d’électroménagers a exigé sa carte soleil ou son permis de conduire avant de lui accorder le crédit pour acheter un ensemble de laveuse et sécheuse d’environ 1400 $.

Elle a eu le même problème pour s’abonner à un service de téléphonie mobile. « Mais j’ai réussi à m’identifier en montrant seulement mon nom et la photo sur ma carte d’assurance maladie en cachant les autres infos », raconte la dame.

Excellent réflexe. Présenter une carte suffit à vous identifier. L’entreprise n’a pas à consigner vos informations confidentielles.

D’ailleurs, la Loi sur l’assurance maladie précise que la cueillette du numéro d’assurance maladie ne peut être exigée que pour des services de santé. Et le Code de la sécurité routière indique que le permis de conduire ne peut être exigé qu’à des fins de sécurité routière.

Quant au NAS, son usage devrait être limité aux organismes qui en ont besoin pour des fins fiscales, comme le fisc, les employeurs ou les institutions financières.

Voilà pour les règles de base. Mais dans certaines circonstances, il peut y avoir une foule de nuances. Voici des exemples :

— Ouvrir un compte de banque

Il faut présenter deux pièces d’identité originales parmi un choix de dix (NAS, passeport ou acte de naissance du Canada, assurance-maladie, permis de conduire, etc.).

Si vous n’en avez pas deux, il est possible de fournir une seule pièce de cette liste, plus une autre pièce d’une autre liste (passeport étranger, carte de débit ou de crédit, etc.) ou de vous faire accompagner d’une personne connue de la banque pour compléter l’authentification.

— Ouvrir un compte à intérêt élevé ou un compte enregistré (REER, CELI, REEE, etc.)

En plus de la procédure précédente, il faut donner son NAS, car l’institution financière doit préparer des feuillets fiscaux. Dans le cas du Régime enregistré d’épargne-études, le NAS de l’enfant est aussi obligatoire.

— Demander une carte de crédit ou un prêt

Les nom, adresse et date de naissance d’une personne suffisent pour procéder à une enquête de crédit. Les commerçants qui recueillent toutes sortes d’autres renseignements vont trop loin.

Ainsi, la Baie d’Hudson s’est fait rappeler à l’ordre en 2012 par la Commission d’accès, car la vendeuse avait noté le numéro de permis de conduire sur le formulaire de demande de carte de crédit de la cliente.

— Régler un achat avec sa carte de crédit

Pas besoin d’autre chose que de votre carte de crédit. Pour conclure la transaction, le marchand n’a pas le droit d’exiger votre permis de conduire ou de recueillir des renseignements contenus sur une autre carte, selon la Commission d’accès.

— Ouvrir un compte chez Hydro-Québec

Hydro-Québec est un cas d’exception. Il peut demander le NAS à tous ses clients, en vertu d’un règlement en vigueur depuis 1996.

— Signer un bail

Avant de louer un logement, certains propriétaires ne se gênent pas. Ils exigent le NAS, le permis de conduire, le nom de l’employeur, le salaire, le numéro de compte de banque, même l’immatriculation de la voiture ! Tout cela est illégal.

À l’étape de l’évaluation d’une demande de location, le propriétaire a seulement le droit de demander le nom, l’adresse et le numéro de téléphone du futur locataire. Il peut demander de voir une carte d’identité pour valider son identité, mais il n’a pas le droit de recueillir l’information, rappelle une décision récente de la Commission d’accès.

Pour s’assurer de son bon comportement, le propriétaire peut seulement exiger les noms ou coordonnées du locateur précédent de l’aspirant-locataire.

Et pour vérifier sa capacité de payer, le propriétaire peut lui demander un extrait de son dossier de crédit. Avec le consentement du futur locataire, le propriétaire peut vérifier lui-même le dossier, mais il n’a pas besoin du NAS pour cela.

— Louer des meubles

La location de meubles est plus risquée, car le client peut se volatiliser dans la nature et ne jamais rapporter le bien.

Outre les nom, adresse et date de naissance du client, le locateur peut donc recueillir les coordonnées de son employeur, le nom de son superviseur, la fréquence de sa paye et le nombre d’années d’ancienneté à cet emploi. L’entreprise peut aussi noter les coordonnées des références.

Le locateur peut demander des cartes pour vérifier l’identité du client. Par contre, il n’a pas le droit de consigner l’information.

— Encaisser un chèque de voyage

Les entreprises qui encaissent des chèques sur-le-champ sont aussi dans un créneau risqué, car le chèque peut être contrefait. Pour se protéger, certaines colligent une foule de renseignements névralgiques, y compris la photo et la signature numérisée du client.

Il est vrai que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes impose des règles strictes pour les chèques de voyage de 3000 $ et plus. Mais pour des sommes inférieures, la Commission d’accès considère que l’entreprise devrait conserver uniquement le nom, l’adresse et le numéro de téléphone du client durant la période d’encaissement.

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