Environnement

Un mal insidieux

« Environ 70 % des plaintes liées à la qualité de l’air, dans toutes les juridictions, ont trait aux odeurs », lance d’emblée Thierry Pagé, PDG et fondateur d’Odotech, une entreprise qui a installé ses remèdes aux problèmes d’odeurs dans une vingtaine de pays.

Les municipalités sont de grands pollueurs olfactifs : un grand nombre de leurs installations – stations de traitement des eaux usées, centres de compostage, usines de méthanisation – sont des terrains propices à la formation de toute une gamme d’odeurs pestilentielles.

« Ces entreprises gèrent des matières organiques en putréfaction et posent un vrai risque olfactif. Et comme on ne peut plus faire de délocalisations, les entreprises doivent composer avec les nouveaux quartiers urbains, explique M. Pagé. Si les industriels et les municipalités sont de plus en plus de bons citoyens en matière de pollution olfactive et travaillent à contrôler et à réduire leurs émissions, les gens ont cependant des attentes de plus en plus élevées. »

Désormais conscients des ennuis de santé que les nuisances olfactives peuvent causer, les citoyens sont effectivement de plus en plus exigeants envers les pollueurs olfactifs, confirme le Dr Johannes Frasnelli. « Le système olfactif sert de gardien à notre corps. L’olfaction nous rapporte que quelque chose ne va pas et nous indique que cette chose peut avoir un effet néfaste sur la santé, notamment en augmentant notre niveau de stress. Et à la longue, ce stress induit peut avoir des effets indirects et entraîner des maladies comme l’hypertension », précise le chercheur en neurophysiologie à l’Université de Montréal et spécialiste de l’odorat.

Contrairement à ce que certains pourraient espérer, on ne s’habituera pas à une mauvaise odeur si l’on y est exposé de façon intermittente – lorsque le vent souffle dans la mauvaise direction, qu’il fait trop chaud ou simplement quand on sort de chez soi. On l’accueillera plutôt chaque fois comme une agression, ajoute le Dr Frasnelli.

Subjectives, mais mesurables

En plus d’être influencées par des facteurs comme la météo, les odeurs ne sont pas toutes détectées de la même façon : le nez humain peut faire défaut et souffrir d’une grande subjectivité.

« Même moi qui travaille dans le domaine depuis 20 ans, je suis incapable de déterminer si des émissions d’odeurs sont problématiques sans instruments de mesure. Il y a trop de facteurs qui entrent en jeu », affirme Thierry Pagé.

La culture et les expériences personnelles de chacun avec les odeurs, souvent tirées de nos souvenirs olfactifs, ont elles aussi une importance cruciale dans le jugement qu’on porte, précise le Dr Frasnelli. « Pensez à certains fromages européens qui puent et qui déplaisent à de nombreux Nord-Américains. »

Fort heureusement, des consensus existent aux quatre coins du monde, comme le montrent des travaux menés en 2004 par des chercheurs français, américains et vietnamiens dans leurs pays respectifs. Les participants, toutes origines confondues, préféraient les odeurs qui leur étaient familières, alors que certaines odeurs corporelles ou de décomposition étaient jugées unanimement répugnantes.

« L’étiquette de l’odeur joue par ailleurs un rôle important », souligne le Dr Frasnelli. L’odeur de la cannelle, par exemple, suscitait du dégoût chez les participants lorsqu’elle leur était présentée comme une substance chimique, alors qu’ils avaient précédemment signifié qu’ils en aimaient l’odeur.

Devant tant de subjectivité, l’utilisation d’appareils permet de trancher le débat et de poser un diagnostic fiable sur les nuisances olfactives. « Les unités odeur sont une mesure reconnue internationalement qui sert à quantifier les odeurs de façon objective, peu importe que l’odeur soit bonne ou mauvaise », explique Thierry Pagé.

Odotech a donc mis au point des nez électroniques permettant de mesurer l’intensité et la fréquence des odeurs émises sur le terrain, en tenant compte des conditions météorologiques et des facteurs de dispersion. Et pour compléter le tout, des tests sont menés en laboratoire d’olfactométrie avec des nez humains – des jurés préalablement certifiés.

« Beaucoup d’entreprises n’ont qu’une seule externalité de nuisance, et ce sont les odeurs. Ainsi, de la même façon qu’une usine s’équipe de détecteurs de fumée pour prévenir les incendies, quand il y a un risque d’odeurs, on met des détecteurs d’odeurs », indique-t-il.

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Échelle des niveaux d’odeur

1 u.o./m³ : seuil de perception de l’odeur, soit le niveau où 50 % des jurés la perçoivent.

2 à 3 u.o./m³ : seuil de reconnaissance de l’odeur, soit le niveau où 50 % de la population peut commencer à détecter la qualité de l’odeur.

5 u.o./m³ : seuil de discernement de l’odeur, soit le niveau où certaines personnes peuvent commencer à signaler l’odeur et à formuler des plaintes.

10 u.o./m³ : niveau où l’on peut nettement s’attendre à des plaintes.

* u.o./m³ : unité odeur par mètre cube, soit la concentration d’odeur dans 1 m3 de gaz inodore.

Source : Odotech

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Quelques exemples de niveaux d’odeur 

Une personne parfumée dans un ascenseur : de 20 à 50 u.o./m3 

Une pelouse fraîchement coupée : 250 u.o./m3 

Les poubelles arrière d’un restaurant : 500 u.o./m3

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