Opinion

Courir

Courir. Juste courir. Mettre un pied devant l’autre et recommencer. Sans me poser de question, sans me demander pourquoi. Débuter timidement dans ma rue et dans mon quartier, puis m’aventurer dans ma ville et dans ma région. Courir avec les moyens dont je dispose, avec mes forces et mes faiblesses. Sans trop me juger, idéalement.

Courir parce que j’ai peur de devenir gros et inutile. M’élancer, faire un bout de chemin, puis me sentir pas mal écœuré, avoir envie de tout foutre ça là et de rentrer en marchant. Continuer à courir malgré tout en ne sachant plus trop pourquoi. Trouver ça vraiment niaiseux. Puis, le jour suivant, retrouver le moral et repartir candidement en espérant aller un peu plus loin, un peu plus vite que la veille.

Courir pour oublier, pour laisser mes doutes, mes déceptions et mes deuils derrière. Poursuivre ma route pour ne pas virer fou, face au vent, sous la chaleur accablante ou dans la tempête. Courir pour prendre un verre sans culpabiliser et courir encore, un peu croche, le lendemain d’une brosse, pour cuver mon vin.

Courir juste pour prendre l’air, relax, seul, puis partir en transe.

Courir à la recherche d’une mélodie ou des mots d’un couplet, qui eux, n’avancent plus depuis des mois. Courir pour trouver mon élan, une solution, un deuxième souffle. Courir aux aurores sur une plage et voir le soleil se lever ; m’immiscer dans le paysage, devenir plus petit qu’un mot dans une page. Redéfinir l’humilité.

Courir, puis un bon jour, poussé par un ami, par sa sœur ou par l’ambiance générale, m’inscrire à une course organisée. Me pointer là à 6 h 30 un dimanche, recevoir mon dossard, me l’agrafer sur le bide et me dire : « What the fuck man ? Qu’est-ce que je fais ici ? J’ai payé pour ça en plus ! » Courir jusqu’au bout de mon air, jusqu’à épuisement des stocks. Espérer franchir (un peu) le mur du son et la ligne d’arrivée. Courir pour me dépasser et me surprendre. Me demander si un jour, je ferai un marathon.

Courir au côté de ma blonde qui chiale pas mal toujours en courant, essoufflée mais heureuse, au fond. Courir avec mes enfants pour le plaisir et pour leur donner l’exemple. Espérer qu’ils aient d’autres souvenirs de leur père que celui du gars assis avec une manette sur le divan.

Courir avec une musique dans les oreilles qui me soulève et me transporte. Finir par me prendre au jeu. Devenir soudainement Rocky (oui, l’Étalon italien !) qui monte les interminables marches de l’escalier du Musée d’art de Philadelphie. Me prendre pour Forrest Gump (« Cours Forrest ! Cours ! »). Me sentir terriblement plus performant que je le suis en réalité. Puis me faire dépasser sans équivoque par un (vrai) coureur et rentrer chez moi en riant.

Courir pour prendre une pause pendant que tout le monde court après tout autour. Sourire en constatant le paradoxe. Courir pour contrer le marasme et faire un pied de nez à la mort au passage. Courir. Juste courir. Mettre un pied devant l’autre, intrigué de savoir où cela va me mener.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.