Chronique

La SAQ encore sur la sellette

Il y a des débats qui ne meurent pas. Depuis maintenant 40 ans, l’idée de privatiser la Société des alcools du Québec refait surface avec régularité. Cette fois-ci, c’est le fait que le ministère des Finances ait commandé des études sur la question qui a reparti le bal.

Si l’idée revient si souvent, c’est d’abord parce qu’en toute logique, l’existence d’un monopole de l’État sur la vente de l’alcool est un anachronisme hérité de la prohibition. Mais aussi parce que nous n’avons toujours pas trouvé de solution alternative élégante et acceptable à cette anomalie.

Il faut quand même dire que les choses ont évolué. Les comptoirs de la Commission des liqueurs répondaient à des impératifs de moralité publique. Les succursales de la SAQ servent maintenant surtout des impératifs de finances publiques.

Il y a de fortes résistances à un changement de statut pour la SAQ, surtout de la part du monde syndical, qui veut protéger les emplois, ce qui est légitime, mais qui mène aussi une bataille idéologique pour préserver le périmètre public québécois avec toutes sortes d’arguments assez surréalistes sur le caractère essentiel ce service public.

Mais le principal argument des défenseurs de l’institution est que la société assure d’importants dividendes à l’État, 1,070 milliard pour l’année qui s’achève, auquel s’ajoutent 628 millions des taxes sur l’alcool.

Cette prémisse n’est pas tout à fait exacte. Ce n’est pas parce que la SAQ réussit à faire de gros bénéfices que l’on réussit à remplir les coffres de l’État, mais parce qu’on a fait un choix de société, faire payer très cher le vin et l’alcool pour financer les dépenses publiques.

On le fait actuellement à travers un monopole d’État qui applique des marges très élevées pour gonfler ses profits. Cependant, d’autres modes de perception fonctionnent très bien pour les produits lourdement taxés. Québec récoltera cette année un milliard en taxes sur le tabac et 2,4 milliards pour les produits pétroliers sans contrôler les réseaux de distribution.

La question est plutôt de savoir si le modèle de la SAQ, avec sa situation monopolistique, ses magasins attrayants, son marketing, son savoir-faire, permet d’aller chercher plus de revenus fiscaux qu’un autre modèle, par exemple, un réseau de commerce de détail normal, privé et concurrentiel, où l’on percevrait des taxes sur chaque bouteille vendue.

Quatre études, beaucoup de changements

Les arguments en faveur d’un changement de modèle ont longtemps été théoriques : la crainte que son état de monopole ne pousse pas la SAQ à rechercher l’efficacité et que son caractère public favorise la lourdeur bureaucratique tout en augmentant les coûts salariaux.

Mais en un court laps de temps, quatre études sur la performance de la SAQ sont venues documenter ces intuitions : le rapport de la Commission permanente de la révision des programmes présidée par Lucienne Robillard en 2015, un rapport très sévère du Vérificateur général au printemps 2016, une étude indépendante, Monopole inc. : pour une ouverture du commerce des vins et spiritueux, en juin dernier, et une étude du Centre de la productivité et de la prospérité des HEC, en novembre, Productivité dans le secteur public québécois : la SAQ.

Elles pointent toutes dans la même direction : productivité insuffisante, pas assez de gains d’efficacité, une structure de fonctionnement qui ne la pousse pas à acquérir les produits au plus bas coût possible. 

Bref, il serait possible pour l’État de récolter autant de revenus, sinon plus, tout en offrant de meilleurs prix aux consommateurs.

La SAQ a critiqué les conclusions de ces études, mais dans les faits, elle leur a donné raison. On a assisté, depuis quelques mois, à d’importants changements à la société d’État – réduction importante du personnel administratif, mais surtout, trois réductions de prix sur les produits les plus populaires. Cela montre clairement que quand elle a été sur la sellette, quand elle s’est sentie menacée, quand on s’est mis à la comparer à l’Ontario, la SAQ s’est mise à bouger.

Cela montre assez clairement qu’une situation monopolistique nourrit l’inertie et que les pressions ont un effet. Mais comment maintenir cette pression ?

La privatisation ne sera pas une solution. Parce que si on vend la SAQ en bloc, on créerait un monopole privé, ce qui ne serait pas mieux, et que si on démantèle la SAQ pour vendre les succursales, on les prive de leur principal attrait, leur avantage monopolistique. Ce ne serait pas une bonne idée de faire table rase.

Mieux vaut une approche plus pragmatique, plus gradualiste, par exemple en permettant le développement de commerces privés, plus personnalisés, plus spécialisés. Ce serait encore mieux si on libérait ces commerces du monopole que la SAQ exerce aussi sur l’importation. On ne détruirait rien, on servirait mieux le consommateur avec une offre plus diversifiée et on imposerait à la société d’État une concurrence dont elle aurait bien besoin.

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