Chronique

À faire hurler

Un enfant qui hurle, couché sur le ventre, attaché avec des sangles dans une poussette en attendant que ses parents viennent le chercher à la garderie. Des verres pleins de moisissures ayant l’aspect de fromage cottage, dans lesquels boivent tous les jours neuf enfants. Un homme ayant un casier judiciaire, qui n’a pas le droit de se trouver en présence d’enfants, abattant des arbres à la tronçonneuse à côté des petits de la garderie en milieu familial de son ex-conjointe…

Cela s’est peut-être passé dans une garderie près de chez vous, dans un Québec que l’on aimerait croire « fou de ses enfants ». Il s’agit de trois exemples bien réels de services de garde en milieu familial qui ont vu leur permis révoqué ou suspendu à la suite d’infractions, comme le rapporte ma collègue Ariane Lacoursière, dans un reportage qui donne envie de hurler.

Si ces garderies ont fermé leurs portes, tout est bien qui finit bien, non ? Non, malheureusement. Car ces cas ne sont que la pointe de l’iceberg d’un système qui tolère que la majorité de ses garderies soient de piètre qualité.

Dans les exemples de garderies en milieu familial cités par ma collègue, il a fallu des mois, voire des années, pour que le permis du service de garde soit suspendu. Du temps précieux dans la vie d’un enfant, à un moment crucial de son développement, perdu à tout jamais. Combien de temps avant de fermer une garderie où la responsable attachait régulièrement un enfant de 2 ans et demi dans sa chaise pendant qu’elle faisait la sieste au sous-sol avec les autres ? Deux ans !

Comme les garderies en milieu familial sont d’une grande opacité, il est impossible pour des parents de savoir si un responsable de service de garde a déjà vu son permis suspendu ou révoqué. Impossible de connaître le nombre de plaintes ou d’avoir accès aux rapports d’inspection. Ils demeurent anonymes, même quand le dossier d’une garderie se retrouve devant le Tribunal administratif du Québec.

Cette absence de transparence en ce qui concerne un service éducatif primordial subventionné par l’État est un non-sens. On parle ici de gens à qui l’on confie de jeunes enfants, pas des animaux en peluche !

Si vous vous demandez si le restaurant du coin est fréquenté par des coquerelles, un simple clic sur le site internet de la Ville de Montréal vous donne la liste des établissements condamnés pour insalubrité. Même chose si vous vous demandez si l’animalerie du coin traite bien ses chiots dans la vitrine. Le site du MAPAQ donne la liste des contrevenants qui n’ont pas respecté les règles de sécurité et de bien-être animal. Mais lorsqu’il est question du bien-être de jeunes enfants, cela se complique. Depuis 2009, les rapports d’inspection pour les centres de la petite enfance (CPE) et les garderies privées sont disponibles sur le site du ministère de la Famille, mais pas ceux des services de garde en milieu familial. Pourquoi ? Ces garderies reçoivent pourtant des fonds publics et ont des responsabilités tout aussi importantes que celles de CPE ou des services de garde privés. Davantage de transparence et des mesures de contrôle de qualité plus efficaces s’imposent.

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J’évoquais il y a quelque temps le modèle suédois où les éducateurs en garderie, appelés « enseignants préscolaires », possèdent une formation universitaire. En Suède, le système préscolaire est intégré au système éducatif. On comprend bien qu’on ne fait pas que « garder » les enfants jusqu’à ce qu’ils aillent à l’école. On considère les services de garde, qui relèvent du ministère de l’Éducation, comme des milieux d’apprentissage au même titre que les écoles*. Une façon de dire que l’éducation, même quand elle passe par le jeu, joue un rôle fondamental, que l’on ait 2 ou 22 ans…

On est bien loin de ce modèle cohérent, qui valorise l’éducation de qualité dès le plus jeune âge. Ici, la majorité des services de garde sont de qualité passable. Presque n’importe qui peut diriger un service de garde familial à 7 $, sans aucun diplôme. Et le contenu des rares cours exigés pour y arriver est souvent de piètre qualité (voir la première partie du reportage d’Ariane Lacoursière, publiée hier).

Malgré tout, il existe d’excellentes garderies au Québec. Mais elles sont trop rares et trop peu fréquentées par les enfants de milieux défavorisés qui gagneraient le plus à y être. À peine une garderie sur cinq, toutes catégories confondues, est de bonne ou de très bonne qualité. La grande majorité est de qualité passable (60 %) ou carrément insatisfaisante (21 %), selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec rendue publique en 2004 (qui sera enfin mise à jour cette année).

On sait que les CPE s’en tirent généralement mieux que les autres. La moitié d’entre eux offrent de bons services. Dans les services de garde en milieu familial, c’est là qu’on retrouve le plus de variations de qualité. Quant aux garderies privées, ce sont elles qui font l’objet de plus de plaintes et qui récoltent le plus de mauvaises notes.

On parle beaucoup de la pénurie de places en garderie. On parle de la nécessité (ou non) d’augmenter les tarifs. Mais comment se fait-il qu’on entende si peu parler de l’essentiel – la qualité des services éducatifs offerts aux jeunes enfants à un âge crucial de leur développement ? Que faut-il penser d’un système qui se satisfait du fait qu’une majorité de ses enfants fréquentent un service de garde « passable » ?

(*) Données tirées du livre Le bon sens à la scandinave. Politiques et inégalités sociales de santé, Marie-France Raynault, Dominique Côté, avec la collaboration de Sébastien Chartrand. Les Presses de l’Université de Montréal, 2014.

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