Chronique

Vivre debout

Non seulement Lise Payette, ancienne ministre, auteure, scénariste, animatrice, toujours féministe, appuie la Charte des valeurs du gouvernement du Parti québécois, mais elle trouve qu’elle pourrait même aller encore plus loin, « couvrir plus de terrain ».

« La Charte ne prévoit que ce que l’on connaît maintenant », explique celle qui assistait hier à la présentation d’Un peu plus haut, un peu plus loin, un documentaire qui lui est consacré, coréalisé par Jean-Claude Lord et sa petite-fille, Flavie Payette-Renouf, de qui Mme Payette est visiblement très proche.

« Or, une charte, poursuit-elle, on ne touche pas à ça légèrement. Quand celle-ci sera adoptée, aucun gouvernement ne voudra en reparler pendant 20 ans, 30 ans, 50 ans… »

Donc, selon elle, il faut « regarder tout ce qui se passe ailleurs », afin de penser à plus encore que ce qui dérange notre esprit laïque d’aujourd’hui. Il faut penser avenir.

« On pourrait faire une charte plus complète et ne pas promulguer les articles qui ne sont pas utiles actuellement », soumet-elle comme hypothèse. Elle avoue toutefois qu’elle ne sait pas si, légalement, cela peut se faire.

Mais, chose certaine, dit celle à qui on doit la Loi sur l’assurance automobile du Québec, ainsi que le droit de porter le nom de sa mère autant que le nom de son père, « il faut penser plus loin encore ».

Et elle invite même les Québécois à en discuter entre eux, pendant le temps des Fêtes. Éviter les questions ardues ne fait pas partie de son répertoire.

Sa grand-mère lui a dit un jour que ce n’était pas plus difficile de vivre debout qu’à genoux. La phrase est restée ancrée dans la tête de celle qui, dans les années 60 et 70, animait une émission attirant 1 million de téléspectateurs, Appelez-moi Lise, à Radio-Canada, où elle commençait déjà à brasser la société québécoise.

Dans le documentaire de plus de 80 minutes, l’auteur comique Stéphane Laporte la compare à la supervedette de la télé américaine Oprah Winfrey, à cause de son influence sur les mentalités du temps, de l’autorité qu’elle a acquise avec sa doucement piquante insolence, qui détonnait dans le Québec de l’époque.

Lise Payette a aujourd’hui 82 ans, sa santé n’est pas des plus fortes, mais elle ne manque rien des grands débats actuels, se permettant encore d’être impertinente pour ramener Jacques Parizeau ou Bernard Landry à l’ordre, se permettant encore d’être passionnément féministe, pour encourager les Janettes. Se permettant d’être avec les Léo Bureau-Blouin, Martine Desjardins et Gabriel Nadeau-Dubois de ce monde, au sujet de l’accessibilité à une éducation supérieure à laquelle, apprend-on, elle n’a pas eu droit, faute d’argent.

Celle qui se rappelle l’époque où les femmes n’avaient même pas le droit de danser – sans parler de signer des chèques ou de voter – se rappelle aussi le temps où, même ministre dans le gouvernement de René Lévesque, elle a dû se battre, faire un scandale, pour pouvoir entrer par la porte avant du Cercle de la garnison à Québec. À l’époque, bien qu’admises à l’intérieur, les femmes devaient entrer par une porte secondaire. Son collègue Jacques Parizeau, qu’elle aime beaucoup et respecte, ne l’avait pas appuyée, se rappelle-t-elle.

Elle n’a pas été étonnée de la position mitigée de l’ancien leader péquiste sur la Charte…

Et elle se demande, en outre, ce qui se serait passé s’il y avait eu plus de femmes d’expérience au sein de la commission Bouchard-Taylor, quand la province a été plongée pour la première fois au cœur des questions sur les accommodements religieux, il y a six ans. Commission où bien des femmes, comme les Janettes cette année, sont venues dire haut et fort aux commissaires qu’elles avaient peur de perdre les acquis égalitaires de la Révolution tranquille et qu’il leur restait trop de frais souvenirs de l’époque où la morale de l’Église catholique servait de caution à une discrimination tous azimuts contre les Québécoises.

Selon Mme Payette, les deux sages qui coprésidaient la Commission sont « deux vieux cocos qui ne se sont pas rendu compte de ce qu’ils avaient sous le nez… »

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Dans le documentaire, la première ministre Pauline Marois, une des nombreuses personnalités interviewées, explique comment elle est devenue chef de cabinet de Mme Payette, en relatant qu’à l’époque, toute jeune, elle ne se croyait pas féministe. « Tu vas le devenir en deux semaines en travaillant avec moi, lui a répondu Mme Payette. Avec les dossiers que j’ai et les collègues que j’ai… »

Mme Marois rit en se rappelant cet échange et avoue qu’elle est devenue féministe au bout de… trois semaines. Et aujourd’hui, elle remercie l’ancienne animatrice et politicienne pour le travail de défrichage accompli, affirmant que sans cela, elle ne serait pas à la tête de la province, première femme élue à ce poste.

Le documentaire, coproduit par Productions J et Argus Films, sera diffusé à Télé-Québec à 20 h le 12 janvier, puis à TVA au printemps.

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